Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le budget du ministère de la justice progresse de 4 % en 2005 par rapport à 2004, alors que le budget général augmente de 1, 8 %, conformément aux prévisions de l'inflation.
Alors même que le nombre d'emplois autorisés dans le projet de loi de finances pour 2005, pour l'ensemble des services de l'Etat, est réduit de 7 188, il est prévu la création nette de 1 100 emplois pour le seul ministère de la justice.
Les crédits proposés intègrent évidemment la mise en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, dite LOPJ, dont ce sera la troisième année d'application.
Pour autant, ces éléments ne sauraient suffire pour considérer comme excellent le projet de budget du ministère de la justice pour 2005.
En effet, il est grand temps, à la veille de la mise en oeuvre complète de loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, de passer d'une culture de moyens à une culture de résultats.
Un budget qui augmente et qui prévoit des créations d'emplois n'est satisfaisant que si, parallèlement, les moyens alloués - qui proviennent de l'argent des contribuables - sont utilisés « au mieux », avec des résultats tangibles pour les citoyens.
A cet égard, les ministères « favorisés » en allocations de moyens, loin d'être exemptés d'une politique rigoureuse, doivent faire preuve d'une gestion exemplaire.
Tel est l'esprit dans lequel j'ai examiné le présent projet de budget.
Je noterai principalement, à propos de la gestion de l'exercice 2003, la confirmation de la dérive des frais de justice, dont les crédits deviendront limitatifs avec la LOLF. Les frais de justice, c'est-à-dire les dépenses de procédure restant à la charge de l'Etat - par exemple, les expertises, l'interprétariat ou les écoutes téléphoniques - ont augmenté de 17 % en 2003. Sur les deux dernières années, 2003 et 2004, la progression dépasse ainsi 40 %.
Monsieur le garde des sceaux, je sais que vous vous préoccupez de cette situation et que, sans remettre en cause la « liberté de prescription du magistrat », qui correspond à un désir de « plus de justice », vous préparez la mise en oeuvre d'un plan de rationalisation des dépenses.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'état d'avancement de cette rationalisation ?
L'année 2005 étant la troisième année d'application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ, un premier bilan s'impose.
La LOPJ a prévu, sur cinq ans, la création nette de 10 100 emplois budgétaires permanents, soit 950 magistrats, 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires, 3 740 personnels de l'administration pénitentiaire, 1 250 personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, 180 agents pour l'administration centrale et 480 postes pour la justice administrative. S'ajoute à ces créations le recrutement sur crédits de vacation de juges de proximité et d'assistants de justice, pour un équivalent plein-temps de 580 emplois.
A la fin de l'année 2005, compte tenu des créations prévues pour l'an prochain, le taux d'exécution des créations nettes d'emplois devrait s'établir globalement à 52 %. C'est pour l'administration pénitentiaire qu'il sera le plus satisfaisant avec 68 %. En revanche, le taux d'exécution est de 47 % pour la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, et de 39 % pour les services judiciaires.
Monsieur le garde des sceaux, comment allez-vous échelonner la suite des créations d'emplois et pouvez-vous vous engager à une application à 100 % de la programmation en 2007, tant de manière globale que par agrégats ?
La LOPJ a fixé le montant des autorisations de programme nécessaires au financement des investissements à 1, 750 milliard d'euros, ce qui correspond à un doublement du niveau moyen annuel des investissements du ministère de la justice.
S'agissant des autorisations de programme, 77 % concernent l'administration pénitentiaire, ce dont je me félicite, compte tenu de l'état des prisons qui constitue « une humiliation pour la République », pour reprendre l'expression employée par M. Jean-Jacques Hyest, dans le rapport d'une commission d'enquête sur les prisons, dont les travaux se sont déroulés il y a quatre ans.
Il ne faut pas oublier que le taux de surpopulation carcérale atteignait 114 % au 1er octobre 2004, chiffre moyen qui reflète des situations variables. C'est ainsi que la maison d'arrêt du Mans est suroccupée à près de 230 % au 1er décembre !
La LOPJ a prévu la création de 13 200 places supplémentaires en établissements pénitentiaires : 10 800 places réservées à la réalisation de nouveaux établissements pénitentiaires et 2 400 places dédiées à l'application de nouveaux concepts pénitentiaires adaptés à la diversité de la population carcérale, et ce afin d'éviter « la contamination par la promiscuité » - il s'agit là, monsieur le garde des sceaux, d'un sujet particulièrement sensible. Parmi les places ainsi créées, 2 000 sont prévues pour des détenus majeurs et 400 pour des structures exclusivement réservées aux mineurs.
L'importance du retard, avec les conséquences que cela implique tant pour la sécurité dans les établissements qu'en termes de promiscuité et donc de risque de « contagion », notamment pour les plus jeunes détenus, justifie, certes, ce programme substantiel, qui, d'une certaine manière, constitue une forme de prévention de la délinquance. Toutefois, un tel programme ne suffira pas si l'Etat n'adapte pas ses méthodes aux enjeux.
C'est pourquoi, en vue de la construction des prisons en particulier, l'Etat dispose maintenant, d'une part, de la possibilité de conclure avec des opérateurs privés des marchés à caractère global - conception, construction, aménagement -et, d'autre part, de recourir à la maîtrise d'ouvrage privée, en accordant une autorisation d'occupation temporaire du domaine public à un opérateur qui louera l'équipement à l'Etat dans le cadre d'un contrat de location avec option d'achat.
Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous indiquer précisément dans quelle mesure vous envisager d'utiliser ces procédures susceptibles de favoriser l'avancement du programme ? Disposez-vous d'une évaluation chiffrée de leur impact ?
A la date du 31 juillet 2004, soit après dix-huit mois, les autorisations de programme, au titre de la LOPJ, tous secteurs confondus, étaient engagées à hauteur de 44 %, alors que le taux théorique aurait dû être de 30 %. Ce résultat est le signe d'une volonté qu'il convient de souligner dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons.
Il existe, bien évidemment, un décalage dans le temps entre les autorisations de programme et les crédits de paiement, qui rend aujourd'hui prématurée l'annonce de chiffres significatifs.
Ainsi, pour la création d'établissements spécialisés pour mineurs, les études préalables se sont déroulées sur la totalité de 2003, tandis que l'année 2004 est largement consacrée à la mise en oeuvre des procédures prévues par le code des marchés publics.
Cela laisse supposer que les crédits de paiement pour les investissements devraient monter en puissance au cours des prochains exercices.
Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez m'apporter des indications chiffrées les plus précises possible sur la montée en puissance prévisible des crédits de paiement au cours des derniers exercices de la programmation.
La LOPJ a prévu l'ouverture de 2, 775 milliards d'euros de dépenses supplémentaires en dépenses ordinaires couvrant les créations d'emplois, les mesures relatives à la situation des personnels et le fonctionnement.
Compte tenu des crédits inscrits dans la loi de finances pour 2005, le taux d'exécution de la LOPJ s'établira, pour les dépenses ordinaires, après trois exercices, à 55 %.
Là encore, pouvez-vous nous assurer que le taux de réalisation, à l'issue de la programmation, sera de 100 % ?
S'agissant du projet de budget pour 2005 des services judiciaires, 100 emplois de magistrats et 255 emplois de greffiers seront créés.
Monsieur le garde des sceaux, la commission m'a demandé de vous faire part de son inquiétude face à l'évolution préoccupante de la situation des greffes, dont la charge de travail augmente sensiblement, les créations d'emplois de greffiers se situant à un niveau inférieur à ce que prévoyait la LOPJ. Quand comptez-vous procéder à l'indispensable rattrapage ?
La commission s'est aussi interrogée sur l'utilité des maisons de la justice et du droit, au regard des moyens qui leur sont consacrés. N'a-t-on pas cédé à une certaine mode consistant à créer, dans ce projet de loi de finances, des « maisons » à propos de tout ?
En ce qui concerne les juridictions administratives, l'augmentation continue du contentieux vous a conduit à prévoir, dans la LOPJ, la création de 210 emplois de magistrats et de 230 postes de greffiers. Au cours de chacune des deux premières années de la programmation, en 2003 et 2004, le taux d'exécution s'est établi aux environs de 20 %, laissant ainsi espérer une réalisation à 100 % en 2007. Malheureusement, les créations d'emplois seront deux fois moins nombreuses en 2005.
Vous connaissez les efforts accomplis par les juridictions administratives pour réduire les délais moyens de jugement.
Pour pouvoir atteindre ces objectifs, les juridictions administratives ne seraient-elles pas en droit d'obtenir que le « retard » pris en 2005 soit comblé dès 2006 ? Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous prendre aujourd'hui l'engagement de mettre fin à cette « pause » dès le prochain projet de loi de finances ?
S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, je relève que les crédits consacrés au secteur associatif habilité progressent de 20 millions d'euros, soit 8, 1 %, représentant ainsi 43 % du total.
Les moyens destinés au secteur public - soit 57 % du total - augmentent de 5, 9 millions d'euros, c'est-à-dire de 1, 7 %.
Ce projet de budget permettra la création nette de 107 postes pour la PJJ, sur un effectif de 70 497 emplois.
Le programme d'investissement de la PJJ est marqué par le lancement d'études et de marchés de maîtrise d'oeuvre pour quatre centres éducatifs fermés.
Enfin, l'année 2005 verra la mise en oeuvre de l'expérimentation du transfert aux conseils généraux des mesures d'assistance éducative, prévue par la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, comment se présente aujourd'hui cette expérimentation ?
J'ai analysé brièvement chaque indicateur de performance proposé dans le cadre de la LOLF et j'ai porté sur un certain nombre d'entre eux une appréciation critique. Pour les détails, je vous renvoie, mes chers collègues à mon rapport écrit.
Je tiens tout d'abord, monsieur le garde des sceaux, à rendre hommage à la qualité du travail effectué, dans ce domaine où l'évaluation semble difficile.
Je souhaite néanmoins vous interroger sur l'objectivité de l'autoévaluation de l'administration, souvent appelée à fournir ses propres chiffres, sans contrôle extérieur quant à leur pertinence ou à leur valeur.
Je constate qu'un certain nombre d'indicateurs sont encore en cours de construction et que plusieurs d'entre eux semblent complexes à définir. Ne faudrait-il pas choisir des critères plus simples à élaborer ?
Ne pensez-vous pas que certains indicateurs de gestion administrative, prévus dans le programme « soutien de la politique de la justice », comme la dépense moyenne de gestion par agent, pourraient être étendus à d'autres programmes ?
S'agissant du programme « administration pénitentiaire », ne serait-il pas opportun de créer des indicateurs sur la régularité du suivi médico-psychologique pour les délinquants sexuels, les pédophiles par exemple ?
Pour le programme « soutien », ne serait-il pas intéressant de prévoir un indicateur sur le montant et sur l'évolution du taux de transposition des directives communautaires de « compétence chancellerie », dans les délais requis par celles-ci ?
Enfin, ne croyez-vous pas que, à un terme raisonnable, certains indicateurs pourraient être individualisés au niveau du ressort des cours d'appel, voire de certaines juridictions ?
Vous aurez déduit de ces questions, monsieur le garde des sceaux, que j'escompte du Gouvernement un véritable dialogue en vue de la finalisation de ces objectifs et indicateurs de performance.
Enfin, je tiens à évoquer l'expérimentation de visioconférence, réalisée par la cour d'assise spéciale de la Marne, le 17 mai 2004, pour procéder à l'audition, en qualité de témoin, d'une personne détenue en un autre lieu. Cette audition, d'une durée d'une heure et d'un coût inférieur à 22 euros, a permis d'éviter la mobilisation de trois gendarmes pour la journée. Il s'agit donc d'une perspective intéressante, qui est appelée à se développer.
Toutefois, la visioconférence ne résoudra pas tout : la répartition des charges de surveillance des escortes de détenus entre police, gendarmerie et personnels de l'administration pénitentiaire devra être revue et clarifiée.
Monsieur le garde des sceaux, je sais qu'il existe des discussions entre votre ministère et celui de l'intérieur sur ces questions. Que comptez-vous faire pour débloquer une situation coûteuse et préjudiciable à l'efficacité de la justice et des forces de sécurité ?
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et de la précision avec laquelle, j'en suis persuadé, le ministre répondra à ces questions, la commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits du ministère de la justice prévus dans le projet de loi de finances pour 2005.