Non seulement les États risquent d'être privés de leur quasi unique ressource fiscale, les droits de douane, mais nous savons aussi que de nombreux secteurs de leurs économies ne pourraient résister à un abaissement des protections douanières et à une mise en concurrence non maîtrisée avec l'économie européenne.
Toutes les filières productives, industrielles mais surtout agricoles, en Afrique subsaharienne sont fragiles : coton du Mali et du Burkina, oignons du Niger, riz du Sénégal. Privés de subventions et de moyens de transport, les agriculteurs du Sud seraient menacés de disparition et leurs pays, de toute autonomie alimentaire, si on laissait le seul marché dominer leurs échanges avec l'Union européenne, sans régulation et sans mesures d'accompagnement techniques, sociales et financières.
De même, les petites et moyennes entreprises africaines ne résisteraient que grâce à la mise en place d'un Small Business Act qui assurerait leur accès préférentiel aux marchés publics.
Il faut donc vraiment se donner un délai supplémentaire pour négocier les APE, tenir compte du fait que tous les pays ACP ne sont pas en mesure de signer ces accords au même moment et prévoir des mesures transitoires sur une vingtaine d'années.
L'objectif de l'accord de Cotonou est-il le développement ou simplement la réciprocité dans l'ouverture des marchés ? Ces APE, qui sont aujourd'hui au coeur de la relation Union européenne-ACP, ne doivent pas s'inscrire dans une optique économique purement libérale, mais dans une perspective progressiste visant le développement.
Dans le même sens, permettez-moi de souligner également, au nom de notre collègue Jacques Gillot - celui-ci, pensant ne pas être en mesure d'assister à cette séance, m'avait chargée d'être son porte-parole, mais je salue sa présence inespérée dans l'hémicycle -, les inquiétudes des départements d'outre-mer.
En effet, la perspective de l'entrée en vigueur des nouvelles règles applicables au sucre en 2009, combinée aux APE, suscite un certain pessimisme.
Certes, les APE seraient une bonne chose s'ils permettaient, par le biais du CARIFORUM, le forum des États ACP des Caraïbes, dont les négociations sont très avancées, une meilleure intégration des départements français d'Amérique dans la Caraïbe, mais, malheureusement, nos départements de la Caraïbe n'en sont pas membres.
Il n'en demeure pas moins que l'ouverture selon le principe quota-free/duty-free des marchés européens aux productions de bananes et de sucre des pays ACP mettra les DOM en situation de forte concurrence. Or on sait que ces productions sont vitales pour les économies domiennes.
J'attire également votre attention sur la question de l'octroi de mer. Il est vrai que la Commission européenne a refusé jusqu'ici de le faire figurer à la table des négociations. Mais qu'adviendra-t-il si les pays ACP exigent qu'il y figure ? J'ai parlé de la relation de confiance avec les pays ACP. Or ils peuvent en effet voir dans l'octroi de mer un élément de concurrence déloyale. La France contribuera-t-elle à changer cette politique de la Commission européenne et à l'engager à revenir aux principes fondateurs ?
Les principaux objectifs de l'accord doivent être la réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté, ainsi que l'intégration progressive des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans l'économie mondiale, en situation d'égalité, tout en respectant les objectifs du développement durable.
Je le dis aussi au nom de mon collègue Jacques Gillot : nous voudrions être sûrs en votant ces textes que ces principes seront respectés.
Nous nous inquiétons toutefois de ce que la politique actuelle du Gouvernement, loin d'incarner une quelconque « rupture », semble mettre allègrement ses pas dans ceux de la vieille politique africaine de la France, sans vouloir tirer les conséquences des erreurs du passé et des changements survenus depuis dix ans sur le continent africain.
L'engagement de l'ancien Président de la République, M. Chirac, concernant l'aide publique au développement ne sera pas tenu, ni aujourd'hui ni demain, puisque le projet de budget pour 2008 n'apporte pas d'augmentation de la part française d'aide au développement - vous avez dit devant la commission des affaires étrangères, monsieur le secrétaire d'État, que nous faisions une « pause » cette année : admirable euphémisme ! - et qu'aucune mesure financière n'est prévue pour les prochaines années en substitution de la clôture des opérations d'annulation de la dette.
Finalement, nous demandons de veiller à une meilleure programmation du 10e FED, par exemple en fixant des objectifs politiques qui consisteraient à affecter 20 % des montants à la santé ou à l'éducation de base dans les pays ACP.
L'Union européenne doit aussi veiller à dégager les financements nécessaires afin de garantir l'accès des pays africains à des énergies propres. Sans énergie, le développement n'est pas possible.
Voilà pourquoi le vote positif du groupe socialiste ne doit pas être considéré comme étant un chèque en blanc délivré au Gouvernement, mais, bien au contraire, comme étant un vote constructif et exigeant destiné à édifier une autre relation avec nos partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
Notre vigilance sur la négociation et l'application des accords de partenariat économique qui constituent la suite logique des accords que nous ratifions aujourd'hui sera donc très grande et nous demandons que, dans ce domaine, la France sache prendre son temps et faire prendre son temps à l'Union européenne.