Si la réforme de 1974 a conduit à une quasi-systématisation du contrôle du Conseil constitutionnel sur les textes présentant un doute sérieux quant à leur constitutionnalité, ce contrôle exercé à titre préventif se trouvera désormais complété par un mécanisme à vocation curative, a posteriori.
Le présent projet de loi permettra ainsi de s’assurer de la conformité à la Constitution de l’ensemble de notre corpus législatif, aussi bien pour les textes entrés en vigueur avant 1974 que pour ceux qui ont été adoptés depuis et qui n’ont jamais été soumis au Conseil au simple motif qu’ils étaient présumés ne pas poser de difficulté sérieuse.
À ce propos, nous pouvons nous interroger sur les conséquences très importantes qu’est susceptible d’emporter l’abrogation de lois anciennes, jamais soumises au contrôle du Conseil constitutionnel et pourtant appliquées depuis des décennies. N’allons-nous pas rencontrer des problèmes au regard de l’exigence de sécurité juridique ? Des distorsions ne vont-elles pas apparaître entre, d’une part, des décisions anciennes, définitives, ayant l’autorité de la chose jugée et, d’autre part, des décisions sur le même thème, différentes du fait d’une remise en cause par le Conseil constitutionnel de dispositions législatives ?
Monsieur le secrétaire d’État, il serait bon que vous nous éclairiez sur ce sujet, qui constitue un motif d’inquiétude. Efforçons-nous de nous prémunir, à l’occasion de cette réforme, contre le risque d’une insécurité juridique qui pourrait générer de l’incompréhension chez nos concitoyens.
Dans l’ensemble des pays ayant mis en place un contrôle de constitutionnalité a posteriori, la question de l’existence ou non d’un filtrage des requêtes a, le plus souvent, largement conditionné sa viabilité. Ici, le débat a été tranché par le texte même de l’article 61-1, qui dispose que le Conseil constitutionnel devra être saisi de cette question « sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ».
Ce n’est donc pas le projet de loi organique qui instaure ce filtre, puisque celui-ci est expressément prévu par la Constitution modifiée. Le projet de loi organique ne vise qu’à définir ses conditions de mise en œuvre.
Lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont accompli, comme l’a dit le rapporteur, un travail significatif.
Ils ont notamment souhaité renforcer le droit ouvert par l’article 61-1 en favorisant les mécanismes de transmission et de renvoi de la question de constitutionnalité.
On doit d’ailleurs saluer une modification d’ordre sémantique qui a son importance : le texte soumis à notre assemblée qualifie de « prioritaire » cette question de constitutionnalité.
L’utilisation du terme « prioritaire » dans le projet de loi organique porte, peut-être, à discussion, mais elle n’en implique pas moins que le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une disposition législative puisse être examiné avant tous les autres et aussi que cet examen soit conduit avec célérité puisque prioritaire.
Je tenais également à revenir sur la question du délai.
Dans sa version initiale, le projet de loi organique ne fixait aucun délai au juge pour transmettre à la juridiction suprême la question de constitutionnalité.
Nos collègues députés ont exprimé la crainte que le juge n’attende la mise en état de l’affaire pour se prononcer sur le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une disposition législative, le privant de son principal intérêt.
Ils ont ainsi prévu que le juge transmette « sans délai et dans la limite de deux mois » la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.
Il est vrai que ce délai de deux mois imparti aux juridictions pour statuer pourrait induire des effets pervers. Le juge du fond ne sera-t-il pas tenté de laisser courir le délai afin de laisser à la cour suprême le soin de statuer ?
Dans une telle hypothèse, le premier filtre ne jouerait pas ; le Conseil d’État et la Cour de cassation pourraient se trouver engorgés, ce qui entraînerait un allongement des procédures, à rebours de l’objectif poursuivi.
Je me réjouis donc de l’adoption, en commission, d’un amendement déposé par le rapporteur supprimant ce délai impératif, ce qui devrait apporter une souplesse accrue à la procédure.
S’agissant de la question des incompatibilités imposées aux membres du Conseil constitutionnel, comme le rapporteur et plusieurs de mes collègues de la commission des lois, je me suis interrogé : la juridictionnalisation des missions du Conseil constitutionnel ne devrait-elle pas conduire à adapter le régime d’incompatibilités de ses membres afin d’éviter tout conflit d’intérêts ?