Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 28 février 2006 à 10h20
Égalité des chances — Article 3 bis suite

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Il convient d'emblée de rappeler que le CPE, comme le CNE, fait l'objet d'une procédure « à la hussarde », que ce soit sous forme d'ordonnance ou d'amendement gouvernemental présenté au dernier moment.

Cette procédure permet d'éviter l'examen par le Conseil d'État et de ne pas tenir compte des engagements pris par le Gouvernement en matière du droit du travail, tant il est vrai que les dispositions proposées dans le domaine de l'emploi devaient, en principe, selon les termes de la loi Fillon, faire préalablement l'objet d'une consultation des partenaires sociaux.

Le CPE, comme le contrat nouvelles embauches, est techniquement un CDI, et, dès lors, soumis a priori à la législation applicable aux contrats de travail dans tous les domaines.

Or la question qui se pose aujourd'hui est de savoir quelle définition il convient de donner du CDI eu égard aux nombreuses autres catégories de contrats qui ont été créées depuis la montée du chômage de masse et l'invention du CDD, en 1982.

En effet, le CDI ne se différencie de cette multitude de contrats précaires que par ses conditions de rupture, notamment lorsque cette dernière est le fait de l'employeur : respect d'une procédure de licenciement - entretien préalable, lettre recommandée, délais, etc. - et obligation d'une cause réelle et sérieuse.

Depuis la loi du 13 juillet 1973, malgré certains aléas, ces conditions ont survécu.

Le droit du travail s'applique donc au CPE, sauf en ce qui concerne quelques articles du code du travail relatifs à la rupture du contrat, pendant une durée de deux ans. Ces articles concernent toutes les dispositions ayant trait à la rupture du contrat - articles L.122-4 à L. 122- 14- 14 -, à l'exception de l'article L. 122- 12 qui, lui, est relatif à la cessation de l'entreprise, devant donner lieu à préavis et à indemnité, et à la modification de la situation juridique de l'employeur - vente, fusion -, d'où la reprise des salariés par le nouvel employeur, avant un plan social.

Ne s'appliquent pas non plus au CPE, monsieur le ministre, les articles L. 321- 1 à L. 321- 17, relatifs au licenciement économique, ce qui implique que les jeunes en CPE ne seraient pas comptabilisés dans un plan social et ne bénéficieraient ni d'indemnités ni de procédures de reclassement, etc.

En revanche, les procédures d'information et de consultation prendront en compte les jeunes en CPE, ce qui, soit dit en passant, ne fait pas avancer le schmilblick, comme aurait dit Coluche ! Il conviendrait donc, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur tous ces points.

La période de deux ans n'est pas nommément inscrite dans le projet de loi. Elle a malencontreusement, dans un premier temps, été appelée « période d'essai » par M. le Premier ministre, puis « période de consolidation », selon la terminologie du MEDEF.

En réalité, cette période est juridiquement innommable - cela explique sans doute qu'elle ne soit pas nommée -, sauf à tomber sous le coup de l'article 4 de la convention 158 de l'OIT, repris dans l'article 24 de la Charte sociale européenne, approuvée par la loi du 10 mars 1999 et reconnue par ailleurs d'application directe par le Conseil d'État dans sa décision du 19 octobre 2005 : « Un salarié ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise ».

S'agissant du CNE, au sujet duquel il a été saisi, le Conseil d'État a considéré que le licenciement peut toujours être contesté devant un juge relativement au motif de l'abus de droit, la charge de la preuve incombant au salarié. L'on pourra alors savoir - mais un peu tard - s'il existe ou non un motif sérieux de licenciement, et ce n'est que s'il y a abus de droit que le salarié aura droit à réparation.

On peut imaginer que le Conseil d'État va juger de même pour le CPE. Mais on ne peut négliger le fait que l'article 7 de la même convention 158 impose l'existence d'une procédure contradictoire en cas de licenciement pour des motifs liés à la conduite ou au travail du salarié. Dès lors - je vous pose la question, monsieur le ministre -, la procédure judiciaire a posteriori peut-elle en tenir lieu ?

En ce qui concerne la période d'essai, la même convention 158 de l'OIT prévoit qu'un État peut exclure du champ de certaines dispositions de la convention « les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas l'ancienneté requise ». Le présent projet de loi pourrait donc a priori entrer dans ce champ, d'autant plus que le code du travail ne prévoit aucune durée précise pour les périodes d'essai.

La jurisprudence de la Cour de cassation a néanmoins fourni un certain nombre d'indications sur la durée raisonnable d'une période d'essai, en fonction des diverses professions dont elle a eu à connaître. Ainsi, sont considérées comme excessives une période d'essai de trois mois pour un coursier, une période de six mois pour un chargé de mission, une période d'un an pour un cadre.

Il serait intéressant, selon nous, de savoir comment la Cour de cassation qualifiera cette période de deux ans sans procédure ni motif de licenciement, donc hors du droit du travail, et si elle estime qu'une période d'essai peut, le cas échéant, durer deux ans.

Le fait que la période de deux ans ne soit pas définie par le Gouvernement comme une période d'essai est également important pour pouvoir imposer des contrats successifs.

En effet, si une période d'essai ne peut être renouvelée, en revanche, comme le prévoit expressément le projet de loi, un CPE peut succéder à un autre, pour un même salarié dans la même entreprise, moyennant un délai de carence de trois mois !

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