Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, censuré partiellement par le Conseil constitutionnel, entaché de lourds soupçons sur l’honnêteté de la démarche, statistiquement totalement infondé, désavoué même par le Conseil d’État, refusé en première lecture au Sénat, passé en force à l’Assemblée nationale via la procédure du vote bloqué qui permet au Gouvernement de demander un vote sur un texte comportant seulement les amendements qu’il a approuvés, recours aux ordonnances, voici que revient à l’ordre du jour du Sénat ce fameux texte sur le découpage des circonscriptions.
Parler de « passage en force » serait un euphémisme. Considérer qu’il s’agit de « brutalité institutionnelle » est encore un peu tendre. Dire que c’est un « acte antidémocratique » s’approche plus de la réalité.
Monsieur Marleix, il a été maintes fois fait référence, au cours du présent débat, comme lors du précédent, à votre rôle dans le triste redécoupage de 1986.
Considéré comme un horizon indépassable en termes de manipulation électorale, ce palier a tout de même été franchi avec ce nouveau redécoupage.
La censure du Sénat montre bien que votre projet de loi crée un véritable trouble au sein même des élus de droite. Certains des membres de votre majorité n’hésitent pas à dénoncer ce texte. Quelques-uns ne se retrouvent pas dans les chiffres fournis pour justifier le redécoupage de leur circonscription. D’autres se voient offrir – heureux hasard pour la majorité présidentielle – un lot de consolation en échange d’une circonscription qui disparaît.
Pour les élus de gauche, nous assistons à un véritable hold-up.
À l’image de l’instauration des conseillers territoriaux, le Gouvernement tente à tous les niveaux et par tous les biais de capter durablement le pouvoir dans le plus total mépris des principes démocratiques les plus essentiels.
À titre d’exemple, les députés non concernés par le redécoupage sont soixante-treize au groupe socialiste de l’Assemblée nationale, soit 35 % du groupe. Ils sont neuf au groupe GDR, soit 35 % du groupe. Mais ils sont cent quarante au groupe UMP, soit 45 % de l’effectif de ce groupe. Ainsi, étrangement, le pourcentage des députés « protégés » augmente de 10 % quand il s’agit de la majorité présidentielle.
Par ailleurs, comme nous l’avons dénoncé à de multiples reprises, ce texte n’a pas fait l’objet d’une réelle expertise neutre et objective. Je vous propose alors de procéder à l’exercice suivant : appliquons les règles du nouveau redécoupage aux dernières élections législatives et mesurons les écarts.
Si l’on appliquait les mesures prévues par ce texte aux élections de 2007, l’UMP aurait gagné vingt sièges par le simple effet du redécoupage. Le parti présidentiel serait ainsi l’unique et grand victorieux de cette manœuvre puisque le Nouveau Centre ne gagnerait, quant à lui, aucun député supplémentaire. À gauche, on enregistrerait le phénomène inverse : le groupe socialiste perdrait onze représentants et le groupe GDR trois.
Par ailleurs, sur les trente-trois circonscriptions qui seraient créées, neuf donneraient lieu à l’élection d’un député de gauche et vingt-quatre à celle d’un député de droite. Sur les trente-trois circonscriptions qui seraient supprimées, vingt-trois concernent la gauche et dix seulement la droite, alors qu’elle détient plus de sièges.