Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 16 décembre 2004 à 9h45
Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le projet de loi lui-même, mon propos sur la reconnaissance sera surtout axé sur les suites de la guerre d'Algérie, mais il concernera aussi les rapatriés de Tunisie, du Maroc et des territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

Je ne vais pas revenir sur les causes et le déroulement du drame algérien. Ces points ont été développés par les nombreux orateurs qui m'ont précédé, particulièrement par vous, monsieur le ministre.

A cet instant, j'ai une pensée pour toutes les victimes, civiles et militaires. Nous sommes nombreux ici à avoir vécu intensément, de près ou de loin, ce que l'on appelait à l'époque « les événements d'Algérie » ou les « opérations de maintien de l'ordre », reconnus comme guerre par la loi du 18 octobre 1999.

A ce sujet, il est pour le moins surprenant, monsieur le ministre, que vous ayez émis un avis favorable sur un amendement voté par l'Assemblée nationale et contenant le mot « événements » plutôt que celui de « guerre », plus conforme à la loi du 18 octobre 1999 que je viens de citer.

Pendant les années soixante, plus particulièrement en 1962, la « métropole », comme l'on disait, a vu arriver tous ces Français d'Algérie, les rapatriés. Avec quelques valises et la tête pleine de souvenirs, ils ont débarqué sur un sol qu'ils ne connaissaient pas, un peu perdus, tristes, très tristes, choqués, amers d'avoir tout laissé derrière eux. Même porteurs de leurs traditions, leur joie de vivre profondément méditerranéenne ne se lisait plus sur leur visage.

L'accueil des métropolitains fut mitigé, la réadaptation parfois longue, la vie quotidienne souvent difficile dans des appartements trop petits pour les familles les plus nombreuses. Avec un recul de plus de quarante ans, on mesure encore plus la dose de courage qu'il a fallu à ces familles pour retrouver leur dignité sur les plans social et professionnel.

En même temps, arrivaient des milliers de harkis. Mais c'était moins visible, car ces rescapés étaient parqués dans des camps. Pour avoir exercé quelque temps dans les classes destinées à leurs enfants, je ne peux pas oublier la forte volonté de la cinquantaine d'adolescents dont j'avais la charge², leur soif de savoir, en un mot leur aspiration à s'en sortir et à s'intégrer dans un environnement hostile.

Aussi nous paraît-il judicieux d'inscrire dans la loi que les enfants des anciens supplétifs ou assimilés bénéficient d'un traitement prioritaire pour leur insertion sociale ou la validation des acquis de l'expérience, et que ceux qui ont séjourné pendant trois ans au moins dans des camps ou des hameaux de forestage perçoivent une indemnité forfaitaire en capital.

Permettez-moi de saluer les bénévoles et leurs associations qui, dès 1962 et encore aujourd'hui, ont apporté et apportent une aide matérielle et psychologique à ces compatriotes profondément meurtris. Je n'oublie pas non plus les militaires qui, en dépit des ordres donnés par leur hiérarchie, ont sauvé des milliers de supplétifs.

Pour tous ces Français, le devoir de réparation s'impose, tant moral que matériel.

Ce texte doit être l'occasion de reconnaître avec plus de force la responsabilité de la nation qui, après le 19 mars 1962, a abandonné les harkis. Alors qu'ils avaient choisi de servir la France, 150 000 d'entre eux furent abandonnés à un sort souvent terrible... De 70 000 à 80 0000 - on ne connaît pas très bien leur nombre - ont été torturés et tués dans des conditions horribles.

Sur tous ces épisodes indignes, qui ont engendré des massacres et des disparitions de pieds-noirs ou de harkis, il est indispensable que la lumière soit faite. Dans ce but, nous proposons un amendement visant à préciser le rôle de la fondation créée par l'article 1er ter, notamment pour que, de concert avec les autorités algériennes, des recherches soient entreprises sur la période qui a succédé au cessez-le-feu.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est-il une quatrième et dernière loi d'indemnisation ? Pas réellement, car il se contente de corriger les défauts les plus criants des lois précédentes et complète les mesures en faveur des harkis. Il faut cependant reconnaître à ce texte la volonté d'apporter des éléments de reconnaissance morale, dont les rapatriés et les harkis sont particulièrement demandeurs, car les victimes de cette période difficile ne sont plus très jeunes ; certaines même ne sont plus là.

Lors de nos rencontres, je note que, par delà les questions matérielles et financières, tous ont envie, non pas de tourner la page, car ces moments douloureux demeurent vivaces, mais d'apporter de la clarté et de la lumière au sombre tableau de cette période qu'ils ont vécue. En un mot, après plus de quarante ans, ils aspirent à en finir avec ce lourd passé.

Je donnerai un seul exemple s'agissant de la restitution aux rapatriés des sommes prélevées sur des indemnisations pour des biens dont ils ont été dépossédés, prévue à l'article 5. J'ai reçu la visite d'un agriculteur rapatrié d'Algérie qui a eu la force et le courage de se réinstaller en métropole. Il m'a dit, avec beaucoup d'émotion : « On ne demande que justice et équité en réclamant une revalorisation. Cela fait quarante ans, j'ai pris de l'âge : il ne faudrait pas que les décrets soient encore un motif pour reculer l'échéance de plusieurs mois ou plusieurs années. »

Les rapatriés et les harkis qui attendent que soient soldés leurs droits à réparation sont sensibles à toutes les manifestations de mémoire qui les relient à leur département algérien d'origine, à leurs traditions et à leurs croyances. II faut donc saluer l'action menée par le président du conseil régional Provence - Alpes - Côte d'Azur, M. Michel Vauzelle, et consistant à intervenir dans des cimetières chrétiens ou juifs situés en Algérie. Quant aux harkis, ils apprécient l'écoute des municipalités qui aménagent les cimetières pour respecter les rites de leur religion.

Cette douleur, même estompée, a été transmise aux générations suivantes ; je suis frappé de le constater. C'est dire combien cette soif de reconnaissance et de réparation reste profondément ancrée dans les familles.

Pour illustrer mon propos, je citerai une phrase d'une lettre que m'a adressée l'un de ces enfants, une jeune fille qui vit dans mon village : « Concernant l'allocation de reconnaissance, ce n'est pas du tout clair et risque de ne pas être bien compris par les vieux harkis. De plus, choisir entre une augmentation de la rente ou le versement d'un capital de 30 000 € apparaît à beaucoup de personnes comme étant un peu le miroir aux alouettes, car beaucoup craignent qu'il ne s'agisse là que de verser ce capital et de ne plus engager véritablement de discussion quant à l'indemnisation des harkis... ».

C'est dans cet état d'esprit que j'aborde l'examen de ce projet de loi qui avait pour ambition, à l'origine, de solder le contentieux. Mais force est de constater que cet objectif n'est atteint que très partiellement dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. De nos rencontres et des nombreux courriers que nous avons reçus, il ressort un grand sentiment de déception.

Sans aucune intention d'engager une quelconque polémique, qui serait déplacée lors de l'examen d'un tel texte, je regrette qu'un amendement déposé par MM. les députés Spagnou et Chassain solennise finalement la date du 5 décembre comme journée commémorative de la guerre d'Algérie.

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