Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus de vingt ans, il existe en France un large consensus politique pour reconnaître la nécessité de donner plus d’efficacité, plus de cohérence et plus de lisibilité à notre dispositif d’action audiovisuelle extérieure, dont les moyens sont saupoudrés entre des organismes différents et souvent même concurrents.
L’enjeu majeur et urgent aujourd’hui est la mise en œuvre de l’organisation de l’audiovisuel extérieur de la France, dont la réforme, voulue par le Président de la République, s’inscrit dans cette perspective après la création, en 2008, de la holding Audiovisuel extérieur de la France, AEF, avec l’État comme unique actionnaire.
Si nous voulons être constructifs, soyons d’abord critiques et employons-nous à être le plus objectifs possible dans nos analyses.
Le constat est simple. La France a disparu des radars sur la scène internationale. Aujourd’hui, les esprits sont majoritairement façonnés par CNN, BBC et Al Jazeera. Si la France veut retrouver toute sa place dans l’univers des médias internationaux, elle n’a pas d’autre choix que de rendre ses médias plus compétitifs.
Mais le pilotage de l’État reste encore flou. La stratégie de l’audiovisuel extérieur serait dévolue, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, la DGM, créée en mars 2009, qui a pour mission d’organiser la stratégie de la France dans tous les domaines, hormis la défense.
Si le programme 115 relève de la responsabilité de la direction du développement des médias, la DDM, pour le compte du Premier ministre, les décisions stratégiques ne sembleraient pas de son ressort. Au ministère de la culture et de la communication, on affirme pourtant « l’importance de l’audiovisuel extérieur ».
La nomination en avril 2009 de Louis de Broissia au titre d’ambassadeur chargé de l’audiovisuel extérieur, très bon connaisseur de l’audiovisuel au demeurant, et qui doit faire un rapport au printemps 2010, vient s’ajouter à nos interrogations sur le pilotage géostratégique d’un État actionnaire en mal de repères.
La lisibilité de la stratégie de l’audiovisuel extérieur passe, à l’évidence, par l’identification du pilote dans l’avion. La Cour des comptes ne s’y est pas trompée dans son rapport public de 2009, en renvoyant au politique l’arbitrage entre les différents acteurs et, en dernière analyse, en s’interrogeant sur le retour sur investissements des fonds publics engagés à ce jour dans l’audiovisuel extérieur : 316, 6 millions d’euros, soit une augmentation de 6 % par rapport à l’exercice 2009.
En tant que représentant du Sénat au conseil d’administration de la société Audiovisuel extérieur de la France, je ne peux, certes, que m’en féliciter. L’État actionnaire prend au moins la mesure de l’enjeu, à défaut de pouvoir organiser celle-ci dans les meilleures conditions.
Je tiens toutefois à souligner les incertitudes qui pèsent sur la répartition par la holding Audiovisuel extérieur de la France de sa dotation publique entre Radio France Internationale, France 24 et TV5 Monde. Le contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2009-2013, qui devrait définir la clé de répartition, n’a toujours pas été signé entre l’État et la holding AEF. Cette difficulté n’est pas étrangère à la situation sociale délicate que connaît RFI. Le pilotage stratégique de la holding pâtit de l’absence d’une concertation interministérielle opérationnelle.
En 2004, la question d’un plan de réorganisation de RFI avait déjà été posée aux administrations publiques de tutelle, sourdes à cette nécessité. Cette politique de l’autruche a fini par gangréner le climat social à RFI ; on en voit aujourd’hui les résultats.
Envisageons cependant l’avenir avec confiance. Alors que le plan de sauvegarde de l’emploi à RFI, conçu pour maîtriser les déficits récurrents, est encore en cours de négociation, va-t-on enfin doter RFI des moyens de se développer et de sortir de l’engrenage dans lequel l’actionnaire unique l’a conduit ? Va-t-on l’aider à stopper son déficit chronique ? Va-t-on l’aider à relancer ses audiences ? Le contrat d’objectifs et de moyens en préparation prévoit-il le développement de la diffusion de RFI en FM ? On le voit bien aujourd’hui, notre monde bascule dans l’univers des nouvelles technologies. Pensez-vous, monsieur le ministre, accompagner RFI dans sa mutation du multimédia ?
S’agissant de France 24, une idée du Président Jacques Chirac reprise par le Président Nicolas Sarkozy, quels sont les moyens qui vont être mis à disposition de la holding pour faire en sorte que cette chaîne puisse devenir mondiale, donc compétitive sur le marché d’informations internationales ?
Alors que la France préside l’Union pour la Méditerranée, peut-elle sincèrement se contenter d’une chaîne qui ne diffuse que dix heures d’arabe, langue stratégique, aux côtés, naturellement, du français et de l’anglais ?
Pour ce qui est de TV5 Monde, chaîne multilatérale francophone et société partenaire d’Audiovisuel extérieur de la France, qui possède 49 % de son capital, vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, le rôle essentiel de cette chaîne auprès des communautés françaises expatriées sur les cinq continents, des francophones et des francophiles, ni sans connaître la remarquable offre éducative pour apprendre et enseigner le français sur son portail, outil précieux qui permet de traverser les murs de l’école pour partir à la recherche de l’actualité politique et culturelle.
L’enveloppe dédiée aux programmes de TV5 Monde ne cesse pourtant de se dégrader en raison d’une gouvernance financière complexe et dont les clés de répartition entre « frais communs » de fonctionnement entre partenaires francophones et « frais spécifiques » français ne nous avantagent guère.
La variable d’ajustement de la part française du budget de TV5 Monde est ainsi nécessairement l’enveloppe dédiée aux programmes. Depuis 2007, la progression insuffisante de la subvention française et les régulations qu’elle a connues ont entraîné une diminution de l’enveloppe consacrée aux programmes français : elle est passée de 15, 6 millions d’euros en 2007 à 13, 9 millions en 2009, et chuterait encore à 12, 1 millions d’euros en 2010 si le premier arbitrage financier est maintenu.
Toujours est-il qu’il manque au prochain budget de TV5 Monde 2, 9 millions d’euros pour maintenir le niveau de sa programmation d’œuvres françaises. Ce manque nous empêche, en outre, de répondre aux obligations légales contrôlées par le CSA : 2, 9 millions d’euros, c’est 20 % du budget actuel des programmes français.
Si ces acquisitions sont déterminantes pour la production française et leur diffusion à l’international, pourquoi la chaîne ne trouve-t-elle pas, monsieur le ministre, les moyens de les financer par redéploiement ou augmentation de ses ressources propres ?
Soyons clairs sur ce point. Si les arbitrages budgétaires aboutissent à refuser les 2, 9 millions d’euros demandés, c’est un coup d’arrêt qui est donné à l’exposition de la création française à l’international : cinéma, fiction, théâtre et documentaires La décision, là encore, n’est pas seulement d’ordre budgétaire : elle relève d’un réel choix politique qui engage l’avenir. Monsieur le ministre, nous attendons des engagements.
Enfin, la présence médiatique de la France à l’extérieur ne saurait se limiter à l’audiovisuel. L’Agence France-Presse joue également un rôle primordial : elle est la seule agence d’information mondiale non anglophone et diffuse ses services en six langues, ce qui fait d’elle une entreprise française de la diversité culturelle bien avant la lettre.
L’AFP produit des dépêches, des photos, des infographies, de la vidéo et des documents multimédias d’une forte notoriété et d’une crédibilité incontestée. Son statut actuel, une entreprise sans capital et sans actionnaires, est, certes, original, mais inadapté au contexte opérationnel et compétitif d’aujourd’hui qui la prive de possibilité de financements suffisants.
L’AFP étant, en outre, dans l’impossibilité de financer sur ses fonds propres une croissance par acquisition qui lui serait indispensable, c’est le principe même de sa gouvernance actuelle qui est ainsi remis en question.
Á la demande de la puissance publique, qui représente 40 % de ses ressources d’abonnement, l’AFP a formulé une proposition de réforme du statut de l’entreprise axée sur la transformation en société nationale à actions, dont le capital serait détenu par l’État ou d’autres entités publiques, avec une participation minoritaire des personnels, et, parallèlement, la création d’une entité indépendante chargée de garantir l’indépendance rédactionnelle de l’AFP.
Je souhaiterais connaître, monsieur le ministre, la position du Gouvernement sur cette proposition, efficace compromis entre l’impératif absolu d’indépendance et la nécessité de doter l’AFP d’un actionnaire stratégique de long terme. Entendez-vous y donner suite en déposant un projet de loi en 2010 ?