Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des moments politiques qui marquent des engagements. Le mien fut marqué, dans ma jeunesse, par un gigantesque charcutage électoral, en l’occurrence celui auquel procéda Charles Pasqua. À l’époque, j’étais révolté, car on touchait à l’essence même de la démocratie.
Vingt-trois ans après, voilà que cela recommence ! Certes, vous avez adopté un style moins spectaculaire, afin qu’il n’y ait pas trop de scandale…
Vous n’avez jamais voulu du débat, ce fut votre ligne de conduite. Je parle du débat politique, démocratique, celui où les principes sont posés, où le mode de calcul de la représentation est clair et accepté par tous, et où, ensemble, nous cherchons les moyens de faire en sorte que, dans le respect des territoires – vous ne vous êtes même pas donné cette peine ! –, il faille être majoritaire en voix dans le pays pour être majoritaire en sièges à l’Assemblée nationale ! L’Assemblée nationale, c’est la nation tout entière !
En d’autres termes, il faut respecter le principe de la démocratie : « un homme – ou une femme –, une voix » ! Or, avec votre charcutage électoral, une voix de gauche comptera moins qu’une voix de droite.
En 2007, la gauche devait obtenir 50, 4 % des voix pour être majoritaire en sièges à l’Assemblée. En 2012, selon l’étude précise, qui ne fut jamais réellement contredite, de mon ami l’excellent député Bruno Le Roux, elle devra obtenir au moins 51, 4 % des voix !
Dans votre rapport, y a-t-il un équilibre ? Sur les trente-trois circonscriptions qui disparaissent, vingt-trois touchent la gauche et seulement dix la droite : ce n’est manifestement pas ce que l’on peut appeler un équilibre ! Sur les trente-trois circonscriptions créées, neuf auraient un député de gauche et vingt-quatre un député de droite : là encore, nous sommes très loin d’un équilibre !
Résultat : il n’y a qu’un seul gagnant, l’UMP, qui aura vingt sièges de plus ! Tous les autres groupes auront moins de députés.
Bruno Le Roux a également apporté une autre démonstration en se fondant sur le résultat des élections législatives de 2007. Avec le découpage actuel, c’est-à-dire, monsieur le secrétaire d’État, avant votre « retricotage », si la gauche avait recueilli 50 % des voix, elle aurait obtenu 279 sièges sur 577, contre 298 pour la droite, soit un différentiel de 9 sièges. Avec votre découpage, elle n’obtiendrait que 260 sièges, contre 317 pour la droite, qui serait ainsi largement majoritaire en sièges.
Bien entendu, tout cela est noyé, submergé même. Vous espérez que votre manœuvre passera inaperçue dans un contexte où les Français ont bien d’autres préoccupations, en particulier à cause de la politique économique injuste et inefficace de ce gouvernement. Manque de chance, la machine s’est grippée à différentes étapes ! La presse a examiné la situation de plus près, l’opinion a été alertée. Et je pourrais évoquer le dérapage qui a eu lieu ici, au Sénat, lorsque votre texte a été rejeté.
Vous aviez un mandat : faire triompher l’UMP aux élections coûte que coûte, même si les électeurs ne lui donnent pas la majorité, même si elle n’arrive pas à convaincre. C’est incroyable !
Et vous ne manquez pas d’imagination. Aux législatives, on charcute, on redécoupe les circonscriptions. Les conseils généraux et les conseils régionaux sont majoritairement à gauche ? On les supprime et on crée des conseillers territoriaux élus au scrutin uninominal à un tour ! L’UMP arrive en tête au premier tour en faisant l’unité de son camp, mais reste très loin des 50 % nécessaires à une majorité et n’a pas de réserve de second tour ? On invente le scrutin à un tour, qui permet d’être élu avec 30 % des voix, voire moins ! Vous nous présentez des projets que l’on peut qualifier « de convenance UMP ». Notre belle démocratie ne mérite pas de telles humiliations !
L’exemple de Paris est instructif. En effet, Paris, où je suis élu, mérite une attention particulière de la part du Gouvernement et, bien entendu, de l’Élysée. Que ce soit avec ce découpage ou avec le projet de Grand Paris, vous cherchez à regagner le pouvoir par des moyens autres que la conviction et l’adhésion des électeurs à vos projets.
Paris perd 3 députés et aura une moyenne de 181 187 habitants par circonscription, soit l’un des taux les plus élevés de France. Pourtant, si vous n’aviez supprimé que deux sièges, la moyenne parisienne se serait établie à 114 809 habitants, soit un niveau équivalent à la moyenne nationale.
Le choix d’autres méthodes statistiques aurait abouti à un résultat beaucoup plus juste et aurait même permis de garantir l’égalité des électeurs devant le suffrage universel.
Je tiens à souligner et à regretter la pulvérisation qu’a subie la première circonscription, détenue par Martine Billard, alors que sa population était au niveau de la moyenne parisienne avant le redécoupage ! Je note aussi votre tentative de déstabilisation de la onzième circonscription, détenue par Patrick Bloche, consistant à l’étendre vers le nord et vers les quartiers du sixième arrondissement acquis à la droite, tout en lui retirant les quartiers du sud du quatorzième, qui votent traditionnellement plus à gauche.
Monsieur le secrétaire d’État, dès la communication du premier projet à la commission Guéna, vous avez montré votre volonté de faire payer à la gauche, et exclusivement à la gauche, la suppression de ces trois circonscriptions parisiennes. Pour cela, vous n’avez pas hésité à « surpeupler » les circonscriptions de l’est de la ville, qui avaient voté pour des députés socialistes et Verts, et à « sous-peupler » celles de l’ouest, détenues par l’UMP.
Pour arriver à vos fins, vous n’avez eu d’autre choix que de mépriser totalement la jurisprudence du Conseil d’État, selon laquelle les frontières des circonscriptions parisiennes doivent le plus possible respecter celles des arrondissements et des quartiers administratifs. Dans votre projet, vingt et un de ces quartiers sur quatre-vingts se voyaient ainsi à cheval sur deux circonscriptions, alors qu’il n’y en a que six actuellement.
Après la première et la onzième circonscription, votre troisième cible était la dix-septième circonscription, qui englobe une partie des dix-septième et dix-huitième arrondissements et que détient Annick Lepetit. Ce que vous avez tenté d’y faire est un exemple éloquent de vos pratiques et de vos véritables objectifs.
Puisque les circonscriptions du seizième arrondissement n’étaient pas assez peuplées, vous deviez en supprimer une. Mais pour ne pas faire perdre un siège à l’UMP, vous avez inventé un découpage alambiqué afin de noyer les voix de la seule circonscription de gauche du nord-ouest parisien. Heureusement, vous n’avez pas réussi ! Finalement, après deux avis négatifs de la commission Guéna et un autre du Conseil d’État, vous avez fini par céder en ne rattachant pas le huitième arrondissement à cette circonscription. Il était temps !
Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que, si le Conseil constitutionnel valide votre projet, nous continuerons à alerter les Français, et les Parisiens, pour qu’ils entendent bien votre appel, car c’est bien un appel que vous adressez aux électeurs.
Les Français devront encore plus qu’auparavant voter à gauche s’ils veulent une alternance. Et ils la voudront, à n’en pas douter, pour sanctionner non seulement votre politique économique et sociale, mais aussi votre mépris de la démocratie !