Je voudrais maintenant revenir sur certains points qui me paraissent significatifs de la teneur politique de ce projet de loi, loin du social et porteur de la logique ultralibérale du MEDEF.
S'agissant tout d'abord des licenciements économiques, si la notion de « sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise » n'a pas été inscrite dans le marbre de la loi, ce texte n'en est pas moins revenu sur une jurisprudence qualifiée pudiquement par notre rapporteur « d'inadéquate », car faisant obligation à l'employeur d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque ce dernier propose à dix salariés une modification de leur contrat de travail. Les salariés se rendront compte rapidement que cette modification est des plus nocives.
Par ailleurs, vous avez enfermé le contentieux du licenciement dans des délais tellement dérisoires qu'il sera désormais impossible pour les salariés ou leurs représentants de contester la procédure et le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi. Ainsi est du même coup paralysée l'intervention du juge, que le MEDEF souhaite à tout prix écarter.
Mais, surtout, l'air de rien, au détour d'un amendement « de bon sens » du Gouvernement, vous avez mis fin à la jurisprudence « Samaritaine », laquelle rendait possible, après annulation d'un plan de sauvegarde de l'emploi et prononciation de la nullité du licenciement, la réintégration du salarié à sa demande.
Enfin, vous l'avez annulée lorsqu'il y a « fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié », ce qui revient au même...
Dernièrement, c'est l'affaire Wolber qui vous a permis de relancer l'offensive. Au début du mois de novembre, en effet, le conseil des prud'hommes de Soissons a demandé la « réintégration matérielle » de quatre cents salariés licenciés en 1999 par Michelin. Cela pose problème dans la mesure où cette filiale du fabricant de pneus n'existe plus. Or les prud'hommes l'ont confirmé, c'est la maison mère qui aurait dû se charger de réintégrer les salariés. L'amendement Samaritaine précise en effet que « l'obligation de rechercher le reclassement, ainsi que la réintégration, doit s'apprécier au niveau du groupe, et pas seulement de l'établissement ou de l'entreprise ».
Cette décision a fourni à vos amis députés les plus férocement libéraux l'occasion de hurler à nouveau contre l'« incohérence de notre droit du travail » et cette « jurisprudence absurde », source, à leurs yeux, d'« insécurité juridique » et symbole de l'insupportable ingérence du juge dans la vie de l'entreprise.
Ces vociférations à l'égard du droit du travail ont apparemment eu des effets, puisqu'elles ont débouché sur le vote de cet amendement qui limite le droit à la réintégration au seul établissement, en exonérant l'entreprise, le groupe, de toute obligation.
Vous prétendez présenter une loi de « cohésion sociale », alors que vous détruisez là un acquis social fondamental qui visait à empêcher le comportement arbitraire de certaines entreprises et servait à empêcher une entreprise de licencier qui elle veut, quand bon lui semble et pour n'importe quel motif.
Avec cet amendement, vous empêchez pratiquement un tribunal de prononcer la réintégration des salariés quand la procédure de licenciement collectif n'a pas été respectée. En somme, vous donnez aux patrons « voyous » un argument en or pour faire annuler toute décision judiciaire de reclassement.
En ce qui concerne le retour à l'emploi, face au chômage durable et quelles que soient les caractéristiques, bonnes ou mauvaises, de la conjoncture économique, vous prétendez trouver des solutions techniques pour aider au « retour à l'activité » des exclus : contrat d'avenir, contrat d'accompagnement dans l'emploi, revenu minimum d'activité, contrat initiative-emploi. En réalité, ces contrats annoncés comme novateurs ne sont, au final, que des copies de contrats aidés existants, mais ils permettront de nouvelles subventions au patronat. Par exemple, les contrats d'avenir sont un transfert au patronat de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de solidarité spécifique.
Avec de telles dispositions, vous multipliez les statuts précaires pour des populations en grande difficulté qui n'ont d'autre choix que de se soumettre. Pensez-vous qu'une personne travaillant vingt-six heures par semaine payées au SMIC horaire puisse vivre, payer son loyer ou encore satisfaire à l'éducation de ses enfants ?
Avec de tels contrats prétendument sociaux, vous maintenez une pression sur les sept millions de chômeurs et salariés précaires de ce pays, une véritable réserve de main-d'oeuvre enfermée dans une situation de pauvreté extrême et corvéable à merci.
Pour « convaincre » ceux des chômeurs ou des sans-emploi qui seraient réticents, sans vous priver de stigmatiser quatre millions de nos concitoyens, vous instaurez une très forte pression sur les demandeurs d'emploi, considérés a priori - on l'a entendu ici même - comme coupables de leur chômage.
Ils sont « invités » à se secouer un peu ! Un de nos collègues du Palais-Bourbon, exprimant ouvertement ce que d'aucuns sont nombreux à penser ici, est allé jusqu'à oser déclarer que « le budget de l'UNEDIC n'est pas branché sur Lourdes » et laisser entendre qu'il organisait « la sécurité de l'inemploi ».
Pour ma part, je considère que ces sanctions contre les chômeurs qui ne manifesteraient pas d'actes positifs de recherche d'emploi sont proprement inadmissibles et injustes.
C'est donc la logique du workfare qui progresse encore, avec les conséquences que cela entraîne en termes d'insécurité sociale et de pauvreté, notamment.
Pourtant, toutes les études de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, de l'INSEE et, plus récemment, le rapport de Médecins du monde ou du Secours populaire dressent un bilan négatif des politiques économiques et sociales menées ces trois dernières années. Ce bilan est là, sous nos yeux, dans les rues, dans nos quartiers, sur les territoires désertifiés.
Aujourd'hui, alors que plus des trois-quarts des embauches se font en CDD, que l'intérim s'étend, que 22% des missions d'intérim proposées le sont à la journée, que le temps partiel imposé reste important, qu'un tiers des personnes sans domicile fixe travaillent, la norme salariale des trente glorieuses est durablement remise en cause. La « flex-sécurité » est plébiscitée : c'est un nouveau slogan ! La précarité devient le modèle imposé, la voie unique d'entrée sur le marché du travail pour les nouveaux recrutés et pour les jeunes générations. L'emploi précaire n'est plus un stade transitoire, mais une forme durable d'emploi.
En recréant des contrats de courte durée et en banalisant la précarité, au lieu d'essayer de l'endiguer, vous entérinez la renonciation aux objectifs de plein emploi et d'emploi « convenable ». Il ne s'agit plus que chacun ait un emploi, un revenu décent et une relative sécurité, il s'agit de faire « tourner » les actifs dans de multiples dispositifs, entre emploi et insertion, et dans des « sous-statuts ».
En somme, au lieu d'essayer de moraliser le marché du travail en limitant le recours abusif aux contrats à durée déterminée et à l'intérim, le plan de cohésion sociale, dans sa partie « emploi », entérine le fonctionnement erratique du marché, qui reporte la totalité des risques de la flexibilité sur le salarié, sans lui assurer la moindre sécurité.
En ce qui concerne les maisons de l'emploi, présentées comme la grande nouveauté de votre dispositif, alors qu'elles existent déjà - vous l'aviez d'ailleurs souligné - sur l'initiative de quelques communes ou collectivités territoriales, on imagine qu'elles auraient pu servir à fédérer les énergies autour des besoins d'emploi, de formation, de revenu des populations.
En réalité, monsieur le ministre, votre plan légalise la fin du monopole de placement de l'ANPE et initie - et c'est plus qu'inquiétant ! - la privatisation du service public de l'emploi. Le patronat et les opérateurs privés font leur entrée dans la gestion « au plus près » des chômeurs, dont on recherche l'employabilité immédiate. Les demandeurs d'emploi seront aiguillés vers les métiers en difficulté de recrutement dans leur bassin d'emploi, métiers dont les conditions de travail et de salaire très dégradées n'attirent pas spontanément les vocations, c'est le moins que l'on puisse dire, comme ceux du bâtiment, de la restauration, de l'hôtellerie et des transports.
Par ailleurs, vous le savez, mes chers collègues, les collectivités territoriales seront obligées de contribuer au fonctionnement de ces maisons et certainement aussi de les piloter, et cela sans aucune contrepartie de l'Etat.
C'est tout à fait en cohérence avec votre volonté de désengager l'Etat en matière de politique de l'emploi. Ce sont les collectivités territoriales - communes, départements et régions - qui porteront ainsi la responsabilité du chômage et de la précarité sur leur territoire. Il y a vraiment là un objectif de décentralisation de la responsabilité de l'Etat sur les collectivités territoriales : si le chômage augmente, ce sera la faute des communes ; s'il diminue, ce sera grâce à l'Etat !
Enfin, toujours concernant le volet « emploi » de ce projet de loi, je tiens à m'arrêter sur certaines dispositions particulièrement régressives et portant un coup de plus à notre code du travail.
Quel est le rapport entre la cohésion sociale et le débat sur le temps de travail effectif ? Apparemment, aucun ! En revanche, la filiation avec la révision à la baisse de la directive européenne sur le temps de travail ne fait pas de doute.
Pourtant, la majorité a adopté un amendement modifiant la qualification du temps de déplacement professionnel prévu pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail. Cet amendement précise que, contrairement à ce que dit la jurisprudence, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur son lieu de travail « n'est pas un temps de travail effectif », sauf si, en principe, le temps de déplacement dépasse le temps « normal » de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail. Qu'est ce que le temps « normal » ? Qui va décrire ce qu'est la « normalité » du temps de déplacement professionnel ? C'est là une démonstration supplémentaire de la volonté qu'a ce gouvernement de détruire le droit du travail.
Il en va de même avec la création, acquise sur l'initiative de notre collègue de Broissia, dont chacun connaît les liens avec la SOCPRESSE, d'un régime de travail de nuit dérogatoire au droit commun pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d'exploitation cinématographique, de spectacle vivant et de discothèque. Désormais, la période de travail de nuit sera fixée entre vingt-quatre heures et sept heures, et non pas entre vingt-et-une heures et six heures, comme dans les autres secteurs, sans qu'il y ait forcément de contreparties, bien évidemment.
A juste titre, les organisations syndicales de journalistes unanimes ont dénoncé ce recul et les dangers d'une remise en cause des garanties contenues dans la convention nationale les concernant. Qu'à cela ne tienne, en commission mixte paritaire, cette mesure a été confirmée, le Gouvernement ayant découvert entre -temps les vertus de cette dernière, alors que, devant les sénateurs, en réponse à mon interpellation, vous aviez pris l'engagement, messieurs les ministres, que cette disposition disparaîtrait à l'Assemblée nationale, qu'il me suffirait de lire le compte rendu des débats : monsieur Borloo, monsieur Larcher, vous vous êtes reniés !