Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 11 mai 2011 à 21h30
Immigration intégration et nationalité — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus à la dernière étape des travaux que nous avons consacrés au projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

À mes yeux, le texte adopté par la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 mai dernier, est équilibré, en partie grâce aux propositions de notre assemblée. Il reflète d’ailleurs largement les positions exprimées ici, notamment en seconde lecture.

C’est ainsi que certains ajouts qui avaient suscité des polémiques ont été supprimés : c’est en particulier le cas des dispositions relatives à la déchéance de la nationalité ou à la manifestation de volonté pour l’acquisition de la nationalité française des enfants d’étrangers, ou encore de celles qui ont trait aux pouvoirs de police du maire en matière de maintien de l’ordre lors des cérémonies de mariage.

Ce texte comporte néanmoins, et c’est là l’essentiel, certaines réformes profondes et fort utiles, dont je voudrais vous rappeler brièvement la portée. Je commencerai par celles qui modifient le plus profondément notre droit et qui sont susceptibles de concerner le plus grand nombre de personnes, avant d’évoquer celles qui, quoi qu’elles aient pu rencontrer dans les médias plus d’écho que les premières, apportent en réalité des changements plus limités au droit positif.

Le cœur de la réforme est constitué par la nouvelle architecture des mesures administratives d’éloignement.

Pour se représenter la portée de ces dispositions, largement inspirées par la directive Retour du 16 décembre 2008, il suffit de se reporter au rapport annuel relatif aux orientations de la politique de l’immigration et de l’intégration : déposé par le Gouvernement en mars dernier, ce rapport présente les données consolidées relatives à l’année 2009.

Il fait apparaître que le nombre de personnes mises en cause pour des infractions à l’entrée et au séjour s’est élevé, en 2009, à 96 109. Au cours de la même année, plus de 80 000 obligations de quitter le territoire français ou arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ont été pris, et 30 270 personnes ont été placées en centre de rétention administrative.

C’est dire l’importance d’une réforme consistant à ériger une nouvelle architecture des mesures d’éloignement, en conformité avec les dispositions de la directive Retour.

Aux deux dispositifs qui préexistaient, le texte substitue une mesure unique : l’obligation de quitter le territoire français, ou OQTF.

La directive Retour impose que cette OQTF soit assortie, en principe, d’un délai de retour compris entre une à quatre semaines ; c’est un délai d’un mois qui est retenu dans le projet de loi. Toutefois, l’OQTF sera exécutable immédiatement dans certains cas énumérés de manière limitative, conformément aux vœux du Sénat, et correspondant aux situations dans lesquelles le fait de donner un délai de départ volontaire conduirait, selon toute probabilité, à l’échec de l’éloignement. L’étranger sera alors rapidement placé en rétention administrative, dans l’attente de son éloignement. L’administration pourra également lui interdire de revenir sur le territoire européen pendant une durée comprise entre une et trois années, en motivant précisément sa décision au regard de la situation personnelle de l’intéressé.

S’agissant de la procédure contentieuse applicable dans le cas des étrangers placés en rétention, la commission mixte paritaire a finalement décidé que le juge des libertés et de la détention serait saisi dans un délai de cinq jours après le placement en rétention de l’étranger, aux fins d’en autoriser la prolongation.

Tout l’intérêt de la réforme réside en effet dans la clarification de l’organisation du contentieux, résultant de l’intervention désormais préalable du juge administratif.

Dans ces conditions, fixer un délai de quatre jours pour l’intervention du juge des libertés et de la détention, comme le Sénat l’avait décidé en seconde lecture, obligeait à prévoir un délai de 48 heures pour le jugement du tribunal administratif saisi de la régularité de la mesure d’éloignement, de sorte que celui-ci se prononce moins de quatre jours après sa saisine par l’étranger faisant l’objet d’une décision de placement en rétention.

Or le vice-président du Conseil d’État a attiré notre attention sur le fait que non seulement le tribunal administratif sera sollicité plus souvent qu’il ne l’est aujourd’hui – il sera en effet la première juridiction que l’étranger pourra saisir –, mais il aura en outre à connaître de contentieux rendus plus complexes par l’apparition des notions de délai de départ volontaire et d’interdiction de retour. Aussi nous est-il apparu préférable, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de lui laisser 72 heures, et non pas 48 heures, pour se prononcer.

Comme le prévoyait le projet de loi initial, le recours devra donc être examiné dans un délai de cinq jours suivant la saisine du juge.

Dès lors, afin de préserver l’esprit de la réforme, il est nécessaire que le préfet dispose également de cinq jours pour saisir le juge des libertés et de la détention. Nous n’ignorons pas que, par rapport à celui qui est actuellement en vigueur, ce délai peut sembler long à certains. Il faut toutefois rappeler que l’amélioration de la sécurité juridique des procédures et de leur lisibilité constitue un progrès qu’on ne saurait négliger.

Il convient également de souligner que, en ce qui concerne les caractéristiques de la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention, la solution préconisée par notre assemblée a été, pour l’essentiel, retenue.

C’est ainsi que le principe « pas de nullité sans grief » a été reformulé dans les termes du code de procédure pénale, afin que les garanties accordées aux étrangers soient les mêmes que celles dont bénéficient les personnes gardées à vue, même si, sur le plan juridique, les deux situations sont évidemment très différentes.

Surtout, le principe de l’effet dévolutif de l’appel sera maintenu, ce qui est conforme à la position constamment exprimée par le Sénat lors des deux lectures. Le double degré de juridiction n’est certes pas une exigence constitutionnelle ; néanmoins, prévoir ce double degré sans que le recours en appel soit pleinement effectif pourrait être contraire aux dispositions de l’article 13 de la convention européenne des droits de l’homme.

La deuxième raison d’être du projet de loi réside dans la transposition de la directive Sanctions du 18 juin 2009. Celle-ci prévoit des normes minimales en matière de sanctions et de mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Le projet de loi permettra de responsabiliser davantage les maîtres d’ouvrage et les donneurs d’ordre, mais également d’élargir les droits des travailleurs irrégulièrement employés, en particulier en matière financière.

L’Assemblée nationale avait adopté une série d’amendements à ce dispositif, afin d’exonérer les employeurs de bonne foi des diverses sanctions administratives ou judiciaires prévues par le texte. Pour sa part, la commission des lois du Sénat avait fait valoir que l’existence d’une intention est toujours requise pour qu’une infraction pénale soit constituée en matière délictuelle.

Sur ce point, la commission mixte paritaire a trouvé un équilibre entre la position du Sénat et la préoccupation exprimée à l’Assemblée nationale de ne pas pénaliser exagérément les employeurs de bonne foi : le rappel de la nécessaire intentionnalité du délit figurera expressément au sein des dispositions pénales du code du travail sanctionnant l’emploi d’étrangers sans titre.

En revanche, la commission mixte paritaire a retenu le texte adopté par le Sénat pour ce qui concerne les dispositions relatives aux sanctions administratives, telles que la fermeture de l’établissement ou l’exclusion des marchés publics. Dans ce domaine, en tout état de cause, la mesure ne peut être prononcée par le préfet que si les faits sont graves et répétés, ce qui exclut a priori l’employeur de bonne foi.

Troisième point important du projet de loi : la création des zones d’attente ad hoc.

La commission des lois avait souhaité délimiter précisément, dans le temps et dans l’espace, la possibilité de créer de telles zones, qui donneront à l’administration les outils juridiques nécessaires pour faire face, de manière exceptionnelle, à des arrivées de groupes de migrants en dehors des points de passage frontaliers.

En définitive, la commission mixte paritaire a décidé de limiter à vingt-six jours la durée de ce dispositif, soit la durée maximale du placement en zone d’attente ordinaire. De la sorte, conformément au vœu de notre assemblée, ce dispositif conserve bien un caractère exceptionnel.

La commission mixte paritaire avait également à se prononcer sur des ajustements portant sur les dispositions relatives à la nationalité et à l’intégration, qui constituent le quatrième volet important de ce texte.

Elle s’est ralliée à la position du Sénat s’agissant de la réintroduction de la manifestation de la volonté d’être français pour les enfants nés en France de parents étrangers. Cet ajout des députés était en effet clairement contraire à la règle dite « de l’entonnoir » et présentait, par conséquent, d’indéniables risques de censure constitutionnelle.

La commission mixte paritaire a également retenu la position du Sénat en prévoyant que, pour les conjoints de Français comme pour les étrangers souhaitant être naturalisés, l’appréciation de la maîtrise de la langue française doit tenir compte de la condition de la personne.

Sur divers autres points, la commission mixte paritaire a également retenu la position du Sénat.

Il en va ainsi des mariages dits « gris », qui seront réprimés, comme les autres mariages de complaisance, par une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 15 000 euros.

De même, en matière de droit au séjour des étrangers gravement malades, conformément à la position adoptée par le Sénat, c’est seulement en l’absence de traitement disponible dans leur pays d’origine que les personnes concernées pourront se voir délivrer un titre de séjour et seront protégées contre les mesures administratives et judiciaires d’éloignement. Le préfet aura toutefois la possibilité de délivrer un titre de séjour pour des raisons humanitaires, notamment après avis d’une commission médicale.

Les deux objectifs recherchés seront ainsi satisfaits : faire passer un message clair et s’assurer que, bien entendu, des titres de séjour pourront être accordés dans les cas médicaux les plus graves.

La commission mixte paritaire a enfin décidé de retenir le texte du Sénat pour ce qui concerne le droit d’asile. C’est ainsi qu’elle a rejeté la suppression pure et simple de l’aide juridictionnelle en procédure de réexamen. Seules seront exclues de ce dispositif les personnes qui auront pu faire leur demande dans de bonnes conditions, c’est-à-dire après avoir été préalablement entendues par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile, assistées par un avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle.

De la même façon, les demandeurs d’asile de France métropolitaine pourront s’opposer à leur audition par visioconférence et demander à présenter leurs observations directement devant la Cour nationale du droit d’asile.

Telles sont, mes chers collègues, les principales décisions prises par la commission mixte paritaire. Ses conclusions permettent, me semble-t-il, d’aboutir à un ensemble cohérent, qui nous donnera sans aucun doute les moyens d’atteindre nos objectifs : lutter efficacement contre l’immigration irrégulière tout en facilitant l’intégration dans les autres cas.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à approuver, dans la version qui nous est aujourd’hui soumise, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

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