Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons à nouveau aujourd’hui, en deuxième lecture, la réforme de la médecine du travail, dont nous avons déjà beaucoup débattu.
M. le ministre ayant rappelé les différentes étapes et les principaux éléments, monsieur le ministre, je concentrerai mon propos sur les points restant en discussion.
La navette parlementaire a pleinement démontré son intérêt : l’Assemblée nationale, qui souscrivait aux objectifs de la réforme proposée, en a amélioré le texte, tant sur la forme que sur le fond.
Elle a par exemple intégré la prévention et la réduction de ce que l’on appelle la « désinsertion professionnelle » dans les missions des services de santé au travail. Il s’agit d’un complément cohérent avec l’ensemble des politiques publiques menées depuis quelques années en matière d’inaptitude au travail, notamment par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale.
Confier explicitement cette mission aux services de santé au travail renforcera nécessairement l’interaction entre les différents acteurs concernés, ce qui est positif.
À ce stade, seuls deux sujets restent véritablement en débat.
J’évoquerai, d’abord, le fonctionnement de l’équipe pluridisciplinaire.
La reconnaissance de la pluridisciplinarité doit être le cœur et le moteur de la réforme : le monde du travail s’est profondément transformé et, avec lui, les risques d’altération de la santé des travailleurs. Il est aujourd’hui nécessaire de faire appel à des compétences complémentaires à celles des médecins, que ce soit pour adapter les postes de travail et éviter les troubles musculo-squelettiques, pour limiter les expositions au bruit ou aux produits dangereux, ou encore pour prendre en compte les risques psychosociaux.
En outre, dans un contexte de démographie médicale tendu, le temps clinique du praticien sera mieux préservé dès lors que ce dernier pourra confier certaines tâches non médicales à d’autres spécialistes.
Notre rédaction de première lecture n’était pas suffisamment précise sur ce sujet. L’Assemblée nationale est utilement revenue au texte initial de la proposition de loi en précisant : « Les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers ». Dans la mesure où il est précisé, par ailleurs, que les « médecins animent et coordonnent l’équipe pluridisciplinaire », nous aboutissons à une formulation parfaitement cohérente, puisque chaque médecin devra animer et coordonner une équipe dont il fera bien partie.
J’en viens maintenant au second sujet, le plus discuté, celui de la gouvernance.
Tout d’abord, je crois utile de rappeler une avancée essentielle qui fait consensus : les conseils d’administration seront dorénavant strictement paritaires, alors qu’ils sont aujourd’hui, le plus souvent, composés aux deux tiers de représentants des employeurs.
De ce fait, a été introduite la notion de voix prépondérante du président, qui est indispensable dans tout organe paritaire pour pouvoir débloquer certaines situations exceptionnelles. Je pense sincèrement, d’après la teneur des auditions que j’ai pu conduire, qu’une telle disposition ne doit pas inspirer d’inquiétude ou nous conduire à avoir une vision manichéenne des choses : dans les faits, les décisions sont prises de manière plutôt consensuelle et partagée.
Plus largement, l’importance de cette question me semble surestimée par rapport à l’enjeu global de la réforme. Certains ont soutenu qu’il aurait fallu s’inspirer de l’exemple des prud’hommes, mais la situation y est radicalement différente : le président du tribunal n’a pas de voix prépondérante ; il est là pour organiser les débats et, en cas de partage des votes, l’affaire est renvoyée devant une formation, en nombre impair, présidée par un juge d’instance. Une telle procédure ne peut pas être transposée aux services de santé au travail, qui sont des associations dans lesquelles les conseils d’administration délibèrent sur des questions de gestion ou d’organisation interne.
Nos débats se sont ensuite focalisés sur la présidence du conseil. Plusieurs configurations ont été successivement envisagées.
Il fut question, d’abord, d’un président élu parmi les représentants des employeurs et d’un vice-président élu parmi les représentants des salariés. C’était la position de la commission mixte paritaire lors du débat sur la réforme des retraites ; c’était aussi celle des auteurs de la proposition de loi initiale et de notre commission en première lecture.
Il fut question, ensuite, d’un président et d’un trésorier élus alternativement parmi les deux collèges. C’était la position du Sénat en première lecture.
L’Assemblée nationale a trouvé une position intermédiaire : celle d’un président élu parmi les représentants des employeurs et d’un trésorier élu parmi les représentants des salariés.
Cette formule consacre un équilibre satisfaisant entre deux impératifs : la responsabilité de l’employeur, d’une part, et la participation des salariés aux décisions qui touchent à la santé et à la sécurité au travail, d’autre part.
En effet, aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur « prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette responsabilité personnelle constitue une obligation de résultat et, selon la jurisprudence, l’employeur doit en assurer l’effectivité. C’est d’ailleurs pourquoi l’entreprise finance les services de santé au travail.
De ce fait, il est logique que les représentants des entreprises adhérentes assument la présidence du conseil d’administration du service de santé au travail ; cette responsabilité est intimement liée à celle que l’employeur supporte vis-à-vis de ses salariés.
Parallèlement, il est tout aussi légitime que les représentants des salariés aient les moyens d’assurer un contrepoids au sein du conseil d’administration, ce que le poste de trésorier permet pleinement.
Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a évolué dans sa position, faisant une partie du chemin pour se rapprocher de celle du Sénat. À nous maintenant d’en faire autant.
Je me félicite également de ce que nos collègues députés aient finalement conservé, parmi les missions des services de santé au travail, celle de la prévention de la consommation de drogue et d’alcool sur le lieu de travail. C’est une précision à laquelle je tiens particulièrement et j’avais moi-même pris l’initiative de l’introduire dans le texte par voie d’amendement. Trop souvent, ces questions demeurent taboues, et la médecine du travail peut contribuer à changer cet état de fait. J’espère, monsieur le ministre, que les conventions d’objectifs et de moyens intégreront cette priorité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons tous être conscients de l’urgence de la réforme, car la médecine du travail traverse une crise sans précédent. Nous avons beaucoup débattu, nous avons amélioré le texte, notamment en renforçant par plusieurs mesures importantes l’indépendance du médecin du travail. Je crois sincèrement que nous aboutissons à une solution équilibrée, ouvrant la voie à une amélioration de la prise en charge de la santé au travail.
Pour ces raisons, la commission des affaires sociales a adopté le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale sans modification et souhaite que le Sénat fasse de même aujourd’hui.