Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du budget de la mission « Immigration, asile et intégration » ne peut naturellement être détaché du débat initié par le Président de la République sur l’identité nationale.
En qualité d’élu ultramarin, vous comprendrez que je considère cette question avec une acuité particulière, tant la question de l’identité lato sensu a agité la Guadeloupe au printemps dernier.
Certes, mon île est, historiquement, une terre d’immigration, parfois libre, mais le plus souvent forcée au travers de la traite des esclaves.
L’enracinement, la construction d’un socle de valeurs communes et la définition d’un projet collectif de société constituent des problématiques fondamentales pour comprendre la place qu’occupe la Guadeloupe dans la République.
Or l’immigration continue de nous pousser à nous interroger sur notre identité. Selon les statistiques disponibles, parmi les départements d’outre-mer, la Guadeloupe est la seconde terre d’accueil d’immigrés derrière la Guyane. En outre, elle apparaît de plus en plus fragilisée par la pression migratoire, notamment en provenance d’Haïti et de la Dominique.
Ainsi, entre 2005 et 2007, le nombre des infractions à la législation des étrangers et des éloignements a progressé de 67 %. Cette forte augmentation peut s’expliquer, en partie, par les moyens nouveaux qui ont été mis en œuvre pour lutter contre l’immigration clandestine.
En 2008, on recensait 1 600 interpellations, soit une diminution de 11 % par rapport à 2007. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière dans mon département est actuellement évalué à 15 000. On constate, par ailleurs, un regain des demandes d’asile, dont 95 % émanent de ressortissants haïtiens. Ainsi, le nombre des dossiers traités par l’antenne de l’OFPRA de Basse-Terre a augmenté, en 2008, de 57% par rapport à 2007.
Monsieur le ministre, je souhaitais vous rappeler ces quelques éléments propres à la Guadeloupe afin de vous montrer que notre éloignement de la métropole ne nous empêche pas de partager avec celle-ci certains traits communs quant au sujet qui nous intéresse aujourd’hui.
Les crédits de la présente mission ne rendent compte que très partiellement de l’ensemble de cette politique transversale. Votre ministère ne concentre que 15, 6 % des crédits de paiement, soit 560 millions d’euros sur le milliard et demi d’euros que votre gouvernement consacre à la politique d’immigration et d’intégration.
Les crédits sont éclatés sur onze missions budgétaires. Il en résulte une complexité et un manque de lisibilité qui nuisent à une gestion rigoureuse des deniers publics.
Ce grief, souligné par M. le rapporteur spécial et pointé par la Cour des comptes, s’applique particulièrement à la gestion des centres de rétention administrative, dont le pouvoir décisionnaire est divisé entre votre ministère et le ministère de l’intérieur.
L’impératif de bonne gestion s’impose à vous de manière d’autant plus impérieuse que votre ministère est en charge du sort de milliers de personnes qui ont choisi de venir dans notre pays bien souvent pour fuir la misère, les persécutions, ou tout simplement l’absence d’avenir. Il ne faut pas laisser la démarche répressive, même si elle est nécessaire, occulter les principes humanistes qui doivent présider à la décision publique.
Plusieurs de mes collègues du RDSE ont cosigné, au printemps dernier, une proposition de loi déposée par MM. Michel Charasse et Yvon Collin, tendant à supprimer les poursuites au titre de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers à l’encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en œuvre, jusqu’à l’intervention de l’État, l’obligation d’assistance à personne en danger.
Je sais que des collègues d’autres groupes ont également déposé des propositions de loi visant à abroger le délit dit de solidarité.
Pour ma part, je me félicite que Mme le garde des Sceaux ait publié, le 20 novembre dernier, une circulaire interprétative visant à définir le champ d’application de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, incriminant le délit d’aide à un étranger en situation irrégulière.
Je constate, toutefois, que cette circulaire ne résout en rien le problème de fond, en raison tant de la valeur juridique intrinsèque de ce texte, soumise de surcroît au contrôle du juge administratif, que de la persistance d’une incohérence législative entre l’article L. 622-4 du CESEDA et l’article 223-6 du code pénal qui définit l’obligation d’assistance à personne en danger.
Plus globalement, monsieur le ministre, je tiens à attirer votre attention sur les dangers d’une politique migratoire – j’y inclus l’intégration – trop largement fondée sur le chiffre.
Je comprends la situation difficile dans laquelle vous vous trouvez du fait des objectifs chiffrés, soit 29 000 reconduites à la frontière, que vous devez atteindre coûte que coûte. Pour autant, vous ne pouvez, et nous non plus, faire fi des dommages collatéraux qui peuvent en résulter.
En y regardant de plus près, on s’aperçoit que la réalité ne correspond pas nécessairement aux discours. En comptabilisant les réadmissions sur le territoire d’un État membre de l’espace Schengen et les reconduites à la frontière des ressortissants bulgares et roumains séjournant dans notre pays au-delà des trois mois réglementaires, le chiffre des reconduites est artificiellement majoré. En réalité, seules 46 % de ces reconduites s’effectuent hors d’une zone de libre circulation avec la France.
Exiger que soit privilégiée, à hauteur de 50 % du total, une immigration de travail au profit des secteurs économiques manquant de main-d’œuvre semble avoir placé votre administration dans l’embarras, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation des statistiques : les demandeurs d’asile sont exclus des chiffres de l’immigration ; des régularisations relevant de la catégorie « Vie privée et familiale » se trouvent transférées vers la catégorie « Travail ».
Votre récente circulaire sur la régularisation des travailleurs en situation irrégulière, pour importante et opportune qu’elle soit, démontre les incohérences qu’engendre la politique suivie.
Enfin, la nouvelle procédure de naturalisation, qui déconcentre la décision vers les préfectures, nous rapproche dangereusement de la rupture d’égalité en favorisant les différences de traitement des dossiers d’une préfecture à l’autre.
Cette complexité et ces incohérences ont un coût budgétaire, alors que l’on demande à nos compatriotes rigueur et efforts pour redresser nos comptes publics.
Je prendrai l’exemple des centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA. Le nombre de places mis à disposition dans ces centres est passé de 17 000 en 2002 à 24 000 aujourd’hui, alors que 29 000 personnes y sont éligibles, soit un déficit de 9 000 places. Les 1 000 places supplémentaires budgétisées en 2008 et 2009, et prévues dans le projet de budget pour 2010, restent insuffisantes.
Pourtant, le rôle des centres d’accueil est essentiel. Non seulement ils accompagnent de manière plus efficace les demandeurs d’asile lors de leurs démarches, mais, en outre, le coût d’une place en CADA revient bien moins cher à l’État qu’un hébergement en centre d’hébergement d’urgence ou à l’hôtel.
Je regrette donc que le projet de budget pour 2010 ne prévoie que 30 millions d’euros pour ce dispositif d’urgence, alors même que son coût en 2009 aura été supérieur à 67 millions d’euros. Cet écart devra être comblé une nouvelle fois dans le cadre de la loi de finances rectificative.
Je m’interroge par ailleurs sur l’envolée des dépenses de fonctionnement du ministère, tandis que votre collègue Éric Woerth déclarait dans la presse, voilà deux jours, qu’il était nécessaire de renforcer l’encadrement des règles de dépenses de l’État. Je pourrais citer de nombreux exemples à ce sujet.
Monsieur le ministre, pour l’ensemble de ces raisons, la majorité de mes collègues du groupe du RDSE votera contre les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Pour ma part, faisant confiance à votre bonne foi et souhaitant vous encourager, je m’abstiendrai.