Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 16 décembre 2004 à 22h00
Modification de la loi organique relative aux lois de finances — Adoption d'un projet de loi organique

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis, président et rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le ministre, c'est toujours un plaisir que de vous retrouver au Sénat et puisque le Gouvernement a souhaité apporter une première modification à la loi organique relative aux lois de finances, nous sommes au rendez-vous qu'il nous a fixé.

Nous sommes conscients que nous ne devons modifier ce texte que par nécessité absolue.

C'est en effet le 1er janvier prochain, dans deux semaines, que l'ensemble des dispositions de la LOLF entrera en application.

Je ne doute pas que chacun de ceux qui sont présents ce soir va vivre un moment d'émotion au passage à l'an nouveau, conscient qu'une ère s'achève et que, enfin, la lumière sera faite dans toutes les pièces de la maison publique.

Ainsi, le prochain projet de loi de finances, celui pour l'année 2006, sera présenté, examiné et voté selon les nouvelles dispositions, dont l'objectif principal consiste à remplacer une culture de moyens - « un bon budget est un budget qui augmente » - par une culture de résultat - « un bon budget est celui qui permet d'atteindre, au meilleur coût, des objectifs préalablement définis par le Parlement ».

Le projet de loi organique qui nous est soumis n'a pas pour objet de remettre en cause la nouvelle « Constitution financière » avant même son entrée en application.

Il s'agit de prévoir que la loi de finances de l'année devra arrêter les modalités d'utilisation des éventuels surplus, par rapport à ses évaluations, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat. Telle était, d'ailleurs, l'unique disposition du texte approuvé en conseil des ministres.

L'Assemblée nationale y a ajouté cinq nouveaux articles destinés à apporter des précisions ponctuelles à quelques dispositions de la LOLF, concernant l'information du Parlement ainsi que le contrôle budgétaire, qui, selon l'heureuse formulation du président Christian Poncelet, doit devenir la « seconde nature du Parlement ».

La disposition essentielle, celle qui figure à l'article 1er- l'ancien article unique - du projet de loi organique, est motivée par la volonté du Gouvernement, exprimée au printemps dernier, de prendre une initiative destinée à définir une norme de comportement budgétaire vertueuse en cas de surplus non anticipé de recettes. Le Gouvernement a voulu se protéger contre ses propres démons.

Nous le savons tous, lorsque les recettes - notamment les recettes fiscales - sont inférieures aux prévisions, il est bien rare que l'on compense les moindres rentrées par de nouvelles économies ou par une hausse des prélèvements obligatoires. En revanche, s'il existe des recettes imprévues, des allégements fiscaux, parfois de grande ampleur, ou de nouvelles ouvertures de crédits sont fréquemment décidés.

Or la maîtrise des déficits et la réduction de la dette doivent constituer une priorité. Nous l'avons réaffirmé avec force pendant les trois semaines au cours desquelles nous avons examiné le projet de loi de finances pour 2005.

Il faut être clair : il n'est pas question de revenir sur l'architecture de la LOLF, dont l'ensemble des dispositions entre en vigueur à partir du 1er janvier 2005, il s'agit de la compléter sur un point particulier, à savoir l'affectation des surplus de recettes.

Le dispositif proposé prévoit que la première partie du projet de loi de finances de l'année arrête les modalités selon lesquelles seront utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de ladite loi de finances, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat.

Les questions portant sur l'affectation des surplus de recettes ne sont pas étrangères à une préoccupation constante de la commission des finances. Ainsi, en 1999, elle avait constaté un surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale. Le gouvernement de l'époque l'avait longtemps contesté, avant de l'admettre et de consentir, dans le collectif de fin d'année, aux correctifs nécessaires.

A l'occasion de cette affaire, bien improprement dite de la « cagnotte », le Sénat avait confié à la commission des finances les prérogatives d'une commission d'enquête pour étudier le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et leur exécution.

Le rapport d'information que la commission des finances, présidée alors par Alain Lambert, avait publié à l'issue de ses investigations a sans aucun doute contribué à faire mûrir le débat sur les finances publiques. La presse s'intéresse à l'évolution de la situation mensuelle budgétaire et les commissions des finances des deux assemblées sont destinataires des situations budgétaires hebdomadaires de l'Etat.

Grâce au travail d'investigation de la commission, la sincérité budgétaire a connu une première évolution positive.

Le texte proposé entend « aider » le Gouvernement à maîtriser les déficits. Il convient de limiter, voire de supprimer, les chances d'aboutir des nombreuses demandes inévitablement exprimées quand des excédents apparaissent par rapport aux prévisions, à l'exemple de celles qui sont formulées par voie d'amendements lors des collectifs budgétaires en fin d'année. Nous aurons l'occasion d'en reparler dès demain, monsieur le ministre.

Ces recettes imprévues apparaissent en effet, aux yeux des défenseurs d'intérêts catégoriels, comme une manne qui ne saurait être soumise aux mêmes contraintes que le budget initial, dès lors que leur affectation ne dégrade pas le solde budgétaire initialement affiché par l'Etat.

Il convient d'éviter le report excessif de charges sur les générations futures pour financer les dépenses d'aujourd'hui. C'est une règle de développement durable. C'est l'essence du principe de précaution, monsieur le ministre.

Aussi longtemps que subsistera un déficit de fonctionnement, il me semble que l'intégralité du surplus devra être affecté à la réduction du déficit.

Faisons des travaux pratiques. Imaginons un projet de loi de finances rectificative soumis à notre examen à la fin de l'année 2004. En présence d'un déficit de fonctionnement, le Gouvernement aurait dû affecter l'intégralité de la plus-value fiscale à la réduction du déficit. Croyez-moi, le déficit de fonctionnement n'aurait pas disparu pour autant.

En revanche, le jour où le déficit de fonctionnement aura disparu, les deux tiers des surplus de recettes pourraient être affectés à la réduction de la dette, le complément pouvant être concédé à des dépenses ou à des diminutions de recettes exceptionnelles, affectées peut-être en priorité au financement d'investissements que l'on engagerait plus rapidement que prévu.

Le projet de loi organique, sans fixer une règle trop contraignante en la matière, confère au législateur le soin de décider de l'utilisation des surplus éventuels, ce qui favorisera le débat sur les évaluations de recettes fiscales - car le Gouvernement sera toujours suspect de n'avoir peut-être pas très bien évalué les recettes fiscales attendues - et l'affectation des éventuels surplus constatés au cours de l'exercice.

La loi de finances définira donc les principes généraux d'affectation des surplus : proportion allouée à la réduction du déficit ; part éventuellement utilisée sous forme d'allégements fiscaux ou part consacrée à des dépenses supplémentaires, les grandes catégories susceptibles d'être majorées étant précisées.

Peut-être sera-t-il alors question de doter de réserves de précaution celles-là même que vous souhaitez voir introduites dans la loi organique. Le temps que soit mis au point le dispositif, peut-être faudra-t-il demander à nos collègues députés de s'en charger ?

Par ailleurs, le projet de loi organique ne traite que les recettes fiscales. La non-prise en compte des recettes non fiscales provient de leur caractère volatil, dû à la volonté politique d'en faire une variable d'ajustement. Chacun est bien conscient que, selon les circonstances, un certain nombre de recettes non fiscales peuvent être sollicitées à des degrés variables.

Concrètement, si j'ai bien compris, le calendrier - un peu technocratique, sans doute - de la gestion des surplus fiscaux pourrait être le suivant : tout d'abord, détermination des modalités générales d'affectation d'un éventuel surplus de recettes fiscales de l'année n dans le projet de loi de finances y afférent, donc à l'automne de l'année n - 1 ; ensuite, constatation d'un éventuel surplus lors de l'examen de la loi de finances pour l'année n + 1, donc en automne de l'année n, surplus qui résultera de la différence entre les évaluations de la loi de finances initiale de l'année n et les évaluations révisées de la même année, associées au projet de loi de finances de l'année n + 1 ; enfin, débat sur les modalités concrètes d'affectation de ce surplus, qui pourra être conduit dans le cadre du collectif de fin d'année de l'exercice n, donc en décembre de l'année n.

Il ne faut pas nier que la qualité de la prévision des recettes fiscales déterminera largement l'ampleur des éventuels surplus de recettes fiscales. Ainsi, une prévision trop optimiste rend improbable l'apparition de surplus de recettes. Faisons à nouveau des travaux pratiques : quel sera le surplus de recettes à la fin de l'année 2005 ? Le texte laisse au Gouvernement toute latitude pour estimer le taux de croissance de référence, et donc pour favoriser ou éviter un éventuel surplus.

Certes, seule une partie des surplus de recettes est concernée par le projet de loi organique. Toutefois, ce texte doit, à mon sens, être perçu comme un outil pédagogique utile, quelles que soient ses ambiguïtés ou ses insuffisances.

En tout état de cause, un tel outil ne saurait se substituer à une volonté politique quelque peu défaillante ou insuffisante.

La LOLF, nous le savons bien, monsieur le ministre, c'est d'abord et avant tout une question de volonté politique.

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