Intervention de François Marc

Réunion du 21 février 2006 à 16h00
Offres publiques d'acquisition — Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de François MarcFrançois Marc :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, l'actualité économique et financière particulièrement brûlante a jeté sur cette deuxième lecture du projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition une lumière crue. Elle révèle aujourd'hui encore plus clairement les contradictions, les pas de deux, la duplicité, bref, la politique de gribouille d'un gouvernement qui paraît un peu honteux d'assumer son ultralibéralisme manifeste.

À l'été 2005, volant au secours de Danone que les rumeurs d'OPA hostiles de PepsiCo avaient mis en émoi, Dominique de Villepin avait manifesté sa ferveur gaullienne : au nom du « patriotisme économique », il avait promis l'adoption d'une réglementation des OPA qui protège le patrimoine économique français.

Nous étions donc légitimement en droit d'attendre de ce texte qu'il contienne des mesures destinées à protéger les entreprises françaises contre des attaques hostiles. Il n'en est rien ! Pis, comme nous l'avions déjà souligné en première lecture, ce projet de loi affaiblit cruellement les sociétés cibles dans l'adoption rapide de stratégies de défense anti-OPA.

Alors que la directive laissait aux États membres la possibilité de ne pas transposer l'article 9, qui consacre l'obligation de passivité des dirigeants, le Gouvernement, soutenu par la majorité sénatoriale, a fait le choix, malgré ses déclarations, de le transposer.

Cet article affaiblit considérablement l'efficacité du processus de défense en instituant une obligation de passivité des dirigeants, qui sont placés dans la situation de ne pouvoir réagir au plus vite à l'attaque tant que l'assemblée générale des actionnaires n'a pas arrêté sa position.

Le projet de loi, tel qu'il a été adopté en première lecture, place donc les sociétés françaises en mauvaise posture pour faire face aux attaques des prédateurs mondiaux. Par conséquent, il n'y a rien de neuf quant au patriotisme économique annoncé.

Pour notre part, nous avions voté contre cette transposition choisie par le Gouvernement dans la mesure où elle ne permettait pas d'atteindre l'objectif à nos yeux essentiel, à savoir aider les entreprises françaises cibles dans leur lutte contre les OPA hostiles et introduire dans les processus d'acceptation ou de refus des OPA d'autres critères que celui de la rentabilité financière.

Quelques mois après l'adoption de ce texte, et peu avant son examen en deuxième lecture, le déclenchement de l'OPA hostile de Mittal sur Arcelor a déstabilisé le Gouvernement, qui, sous la pression de puissants lobbies, redouble de démagogie. Les slogans reprennent de plus belle : cette fois-ci, le patriotisme économique n'est plus seulement français, il devient européen !

Naïvement, nous pensions que le Gouvernement avait compris et qu'il allait enfin déposer des amendements pour modifier la ligne générale de la transposition qu'il avait initialement adoptée. Si gouverner, c'est prévoir, c'est aussi savoir reconnaître ses erreurs pour mieux servir l'intérêt général. Mais, là encore, nos espoirs furent déçus.

En effet, dans le texte qui nous est proposé en deuxième lecture ou dans les amendements déposés par le Gouvernement, rien ne permet aux entreprises cibles de se défendre. Pis, l'amendement gouvernemental qui nous est présenté comme la panacée ne fait que renforcer la logique de la suprématie du critère de la rentabilité actionnariale sur tous les autres : l'intérêt social et l'intérêt général.

Cet amendement, dont vous vous saisissez pour montrer que le Gouvernement a su tirer les leçons d'Arcelor, est un coup d'épée dans l'eau. Il devrait permettre à la société, sur autorisation de l'assemblée générale des actionnaires, d'attribuer des bons de souscription d'actions dont l'exercice est destiné à noyer la participation de l'initiateur ou à surenchérir le coût de l'opération pour l'en dissuader. Or l'usage de cette « pilule empoisonnée », inspirée du droit américain, est subordonné à l'utilisation, par l'initiateur, des défenses anti-OPA au titre de la clause de réciprocité.

Cet amendement est donc juridiquement contestable et politiquement inopportun ; nous aurons l'occasion d'y revenir dans la discussion des articles. En attendant, je tiens à vous dire brièvement, monsieur le ministre, ce qui ne va pas dans cet amendement gouvernemental, et le raisonnement que je vais développer est applicable à tout le projet de loi.

La clause de réciprocité, derrière laquelle le Gouvernement s'abrite pour légitimer ses choix de transposition, ne peut pas jouer en l'état actuel du projet de loi. D'éminents juristes, tels Alain Pietrancosta et Anne Maréchal, l'ont parfaitement démontré. Leur logique, qui se fonde sur la lecture des documents préparatoires à l'adoption de la directive concernant les offres publiques d'acquisition, est imparable : la transposition de l'obligation de passivité de l'article 9 exclut l'applicabilité de la clause de réciprocité. La réciprocité ne se justifie que dans un cas : lorsque les entreprises, plus vertueuses que les États, ont choisi d'appliquer le droit communautaire en l'absence de transposition nationale. En d'autres termes, les sociétés cibles ne pourront pas s'appuyer sur cet amendement pour se défendre, puisqu'elles ne pourront pas invoquer la clause de réciprocité. C'est, je le répète, un coup d'épée dans l'eau !

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