Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est l’ensemble du système d’aides publiques à la presse qui doit être refondé autour d’une stratégie claire, cohérente et mobilisatrice. Le secteur n’attend plus d’être une nouvelle fois maintenu sous perfusion : il réclame une cohérence d’ensemble, une véritable vision pour l’avenir.
Or le seul élément de stratégie que j’ai pu relever jusqu’à présent, c’est l’exigence de rentabilité des entreprises de presse, avec tout ce que cette antienne suppose de raccourcis bien ficelés : les traditionnels plans sociaux sont toujours les bienvenus pour combattre l’inefficience des coûts et le recours à la concentration est présenté comme la solution miracle à la sous-capitalisation du secteur.
Mais la rentabilité n’est pas une stratégie en soi. Une stratégie viable pour la presse, c’est une stratégie qui mise sur une information de qualité, qui nourrit le débat citoyen d’une analyse critique, libre et indépendante. Là est la véritable valeur ajoutée de la presse écrite payante. Or cela ne se limite pas à la simple réduction des sureffectifs, cela suppose avant tout d’investir massivement dans le développement de compétences nouvelles pour permettre à la presse de renouveler son offre éditoriale.
Il ne suffit pas de déclarer que cela coûte trop cher et qu’il faut réduire les coûts, il faut réfléchir précisément à la façon de reconquérir un lectorat par la qualité, par la spécificité de la presse écrite. Une stratégie de ce type lui redonnerait probablement des couleurs.
En matière de diffusion de la presse, la question centrale demeure celle du prolongement en 2010 du moratoire sur l’application des accords État-Presse-La Poste qui prévoyaient une revalorisation progressive des tarifs du transport postal de la presse.
Certains éditeurs de presse ont exprimé le souhait que le moratoire prononcé en 2009 soit reconduit en 2010 pour six mois ou un an.
Mon analyse est la suivante : le prolongement de ce moratoire est, pour l’heure, essentiellement réclamé par les familles de presse dont les ventes s’appuient en grande partie sur l’abonnement postal, comme c’est le cas de la presse magazine et de la presse spécialisée. Les éditeurs de la presse quotidienne nationale semblent, en revanche, plus hésitants et veulent préserver la crédibilité des accords Schwartz entre l’État, la presse et La Poste.
J’estime toutefois indispensable de prolonger le moratoire pour une période de six mois en 2010, afin de permettre cette transition, étant donné les difficultés rencontrées par la presse en matière de diffusion. La crise du secteur perdure et les conditions qui ont prévalu lors de l’instauration de ce moratoire sont toujours d’actualité. En conséquence, pourriez-vous, monsieur le ministre, revenir sur l’état des discussions concernant la reconduction de ce moratoire ?
En matière de pluralisme, l’aide en faveur des quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires, qui est passée de 7 millions d'euros à 9 millions d’euros, me semble encore insuffisante. Il est capital de soutenir activement ces quelques journaux d’opinion, comme L’Humanité, qui suscitent peu l’intérêt des investisseurs privés ou des annonceurs, mais qui sont pourtant indispensables au pluralisme effectif de nos courants d’expression.
Dans le cadre de la stratégie cohérente que j’appelle de mes vœux, il conviendrait de cibler les aides publiques au profit de cette presse citoyenne qui remplit des missions d’intérêt général.
Or, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait annoncé au printemps que ce fonds serait doublé en 2009, pour passer de 7 millions à 14 millions d’euros, afin de répondre à la détresse financière des titres les plus faibles.
Qu’est-il advenu de cette promesse ? Ce fonds a-t-il réellement été doublé en 2009 ? Si tel était le cas, pourquoi ne pas avoir prolongé la montée en puissance de cette aide dans le projet de budget pour 2010, alors que l’effondrement du marché publicitaire se poursuit ? À l’évidence, il y a un manque de cohérence que des annonces non suivies d’effet peinent à dissimuler !
Je le souligne également, on ne saurait faire l’impasse sur la reconnaissance juridique des rédactions, qui constituerait le rempart le plus efficace contre les effets pervers des concentrations sur l’indépendance rédactionnelle des titres. Je pense en particulier à la presse quotidienne régionale, la PQR, et aux phénomènes à l’œuvre aujourd’hui.
En matière de modernisation, l’augmentation du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne ne constitue qu’une partie de la réponse. À la suite de l’adoption du statut d’éditeur de presse en ligne dans la loi Hadopi I, il convient d’aller au bout de la logique de neutralité entre les supports et de militer auprès des institutions communautaires en faveur d’un alignement du taux de TVA de la presse numérique non gratuite sur celui de la presse imprimée.
La légitimité d’une telle demande semble plus juste et plus nécessaire que celle de la baisse de la TVA dans la restauration.
J’ai tenu dans mon rapport pour avis à consacrer une partie au devenir de l’Agence France-presse, l’AFP, même si ce sujet n’est pas en lien direct avec le budget qui nous est proposé. Ce devenir est en prospective. J’ai auditionné le président de l’Agence et l’intersyndicale. Je tiens à vous faire part de ces analyses.
C’est probablement là où le défaut de stratégie est le plus préoccupant. La rentabilité ne peut présider seule à la remise en cause d’un statut qui a permis à l’AFP d’asseoir durablement sa renommée internationale. Les bonnes performances de l’AFP dans la période récente démontrent que des considérations d’ordre purement financier ne sauraient, à elles seules, justifier une modification de son statut.
La direction avance deux arguments principaux à l’appui de son projet de réforme.
D’abord, l’État accepte d’intervenir mais souhaite en échange des contreparties et notamment la possibilité de peser sur les décisions de gestion de l’entreprise. Or, s’il lui appartient de financer de façon pérenne les missions d’intérêt général de l’AFP, l’État ne saurait raisonnablement réclamer de contrepartie en termes de pouvoir décisionnaire de gestion et d’orientation sans prendre le risque de faire de l’AFP une agence d’État.
Ensuite, selon la direction, l’AFP aurait besoin d’une dotation de 65 millions d’euros, dont 45 millions d’euros en capitaux propres et 20 millions d’euros en autorisations d’endettement, pour mener à bien sa politique de développement. Or l’intersyndicale de l’AFP a souligné la rentabilité très incertaine des projets de développement et d’acquisitions menés jusqu’à présent par la direction et a prévenu contre le risque d’éloigner l’Agence de son cœur de métier, ces acquisitions étant souvent réalisées loin de son cœur de métier.
Dans ces conditions, je vous interrogerai, monsieur le ministre, sur les deux points suivants : comment pourriez-vous garantir le financement pérenne par la puissance publique des missions d’intérêt général qui incombent à l’AFP – le rayonnement international, la francophonie, la couverture géographique et linguistique exhaustive ? Comment comptez-vous répondre aux inquiétudes du personnel sur le risque, paradoxal, d’étatisation ou de privatisation qui pèse sur l’Agence ? La préservation de l’indépendance rédactionnelle doit constituer le principe cardinal de la gouvernance de l’Agence.
En conclusion, étant donné les réserves que j’ai émises précédemment, vous le comprendrez, je serai personnellement défavorable à l’adoption des crédits du programme « Presse » de la mission « Médias ». La commission de la culture a donné, quant à elle, un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias ».