Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 13 juillet 2005 à 15h00
Sauvegarde des entreprises — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de son examen par le Sénat, le projet de loi de sauvegarde des entreprises comportait 236 articles, parmi lesquels 122 restaient en discussion avec l'Assemblée nationale.

Les travaux du Sénat, sans remettre en cause la philosophie du texte et afin de parfaire le dispositif déjà amélioré par l'Assemblée nationale, ont permis d'apporter de très nombreuses modifications au texte.

Certaines modifications sont extrêmement techniques, car de nombreuses coordinations n'avaient pas été prévues. Ainsi, par exemple, les ordonnances modifiant le code monétaire et financier n'avaient pas été prises en compte. Si nous n'avions pas saisi l'opportunité de ce texte, il nous aurait fallu apporter ultérieurement des modifications au code de commerce.

D'autres modifications sont plus essentielles.

Ainsi, le Sénat a souhaité conforter les moyens de prévention et de détection des difficultés des entreprises. A cette fin, la mission et le statut du conciliateur ont été mieux définis, et les missions des commissaires aux comptes ont été précisées et harmonisées.

Les seuils d'inscription des créances des créanciers publics ont été supprimés afin que soit assurée une réelle information sur l'état de santé financière des entreprises. Je sais que cette dernière disposition a suscité quelques réflexions, notamment au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je rappelle que notre but est de favoriser l'alerte en matière de difficultés des entreprises. Si le seuil de 12 000 euros, qui a aujourd'hui été fixé par décret, a sans doute une signification négligeable pour une grande entreprise, il n'en est guère de même pour une petite structure. En effet, cela peut quelquefois représenter pour cette dernière huit mois, voire un an, de charges sociales impayées.

Je rappelle également que le Gouvernement nous a invités - et nous l'avons accepté - à préférer une échéance semestrielle à une échéance trimestrielle, afin de permettre tant aux administrations financières qu'à l'URSSAF de s'adapter. Nous constatons que plus de la moitié, voire 60 %, des défaillances d'entreprises concernent des entreprises comptant cinq salariés au plus. Si la procédure d'alerte ne jouait pas complètement, l'objectif serait manqué. Il était donc nécessaire, me semble-t-il, de maintenir l'absence de seuil. En revanche, l'échéance semestrielle permet d'avoir une idée précise de la santé financière d'une entreprise.

Le Sénat a également sécurisé et simplifié la procédure de sauvegarde en précisant ses conditions d'ouverture. Désormais, cette procédure ne peut être engagée que si le débiteur « justifie de difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements ».

Si nous avons apporté la précision « qu'il n'est pas en mesure de surmonter », c'est non pas pour embellir le texte, mais parce de nombreuses discussions ont eu lieu à l'Assemblée nationale pour préférer cette expression à « inévitablement » ou « à bref délai ». S'il s'agit de simples difficultés, il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure de sauvegarde. Même si d'aucuns ont trouvé cette précision inutile, il nous semble que le débiteur doit justifier qu'il n'est pas en mesure de surmonter les difficultés qu'il rencontre.

Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos. Une entreprise qui perd l'un de ses gros clients n'est pas immédiatement en cessation de paiement et ne le sera peut-être pas avant six mois. Il n'en reste pas moins que, si des mesures rigoureuses ne sont pas prises soit pour retrouver des clients, soit pour s'adapter à cette nouvelle donne, l'entreprise se retrouvera en cessation de paiement. C'est la raison pour laquelle cette précision était absolument nécessaire.

Cela permettra également d'éviter qu'un certain nombre d'entreprises ne profitent de cette procédure pour engager des restructurations économiques qui pourraient être opérées dans le cadre général.

Nous avons bien fait, je crois, même si certains en doutent encore, comme en témoignent les débats de ce matin à l'Assemblée nationale. De ce point de vue d'ailleurs, la commission mixte paritaire nous a donné raison.

Le Sénat a également encadré les modalités d'intervention de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, afin que cette institution ne soit pas utilisée contre sa vocation pour financer des entreprises in bonis qui ne connaissent pas de difficultés réelles. Ainsi, la mise en cause systématique de cette institution dans les contentieux prud'homaux a été supprimée et l'avance de fonds par l'AGS est désormais subordonnée à la justification, par le mandataire judiciaire, de l'absence de fonds suffisants du débiteur pour régler des créances salariales.

En tout état de cause, le Sénat a confirmé, par ses travaux, que cette nouvelle procédure ne pourrait donner lieu à une procédure de licenciement simplifié. Monsieur Yung, vous soutiendrez certainement le contraire, mais je vous rappelle que c'est la disposition que nous avons souhaitée et que nous avons fermement soutenue.

C'est bien le régime de droit commun qui s'applique, assorti de toutes les garanties procédurales l'accompagnant. On ne peut donc pas dire que, de ce point de vue, le projet de loi, notamment en matière de sauvegarde des entreprises, conduise à faciliter les licenciements.

Pour ce qui est des procédures de redressement ou de liquidation, nous n'avons rien changé par rapport au droit existant, et je ne vois pas pourquoi on reprocherait au texte qui va - du moins, je l'espère ! - être adopté tout à l'heure ce que l'on ne reprochait pas aux lois de 1984 et de 1985, relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, dont l'auteur était, comme chacun le sait, M. Robert Badinter.

Nous avons amélioré la procédure de redressement judiciaire en permettant, notamment, qu'il y soit mis fin avant l'adoption d'un plan lorsqu'il apparaît que le débiteur n'est plus en cessation des paiements.

La commission mixte paritaire s'est réunie le 8 juillet dernier. Elle est parvenue à un accord sur un texte équilibré.

Pour l'essentiel, le texte adopté par la CMP est celui du Sénat. Quelques différences sont toutefois à noter.

Tout d'abord, le conciliateur ne se voit plus obligé de préciser, en cas d'échec de la conciliation, s'il estime que le débiteur est en état de cessation des paiements.

Ensuite, l'obligation d'assurance du conciliateur, qui, dans notre esprit, y était liée, a été supprimée.

Par ailleurs, le tribunal peut se saisir d'office en vue de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, en cas d'échec de la procédure de conciliation, si le rapport du conciliateur fait apparaître que le débiteur est en état de cessation des paiements et que l'entreprise ne peut manifestement être redressée.

Enfin, le dispositif relatif au privilège reconnu aux façonniers a été amélioré.

Cette question avait été soulevée un peu tard. L'institution des façonniers est particulière, puisque ces derniers ne sont ni des sous-traitants ni des salariés d'entreprises. Il fallait donc tenir compte de cette situation.

Ce texte devrait permettre d'améliorer les dispositifs actuels en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises.

C'est pourquoi la commission des lois vous demande, mes chers collègues, d'adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.

Monsieur le ministre, je tiens à ajouter qu'il s'agit là d'une réforme profonde du droit des entreprises en difficulté. Nous avons voulu que ce texte soit applicable au 1er janvier 2006. Il faut que tous les acteurs concernés se mobilisent, au premier rang desquels le Gouvernement, qui devra s'attacher à faire paraître les décrets dans les meilleurs délais, ce qui est indispensable ; de plus, une circulaire non pas interprétative, mais d'application, serait, selon moi, la bienvenue pour éclairer les juridictions commerciales et les juridictions civiles chargées du commerce, ainsi, bien entendu, que tous les professionnels. Six mois ne seront certainement pas de trop pour que la réforme puisse s'appliquer dans les meilleures conditions à partir de cette date.

Cette modernisation, grâce à laquelle les entreprises pourront prévoir les difficultés plutôt que se trouver dans une situation généralement insoluble, devrait permettre de sauver nombre d'entre elles, nombre d'emplois, et c'est pourquoi elle s'inscrit parfaitement dans les desseins du Gouvernement, illustrés, notamment, par les textes qui seront adoptés au cours de cette session extraordinaire.

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