Intervention de Claude Jeannerot

Réunion du 20 janvier 2010 à 14h30
Motion référendaire sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales — Rejet d'une motion référendaire

Photo de Claude JeannerotClaude Jeannerot :

Monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, quelle est l’ambition affichée de cette réforme ? Pour la connaître, référons-nous aux propos que vous avez tenus, ici même, dans cette enceinte, pas plus tard qu’hier. Il s’agit, avez-vous dit, d’« engager le chantier de la clarification et de la simplification que, collectivement, nous n’avons pas su faire aboutir en près de trente ans ».

Même si la formule est quelque peu lapidaire et simplificatrice, comment, dans un premier mouvement au moins, ne pas partager une telle ambition, qui, finalement, dans ce qui est dit en tout cas, vise à permettre une meilleure lisibilité de l’action et, donc, du fonctionnement des collectivités ? Nous qui, avec François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, avons inventé la décentralisation, comment ne serions-nous pas favorables à une réforme aboutissant, au bout du compte, car tel est l’objectif à atteindre, à mieux faire fonctionner notre démocratie ?

Messieurs les ministres, c’est parce que nous sommes des femmes et des hommes de progrès et de mouvement que nous étions prêts à accompagner toute initiative de réforme. C’est aussi pour cette raison que nous nous étions engagés sans réserve, au sein de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par Claude Belot, dans une réflexion jugée par tous comme audacieuse et « proactive ».

Le titre du rapport issu de ces travaux – Faire confiance à l’intelligence territoriale – a assigné, à lui tout seul, tout le sens de la démarche. Il n’y a rien d’étonnant, alors, à ce que les dispositions qui en sont issues soient, pour la plupart, innovantes, pragmatiques et porteuses d’une certaine méthode.

Au regard de votre ambition affichée, monsieur le ministre, on pouvait s’attendre à des convergences fortes avec les conclusions de ce rapport. Il n’en est rien. Où est l’erreur ?

Non seulement vos propositions ne servent pas les objectifs affichés, mais elles actent en outre un divorce absolu et contradictoire avec la position exprimée par la mission sénatoriale.

Après tout, les mots clés utilisés par le Président de la République pour justifier cette réforme – clarification, simplification, lisibilité, efficacité, optimisation –, nous pourrions les faire nôtres. Mais, là est le problème, ils ne connaissent aucune traduction effective dans les choix proposés. Entre vos dires et vos actes, la dichotomie est flagrante.

Qu’en est-il, par exemple, des compétences revisitées de l’État par rapport aux domaines transférés ? Il n’en est pas question, il n’en sera jamais question. Voilà pourtant un élément fondamental d’une réforme des collectivités territoriales. Quid de la clarification des compétences ? Elle est remise à plus tard. Quelle étrange logique !

Messieurs les ministres, dans le cadre de la discussion générale, déjà bien avancée, tout a été dit. La convergence des analyses devrait entamer votre certitude ou votre apparente sérénité – je ne sais comment qualifier votre état d’esprit.

Vous, monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, qui êtes un élu territorial, vous, monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, qui, comme moi, présidez un département, vous le savez bien, non seulement ce texte ne clarifie rien, n’optimise rien, mais il créera au contraire davantage de complexité et d’opacité, sans que jamais cela se traduise par des économies sur le plan financier.

Nul ne peut l’ignorer, ce texte, où tout n’est pas dit aujourd'hui, porte en germe des décisions susceptibles de mettre en cause la démocratie ; je pense évidemment au mode de scrutin.

Au-delà de tous ces arguments, deux raisons majeures me paraissent devoir être retenues pour justifier le recours à la voie référendaire.

La première a trait au choix du postulat, évoqué par de nombreux collègues, qui est au cœur de la réforme : le rapprochement entre la région et le département, d'une part, la création du conseiller territorial, d'autre part.

Ce faisant, vous dénaturez ces deux collectivités, vous niez la réalité du fonctionnement de nos territoires. Ce n’est pas seulement une erreur d’analyse, c’est un déni du réel. Vous le savez bien, notre organisation territoriale s’articule autour de deux grands types d’acteurs.

Il y a, d’abord, les acteurs de la stratégie : cela va de l'Europe à la région, en passant par l’État.

La région, c’est l’échelon de mise en œuvre des politiques stratégiques et économiques, des grands équipements, souvent engagés en partenariat avec l’État et l'Europe.

Il y a, ensuite, les acteurs de la proximité, issus du département, de la commune ou de la communauté de communes.

Monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, le département, c’est l’échelon des solidarités sociales, et il n’y a pas de solidarité sociale sans solidarité territoriale. Pour exercer ces compétences, la clause générale de compétence apparaît comme l’outil majeur.

Or la majorité s’en cache à peine aujourd'hui : il suffit d’écouter ce qu’en dit Jean-François Copé avec une tranquille assurance pour comprendre que tout prélude à une fusion certaine de ces deux collectivités.

En faisant un tel choix, vous allez immanquablement « rétrécir » les régions, qui, mon collègue Jean-Pierre Sueur l’a souligné, se trouveront engluées dans des politiques « cantonalistes » alors qu’elles ont à faire face à des enjeux stratégiques de première importance. Quant aux départements, avec des conseillers territoriaux qui passeront leur temps à sillonner les routes d’un territoire trop grand pour eux, ils s’éloigneront, à coup sûr, de toute réalité.

Mes chers collègues, hier, Philippe Adnot, avec lucidité et pertinence, a souligné le caractère inédit et unique du contenu de la réforme. Voici ce qu’il a déclaré à propos du choix d’instaurer un conseiller territorial, et je vous demande d’y être attentifs : « C’est la négation de l’existence pleine et entière des collectivités locales. Il n’y a pas d’exemple, nulle part ailleurs, de deux assemblées auxquelles on aurait imposé d’avoir les mêmes élus. » Je vous invite à entendre cette observation et cette analyse. Elle emporte, me semble-t-il, à elle toute seule, la nécessité de prendre le peuple à témoin.

Visiblement, d’autres l’ont dit plus éloquemment que moi et point n’est besoin de le développer davantage, c’est l'équilibre territorial qui est ici en cause, cet équilibre entre le monde rural et le monde urbain auquel nos concitoyens sont si attachés, non par conservatisme exacerbé, mais par la conscience qu’ils ont qu’une telle réalité « impacte » leur cadre de vie.

La seconde raison qui justifie le recours au référendum tient à la construction et à l’architecture mêmes du projet de loi. La remise en ordre des compétences est renvoyée à plus tard : aux termes de l'alinéa 1 de l'article 35, dans « un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, une loi précisera la répartition des compétences des régions et des départements ».

Comment comprendre et accepter une telle logique ? Vous définissez d’abord les modalités et présentez votre plan d’action. Mais vous ne dites rien de l’utilité supposée de votre dispositif ; vous renvoyez ce sujet à un débat ultérieur !

J’observe d’ailleurs que la commission des lois ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a jugé « imprécises ou dépourvues de portée normative » un certain nombre de dispositions du texte.

La méthode, elle aussi, est inédite et justifie le recours au référendum. Nous aurions alors la garantie de pouvoir expliquer à nos concitoyens, ce qui est évidemment en la circonstance une exigence minimale, la portée et le sens exact des réformes engagées par le biais d’un document global et complet.

Mes chers collègues, puisque nous semblons nous accorder ici sur la nécessité d’une réforme, sur la nécessité de faire plus et mieux pour nos territoires, alors, n’ayons pas peur de prendre à témoin nos concitoyens ! N’ayons pas peur de la démocratie !

S’il est une assemblée qui devrait, au-delà même des clivages politiques, ne pas hésiter à convoquer le peuple, c’est bien celle qui représente les territoires !

Certes, cher président About, ce sont des élus qui nous ont délégués au sein de la Haute Assemblée.

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