Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi organique soumis à votre examen met en œuvre le mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité, prévu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Il permet au justiciable de soutenir qu’une disposition législative, quelle qu’elle soit, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Le texte qui vous est proposé a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Je me réjouis de l’esprit de consensus, au-delà des clivages politiques, qui a présidé à sa discussion.
Votre commission des lois a effectué un travail remarquable sur le texte. Je salue particulièrement l’investissement du rapporteur, Hugues Portelli, sur le projet de loi organique. Grâce aux améliorations apportées, le texte a gagné en clarté, en lisibilité et en cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question prioritaire de constitutionnalité marque un progrès historique dans la pratique démocratique au quotidien. En prévoyant que « le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation », le constituant a voulu éviter certains risques.
Il y a, d’abord, le risque d’un engorgement par l’afflux de questions déjà tranchées, fantaisistes ou soulevées à des fins dilatoires.
Il y a, ensuite, le risque, plus profond, de déstabilisation de notre organisation juridictionnelle.
Le projet de loi organique institue donc le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, en cohérence avec les principes du droit français. Des règles de procédure adaptées doivent en assurer la pleine effectivité. Il s’agit là des deux points essentiels de ce texte.
Premièrement, la question prioritaire de constitutionnalité s’inscrit en cohérence avec les principes de notre droit.
Elle réaffirme la hiérarchie des normes, dans le respect de notre architecture juridictionnelle.
D’une part, la primauté de la Constitution sur les règles de droit interne se trouve réaffirmée. Désormais, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi pourra être soulevé au cours de toute instance devant toute juridiction, qu’elle relève du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.
Il pourra être soulevé pour la première fois en cour d’appel. En matière pénale, il pourra intervenir au cours de l’instruction et sera alors porté devant la chambre de l’instruction. En assises, la question pourra être soulevée en amont, dans la phase d’instruction du procès criminel.
D’autre part, la question prioritaire de constitutionnalité est conforme aux principes de notre organisation juridictionnelle.
Le principe de spécialité des juridictions est respecté. Chacun reste dans sa sphère de compétence. Les juridictions judiciaires et administratives vérifient la compatibilité entre les lois nationales et les normes internationales. Le Conseil constitutionnel vérifie la conformité de la loi à la Constitution.
L’équilibre des juridictions est maintenu. Il n’est pas question de faire du Conseil constitutionnel une « super cour suprême » : son contrôle demeure abstrait et limité à la seule question de constitutionnalité qui est posée.
Les cours souveraines demeurent des cours souveraines.
La question de constitutionnalité implique une coopération des juridictions nationales, dans le respect de la compétence et de la spécialité de chacune d’entre elles.
La question prioritaire de constitutionnalité préserve donc les principes et les équilibres de notre droit.
Deuxièmement, les règles de procédure doivent être conformes à cette exigence.
Nous partageons la volonté de garantir la pleine efficacité du dispositif. Je tiens à le réaffirmer car je sais qu’il s’agit d’un des points qui soulèvent quelques questions.
Une règle est essentielle : celle de la priorité d’examen de la constitutionnalité de la loi.
Le projet de loi organique articule les deux contrôles de la loi au regard des normes qui lui sont supérieures : le contrôle de conventionnalité vise à statuer sur la contrariété d’une loi française à une norme internationale et à en écarter l’application si tel est bien le cas ; le contrôle de constitutionnalité, prévu par le présent texte et qui est une prérogative exclusive du Conseil constitutionnel, vise, quant à lui, in fine à abroger les lois contraires à la Constitution.
Si le juge pouvait écarter l’application de la loi dans le cadre du contrôle de conventionnalité avant tout contrôle de constitutionnalité, la question prioritaire de constitutionnalité de la loi elle-même risquerait d’être privée de son effectivité.
Le filtre procédural, voulu par le constituant, vise à garantir la pleine effectivité du dispositif. Il comporte deux degrés.
D’abord, l’examen de la question de constitutionnalité par le premier juge saisi vise à déterminer si le moyen est opérant et à l’écarter s’il ne l’est pas. En revanche, l’examen de la question par les cours souveraines détermine si le moyen est pertinent. Ce second filtrage permet au juge constitutionnel de n’être saisi que de véritables questions de constitutionnalité.
Ensuite, les décisions par lesquelles les juridictions de fond transmettent les questions de constitutionnalité aux cours souveraines sont de nature juridictionnelle. Elles doivent donc être motivées. Le texte adopté par la commission lève toute ambiguïté sur ce point.
La procédure, même filtrée, doit s’inscrire dans un délai raisonnable.
La question de constitutionnalité – autre point régulièrement soulevé dans ce débat – ne saurait devenir un facteur d’allongement des délais de jugement. C’est pourquoi le texte adopté par votre commission prévoit que l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité se fasse « sans délai ».
La solution retenue par votre commission prend en compte tous les paramètres de la procédure : l’exigence de célérité, mais aussi le risque d’engorgement des cours, ainsi que le risque d’une inefficacité du filtrage en cas de délai trop strict.
Le juge examinera la question « sans délai », c’est-à-dire dès qu’il sera en mesure de le faire. Toute question transmise au Conseil constitutionnel aura été examinée par un juge du fond. Les exigences posées par le constituant seront donc satisfaites.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le travail réalisé par la commission des lois a permis de parfaire l’équilibre du texte. En renforçant concrètement la protection des droits et libertés du citoyen, il répond aux exigences posées par la Constitution. En assurant l’effectivité du mécanisme, en veillant au délai raisonnable des procédures, en préservant l’autorité de la loi, il concilie ambition et réalisme.
Cette réforme ne sera « ni gadget, ni révolution », pour citer le doyen Vedel. Toutes les conditions sont réunies pour qu’elle marque un progrès pour la justice, une avancée pour le justiciable et la réaffirmation des principes de l’État de droit.