Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 8 juin 2010 à 21h30
Démocratie sociale — Article 8

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle :

L’article 8, qui vise à reporter de deux ans les élections aux conseils de prud’hommes, est évidemment un cavalier. Quoique …

La lecture du rapport Richard nous apprend que la désignation des conseillers prud’homaux sur le fondement de la loi de 2008 ne serait ni pertinente ni opportune. Il existe deux raisons à cela : la représentativité des salariés dans les TPE doit être finalisée, ce qui est l’objet du présent texte, et il n’existe pas de mesure de la représentativité des organisations patronales.

En conclusion, il faut trouver un système pour contourner cet obstacle. C’est l’une des raisons de la proposition de suffrage indirect faite par le rapport. Il faut aussi se laisser le temps d’une concertation avec l’ensemble des organisations.

Au-delà de ces raisons, c’est toute la prud’homie qui est visée par les projets du Gouvernement. Ainsi, 62 conseils sur 271 ont d’ores et déjà été supprimés, soit 25 % de la capacité de jugement. En outre, le temps d’étude des dossiers par les conseillers a été plafonné et l’indemnité restreinte en conséquence par décret.

Le Gouvernement a aussi engagé des évolutions de procédure lourdes de conséquences.

Je pense au développement du règlement amiable des litiges avec l’application de la procédure participative, déjà adoptée par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi traitant des auxiliaires de justice. Il s’agit de permettre aux parties de convenir de rechercher une solution amiable dans un délai déterminé avant de saisir le juge. Le problème est que cette procédure appliquée en matière prud’homale se substituerait à l’audience de conciliation, qui permet aux conseils de prud’hommes d’entendre les parties et d’intervenir activement, y compris pour l’instruction du dossier.

Le deuxième projet annonce un encadrement de la procédure, qui donnerait une plus grande place à l’écrit. Là aussi, la spécificité des juridictions sociales est largement ignorée. La procédure orale aux prud’hommes est importante pour une présentation humaine des faits.

Avec ces deux projets, on aboutit à une même conséquence : les plus fragiles, les moins argentés seront éloignés de l’accès au juge, parce qu’ils ne pourront s’exprimer et qu’ils devront prendre un avocat. On a déjà constaté que l’obligation de prendre un avocat spécialisé en cas de pourvoi en cassation dans une affaire prud’homale a entraîné une baisse consécutive de 30 % du nombre de pourvois dès l’année suivante.

Restreindre l’accès à la justice pour les plus faibles en supprimant des juridictions, entraver l’action des conseillers en plafonnant le temps indemnisé d’étude des dossiers sont des moyens détournés, mais efficaces, de réaliser des économies.

Un autre élément important doit être pris en compte : 80 % des jugements aux prud’hommes sont favorables aux salariés. Cela reflète malheureusement l’application du droit dans les entreprises, notamment les petites, où les employeurs n’ont souvent qu’une idée imprécise des droits des salariés.

Derrière les arguments de rationalisation et d’économies, l’application de ces réformes générales au droit du travail n’est pas innocente. Contrairement au droit des obligations, qui est fondé sur l’égalité des contractants, le droit du travail trouve sa spécificité dans la prise en compte de l’inégalité constitutive du rapport entre les employeurs et les salariés.

Restreindre l’accès aux prud’hommes et banaliser la procédure, c’est surtout obtenir moins de jugements rétablissant les salariés dans leurs droits. Ce n’est pas un hasard si tout cela se prépare sans concertation avec les syndicats de salariés.

Soyez assurés que nous serons très vigilants sur ce dossier !

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