Ces déclarations maladroites et injustes ont navré la communauté universitaire, dont les membres sont, pour l’essentiel, très investis dans leurs missions.
Oserai-je dire que je ne crois pas à l’utilité et à l’efficacité de propos vexatoires, quels qu’ils soient ?
Toutes ces raisons peuvent expliquer la cristallisation des oppositions suscitées par les projets de réformes, pour des raisons diverses, parfois justifiées, parfois moins et, parfois aussi, contradictoires. Cette situation a entraîné certaines dérives, souvent encouragées par l’extrême gauche, qui a soufflé sur les braises pour chercher à enterrer la loi LRU.
Or cette loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités est une absolue nécessité pour notre système d’enseignement supérieur et sa reconnaissance internationale, pour la valorisation et l’efficacité du travail de la communauté universitaire, et pour l’avenir des étudiants français.
Ceux-là mêmes qui descendent dans la rue réclament à cor et à cri une formation et des diplômes les préparant à une bonne insertion professionnelle. Il s’agit là d’un objectif majeur de la loi LRU. Le fait qu’elle soit caricaturée par une minorité, qui cache souvent son conservatisme et son corporatisme derrière de mauvais arguments, n’y changera rien.
Mais il est vrai que cette loi a emporté certaines conséquences regrettables, que le Sénat avait pourtant anticipées. Je pense notamment au mode d’élection du président de l’université, assorti d’une prime majoritaire à la liste gagnante. Ce mode de scrutin a abouti parfois à des paradoxes en cas d’opposition frontale entre deux listes d’enseignants-chercheurs majoritaires chacune dans un collège ; dans ce cas, les personnels et les étudiants ont disposé d’un pouvoir d’arbitrage exorbitant, qui les a d’ailleurs eux-mêmes parfois surpris.
Ce mode de scrutin n’a pas toujours non plus permis de faire émerger des équipes dirigeantes prêtes à affronter l’avenir sans regarder dans le rétroviseur. Or l’un des objectifs de la loi LRU est de donner les moyens au président et à son équipe d’avoir un projet pour leur établissement et de le mettre en œuvre.
Le comité de suivi de l’application de la loi, dont je suis membre, a d’ailleurs insisté dans son rapport annuel sur cette nécessité pour les établissements de se doter d’un véritable projet qui prenne en compte l’environnement de l’université.
Je m’arrête un instant sur ce point, madame la ministre, car il me semble révélateur de ce que nous, les sénateurs, pouvons apporter à notre pays.
J’ai été le rapporteur de cette loi, et j’ai le devoir de rappeler que j’avais anticipé les difficultés d’application dont on souffre aujourd’hui. Rappelez-vous à quel point j’avais dû me battre pour faire prévaloir certains points de vue, pourtant de bon sens ! Certaines de mes propositions ont été adoptées par notre assemblée ; certaines n’ont pas été retenues par la commission mixte paritaire. Je ne parle même pas de propositions évoquées très en amont, mais malheureusement vite écartées, telle la création d’un « Sénat » académique, comme on en trouve dans de nombreux pays étrangers.
A posteriori, je constate que les préoccupations sénatoriales étaient justifiées ; d’aucuns le reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui.
Je souhaite que l’on puisse en tirer des conséquences pour l’avenir et que le Gouvernement prenne davantage acte du fait que le Sénat incarne souvent la sagesse, dans le bon sens du terme.
Cela signifie aussi que, lorsque nous demandons qu’un temps suffisant soit consacré à la préparation ou à la mise en œuvre d’une réforme, il ne s’agit ni d’un effet de manches ni d’un caprice. C’est simplement le constat d’une nécessité. Tel a été récemment le cas lorsque le Sénat a voté le report d’un an de l’application de la réforme de la première année des études médicales. On peut être très favorable à une réforme et souhaiter donner le temps nécessaire à sa pleine réussite.
La question pourrait aussi se poser pour la « mastérisation » de la formation des futurs enseignants. L’enjeu de cette réforme est essentiel. Je rappelle que la loi LRU a permis d’intégrer les IUFM aux universités, afin de mieux préparer les futurs enseignants à leur métier et de valoriser celui-ci. Le projet de « mastérisation » de la formation des futurs enseignants a cette ambition. Toutefois, les modalités initialement envisagées posaient question. En particulier, la suppression de l’année de stage paraissait aller à l’encontre de l’objectif d’une meilleure préparation pratique des futurs enseignants à la réalité concrète de leur métier. Il ne faudrait pas que les évolutions proposées soient inspirées par les seules contraintes budgétaires.
Sur ce point, les précisions que vous avez apportées ces derniers jours devraient calmer bon nombre d’inquiétudes.
Les délais de mise en œuvre de la réforme paraissaient également peu réalistes. Là aussi, la progressivité de la réforme va dans le bon sens ainsi que la souplesse qu’elle permet en fonction du degré de préparation des établissements. De nombreux étudiants continuent cependant à s’inquiéter de la période transitoire. Certes, il y aura toujours une période transitoire. Il n’en reste pas moins que des clarifications doivent encore être apportées et qu’il faudra s’assurer de la pertinence des parcours et de l’articulation des concours avec les formations en mastère.
Autre sujet auquel j’attache beaucoup d’importance : la réforme de l’allocation des moyens aux universités. Elle était nécessaire. Au printemps 2008, les commissions des finances et des affaires culturelles du Sénat ont présenté des propositions visant à mettre en œuvre un nouveau dispositif, que nous avons appelé SYMPA, acronyme de « système de répartition des moyens à l’activité et à la performance ». Mais nous nous interrogeons sur ses modalités concrètes d’application. C’est pourquoi Philippe Adnot et moi-même allons engager une mission de contrôle sur ce point dans les semaines à venir.
À cet égard, je vous demande, madame la ministre, de mesurer précisément les conséquences de la répartition des crédits pour 2009. Ne favoriserait-elle pas les universités monodisciplinaires proposant un nombre important de mastères, au détriment des universités pluridisciplinaires accueillant de nombreux étudiants en licence, alors même qu’une priorité est utilement donnée dans le cadre du plan licence ?
Par ailleurs, la mise en œuvre de l’autonomie au sein des établissements concernés suscite des inquiétudes quant à la répartition des moyens entre les différentes composantes des universités. Les écoles internes d’ingénieurs, et surtout les IUT, craignent une diminution de leurs moyens.
Je crois que vous avez su les rassurer sur ce point, madame la ministre, au moins pour les années 2009 et 2010. L’équivalence établie entre travaux pratiques et travaux dirigés constitue une avancée ; pouvez-vous nous confirmer que ses conséquences financières seront prises en compte ?
Il me semble également très important que la charte de bonne conduite soit publiée sous forme de circulaire. Il s’agit là d’une condition préliminaire indispensable pour clarifier, dans la durée, les relations entre les universités et les IUT. Cela passe par un renforcement du dialogue budgétaire au sein des établissements.
Il convient de trouver une solution intelligente entre, d’une part, ce qui ne peut plus être un fléchage et, d’autre part, un traitement inadéquat qui consisterait à déshabiller Paul pour habiller Jacques. C’est essentiel, car il ne faudrait pas que les formations professionnalisantes performantes, dont les diplômés bénéficient d’un bon taux d’insertion professionnelle, fassent les frais d’un éventuel manque de rationalisation des moyens employés dans d’autres filières.
Bon sens et équité doivent prévaloir, en tenant compte à la fois des besoins réels des différents types de formations et de la bonne utilisation des moyens.
Enfin, la mise en œuvre pertinente de l’autonomie des universités suppose que chacune d’elles puisse adapter et organiser les moyens dont elle dispose en fonction de ses besoins, afin de remplir au mieux ses différentes missions. C’est pourquoi la modulation des services des enseignants-chercheurs va dans le bon sens.
Il est indispensable d’évaluer et de valoriser l’ensemble des missions des enseignants-chercheurs : l’enseignement, la recherche, et le pilotage, qui devrait d’ailleurs être davantage pris en charge par des personnels administratifs.
Je crois que les concertations sur le projet de décret ont permis de trouver un certain équilibre. La solution qui a émergé d’une répartition à parts égales des promotions arrêtées par le Conseil national des universités et de celles qui sont confiées aux universités est-elle idéale ? L’avenir le dira. Il me semble que certaines missions, la recherche notamment, peuvent s’évaluer plus logiquement au niveau national, tandis que d’autres semblent nécessiter plus naturellement la proximité.
Au-delà des débats parfois techniques qui animent à l’heure actuelle l’ensemble des parties intéressées, il nous faut prendre du recul et sortir de la défiance réciproque qui s’est instaurée. L’évolution du système d’enseignement supérieur et de recherche est indéniable. Elle n’est d’ailleurs pas propre à notre pays et est très souvent souhaitée par les acteurs concernés eux-mêmes. Elle est aussi liée à l’évolution des attentes de nos concitoyens à son égard.
Il appartient aussi à la représentation nationale d’assurer les enseignants-chercheurs et l’ensemble de la communauté universitaire de son estime et de sa conviction qu’ils assument, le plus souvent au mieux, un rôle fondamental pour l’avenir de notre pays et de ses jeunes. C’est avec eux qu’il nous faut construire les perspectives d’avenir, qui entraînent nécessairement des changements. La vie n’est-elle pas changement ?