Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du budget de l’audiovisuel nous donne l’occasion de faire un premier bilan de la loi du Président Nicolas Sarkozy supprimant la publicité et nommant les présidents de France Télévisions et de Radio France.
Mais, avant tout, je veux caractériser ce que veut faire le Gouvernement de l’AFP, troisième agence mondiale d’information, les deux autres étant anglo-saxonnes.
Va-t-on l’affaiblir, lui donner un nouvel élan garantissant son indépendance ? On nous parle de modernisation. Le PDG, Pierre Louette, lors de sa nomination, affirmait que les termes de l’article 2 du statut historique de l’AFP, élaboré en 1957, permettaient d’assumer les mutations. Or le Gouvernement lui a imposé un statut « clef en main », transformant l’AFP en société nationale de droit commun à capitaux publics. Jusqu’à quand ?
Les personnels de l’AFP ne veulent pas de ce nouveau statut. Ils connaissent une grande précarisation et, surtout, ils ont un souci essentiel : sauvegarder l’indépendance de l’agence. Nous sommes totalement solidaires des personnels et de sa grande composante journalistique.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, venons-en maintenant à France Télévisions, contre qui M. Sarkozy a prononcé une double peine : celle de l’étatisme, l’exposé des motifs de la loi conférant à France Télévisions un rôle de grand éducateur des populations ; celle de l’affairisme, les télés privées se voyant octroyer des plages de publicité supplémentaires, notamment au travers des coupures publicitaires dans les fictions, en application généreuse de la récente directive européenne « SMA ».
France Télévisions était fragile avant le vote de la loi, elle l’est tout autant depuis, et même encore plus.
Il y a en effet l’offensive du lobby TF1, comme on l’a vu au travers des amendements déposés en première partie de la loi de finances, amendements heureusement rejetés.
Il y a la diminution par le Gouvernement des 450 millions d’euros promis en compensation de la perte de publicité. Devant la réussite d’un plan publicitaire dynamique et adapté par les personnels de la régie, le Gouvernement a retenu 35 millions d’euros, qui auraient été bienvenus pour diminuer le déficit de France Télévisions.
Il y a la décision de la Commission européenne de faire un contrôle strict de France Télévisions pour remettre en cause les 450 millions d’euros.
Il y a les protestations des fournisseurs d’accès contre la taxe de 0, 9 % sur leur chiffre d’affaires créée par la loi, étant donné le rôle qu’ils jouent dans le domaine de l’image et leur absence de contribution à sa vie.
Il y a le plan visant au départ à la retraite non remplacé de 900 personnes, la renégociation de la convention collective avec une date butoir en 2010, le développement du global média sans financement spécifique, la volonté de vendre tout de suite la régie publicitaire.
Il y a le contenu du plan d’affaires signé entre l’État et France Télévisions en juin dernier, confirmant un déficit à France Télévisions.
Voilà une liste bien longue, assiégeant littéralement la maison et accentuant sa fragilité.
Ainsi, la réforme sarkozienne n’a pas les qualités que d’aucuns lui trouvaient. Tout cela « bourdonne d’essentiel » dans la maison.
En cet instant, après avoir rencontré des militants syndicaux, j’ai eu envie de donner la parole à l’un d’entre eux. On n’écoute pas assez les syndicalistes. Or nombre de réunions ont lieu à France Télévisions. Il s’agit d’un syndicaliste CGT, Marc Chauvelot : il est à France Télévisions comme un poisson dans l’eau, il y travaille depuis longtemps, il aime cette maison.
Voici, en substance, ce qu’il a déclaré : « Le modèle économique de transition de France Télévisions ne fonctionne pas bien. Rien ne s’est passé comme prévu et, pour les années qui viennent, rien n’est vraiment stabilisé. La régie publicitaire qu’on croyait blessée à mort par l’annonce du 8 janvier 2009 a résisté : 350 millions d’euros, au lieu des 260 millions d’euros estimés. En cause, la stratégie commerciale de TF1, qui a voulu profiter de sa situation de monopole en prime time pour imposer des tarifs trop élevés. En cause, la reconnaissance du marché des annonceurs, qui ont maintenu leurs investissements sur France Télévisions. En cause, l’esprit de fierté des commerciaux de FTP, qui ont voulu démontrer leur savoir-faire.
« Par contre, la publicité régionale et le parrainage en région et au niveau national connaissent un grand retard. Or, ce sont eux qui sont censés rester après 2011. On est à près de 10 millions de retard dus à la réduction des programmes courts, compte tenu du démarrage des programmes de prime time à vingt heures trente pour France 2 et France 3 et le compactage de la tranche de 19-20 sur France 3.
« Il y a eu aussi la crise économique. Les annonceurs ont favorisé leurs investissements en publicité classique.
« Mais c’est la stratégie de France 3 qui pèche. La valorisation des programmes nationaux au détriment des programmes régionaux. Moins de programmes régionaux, moins de publicité régionale. S’y ajoute la perte d’audience de France 3, qui n’est pas bien positionnée dans le référencement.
« Au-delà, se pose la question cruciale du modèle économique de transition, mais aussi du modèle économique définitif.
« Les 450 millions d’euros censés compenser la suppression de la pub après vingt heures ne sont toujours pas garantis au-delà de 2011. La compensation des recettes publicitaires en journée n’a aucun mécanisme dans la loi ».
Marc Chauvelot déplisse alors ce que j’ai expliqué au début de mon propos.
Il poursuit : « Il y a nécessité d’élargir le débat. En 2009, rien ne s’est passé comme prévu, il faut revoir le modèle économique de France Télévisions, la trajectoire du plan d’affaires et le contrat d’objectifs et de moyens.
« Nous demandons d’abord le maintien du droit, pour les antennes de France Télévisions, de faire de la publicité avant vingt heures.
« Nous demandons le maintien de la publicité en outre-mer – 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, 10 % du budget global de RFO –, qui ne sera pas de trop pour permettre à RFO de jouer pleinement son rôle dans le déploiement de la TNT.
« Nous proposons que les 450 millions de compensation de la suppression de la publicité après vingt heures soient intégrés dans le budget général de l’État et – pourquoi pas ? – reportés à terme sur le niveau et l’assiette de la redevance, constituant une seule ressource publique “fléchée”.
« Nous militons pour le maintien et la montée en charge d’une activité commerciale intégrée à France Télévision et gérée par FTP.
« Il faudra revoir les droits patrimoniaux sur les œuvres qui ne peuvent continuer à échapper aux premiers financeurs que sont les chaînes publiques.
« Il faut que l’offre commerciale en région sur tous les supports s’appuie sur la pérennité des programmes de France 3. Il y a un immense potentiel inexploité, largement supérieur aux 30 millions d’euros de chiffre d’affaires que représentait la publicité régionale dans le budget 2008.
« Le point de vue doit changer avec la nouvelle donne qui maintient intégralement la publicité sur les décrochages régionaux.
« Aujourd’hui, France 3 est en déshérence et n’a pas de politique de développement. Il devrait y avoir des idées de programmes régionaux en prime time, ce qui offrirait des possibilités de syndication publicitaire.
« Il y a toute une dimension à développer en région. Il y a de vraies perspectives commerciales. Il y aurait encore à dire mais j’ai voulu me concentrer sur la pérennité à assurer de France télévision.
« Je plaide avec mes camarades pour le maintien d’un financement mixte, un panachage, une diversification des ressources qui garantisse sur le long terme un financement pérenne et dynamique.
« Une dernière remarque : le temps de France télévision n’est pas celui du politique. C’est l’épreuve du réel qui doit nous guider. »
S’agissant de la discussion budgétaire, ce délégué syndical et moi-même nous sommes polarisés sur le statut financier de France Télévision. C’est bien normal !
Mais je n’oublie pas les raisons d’un service public de radio télévision, outil extraordinaire, dont la dimension populaire est exceptionnelle, qui est le principal lien social, ce qui explique son histoire tourmentée, qui doit être fidèle à un certain nombre de principes.
France Télévisions est confrontée à des défis nombreux et fondamentaux, ceux de la diversité et du pluralisme, de l’indépendance, de l’investissement dans les contenus, de la protection des œuvres, de leurs auteurs et de leurs interprètes, des nouvelles technologies.
C’est un décisif service public dont le financement reposerait exclusivement sur la redevance mise à niveau et sur une part publicitaire plafonnée, la nomination de son PDG relevant du vote de son conseil d’administration.
C’est à nous, avec les téléspectateurs, avec les personnels, avec ceux qui font la télévision de relever ces défis. La télévision et la radio publiques en sont une partie essentielle, y compris RFI, si malmenée actuellement.