Intervention de Jean-Jacques Pignard

Réunion du 27 novembre 2009 à 14h30
Loi de finances pour 2010 — Culture

Photo de Jean-Jacques PignardJean-Jacques Pignard :

Les messieurs en cravate ont longuement parlé, à tour de rôle : le directeur du théâtre, de la musique et de la danse et ses conseillers, le directeur régional des affaires culturelles et ses conseillers, le préfet de région et ses conseillers, le maire de Lyon, le président de la région, le président du département, les vice-présidents, les adjoints, les conseillers, les sous-conseillers des conseillers et les présidents des vice-présidents. Et lorsque, au bout de deux heures, tous les messieurs en cravate ont eu fini de parler, il n’y avait plus de temps pour les messieurs décravatés ! Mais tout le monde était content, c’était « du temps qu’on allait encore aux baleines », c’était les entretiens de Valois, façon décentralisée.

Monsieur le ministre, on parle beaucoup de crédits ; je voudrais parler aussi de simplification.

Voilà quinze ans que je suis vice-président du conseil général du Rhône en charge de la culture ; quinze ans que je pratique des comités de pilotage qui, bien souvent, ne pilotent pas grand-chose ; quinze ans que j’assiste à des comités de suivi, qui induisent forcément des comités suivants, tout en sachant bien que, pour un comité, on ne sait plus s’il vaut mieux être de suivi que suivant ; quinze ans que j’épluche des conventions de plus en plus longues où doivent figurer obligatoirement les poncifs obligés, les « publics empêchés », les « formes émergentes » ; quinze ans que je vois des créateurs faire la course au label comme d’autres la course à l’échalote.

Je ne suis pas vraiment convaincu que les entretiens de Valois simplifieront les choses. Le spectacle vivant n’a pas besoin de réunions supplémentaires, qui épilogueront sans fin sur des contrats d’objectifs. Il a besoin d’une seule chose : la confiance qui doit s’instaurer entre un créateur et des élus publics, qui lui permettent de créer sans rien lui imposer, dès lors que la confiance tient lieu de contrat.

Roger Planchon est mort sans avoir obtenu le label qu’il avait souhaité. Mais, avant lui, tant d’autres sont morts sans avoir été labellisés, ou sans avoir connu la suprême jouissance d’un comité de pilotage. Pourtant, ils sont toujours vivants dans la mémoire collective.

Molière sur les places de Pézenas, Copeau dans les villages bourguignons ou Dasté chez les mineurs de Saint-Etienne, eux aussi sont morts, les pauvres, sans avoir eu pleinement conscience qu’ils jouaient devant des « publics empêchés », et qu’ils donnaient dans l’« émergence ».

En conclusion, monsieur le ministre, vous qui avant de le devenir avez d’abord été un créateur et l’êtes toujours, dégelez ! Dégelez vos crédits, certes, mais aussi le conformisme qui, inévitablement, peut guetter une administration déjà quinquagénaire. Conventionnez certes, puisqu’il le faut bien conventionner, mais conventionnez de façon moins… conventionnelle. Labélisez certes, parce qu’il faut bien labéliser, mais sans enfermer les créateurs dans un carcan. Le spectacle vivant a besoin de crédits, mais tout autant de libertés.

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