Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le doyen Patrice Gélard a assez bien résumé l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons.
Comme l’ont rappelé notamment M. le rapporteur et M. Badinter, la France rejoint les grandes démocraties européennes qui ont ouvert la saisine du juge constitutionnel au citoyen, après l’ouverture de la saisine aux parlementaires en 1974 et la mise en place du contrôle de conventionnalité. Il s’agit là de parachever la construction de notre État de droit.
En vous écoutant, monsieur Gélard, une anecdote m’est venue à l’esprit. Vous avez parlé des cours de droit constitutionnel dispensés il y a quarante ans. Étudiant, j’ai assisté, pour le plaisir, aux cours de Jean Waline, pensant que ces cours ne seraient certainement ceux qui me serviraient le plus au cours de ma carrière professionnelle. Désormais, ces cours seront abordés non seulement avec plaisir, mais également avec le sentiment qu’ils contribuent utilement à la formation des juristes.
Comme plusieurs d’entre vous l’ont relevé, il s’agit d’un changement culturel. Certains ont noté le chemin parcouru en matière de formation des magistrats. Je puis vous assurer que l’École nationale de la magistrature travaille déjà à cette mutation, y compris par le biais de la formation continue.
Le projet de loi garantit, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, une procédure contradictoire devant le Conseil constitutionnel, ainsi que la publicité de l’audience.
Les filtres sont évidemment de nature à éviter un engorgement du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, comme le prévoit l’exposé des motifs du projet de loi, nous dresserons un bilan de l’application de la loi dans deux ans. Mais les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel sont d’ores et déjà très attentifs à leurs jurisprudences réciproques.
M. le rapporteur et Robert Badinter ont souligné, de manière très intéressante et convaincante, le parachèvement de notre État de droit. Certes, l’édifice n’est jamais achevé, monsieur Sueur, mais nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
L’intervention de Robert Badinter – je ne peux que saluer son propos – fut très émouvante, car il a été l’un des principaux acteurs d’une autre étape importante, celle de l’accès du citoyen français à la Cour européenne des droits de l’homme. À cet égard, je salue la mémoire de René Cassin. Je me souviens de l’avoir croisé tout jeune étudiant ; j’étais fort impressionné par sa pensée et par son action.
Trente ans après cette première évolution importante, la France ouvre à ses citoyens la possibilité, par ce nouveau recours, de faire valoir directement la protection de leurs droits et libertés garantie par la Constitution.
Je formulerai quelques brèves remarques sur les interventions, toutes intéressantes, des uns et des autres.
Madame Borvo Cohen-Seat, le projet de loi organique qui vous est soumis répond en grande partie à votre souhait, me semble-t-il, puisqu’il renforce la garantie de la protection des droits et préserve la sécurité juridique. Ainsi, le Conseil constitutionnel pourra abroger les dispositions inconstitutionnelles, mais il appartiendra au Parlement de voter une nouvelle loi.
S’agissant de la composition du Conseil constitutionnel, celle-ci a fait l’objet d’un débat à l’occasion de la révision constitutionnelle et le Parlement s’est prononcé. La transparence a été renforcée, puisque les nominations seront soumises, dans les deux assemblées, à l’avis des commissions compétentes, qui pourront s’y opposer à la majorité des trois cinquièmes. C’est un progrès important par rapport à la situation antérieure.
J’en viens à la question du coût. Les justiciables qui bénéficient de l’aide juridictionnelle en bénéficieront également devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation.
En outre, il n’y aura aucune obligation de produire de nouvelles observations devant les juridictions suprêmes : elles se prononceront au vu des observations échangées devant les premiers juges.
M. Zocchetto s’est inquiété de la sécurité juridique, question qui a été reprise par d’autres sénateurs au cours du débat.
Le texte qui a été adopté par le constituant en juillet 2008 est équilibré et le Conseil constitutionnel saura le mettre en œuvre avec discernement. Le principe adopté est l’absence d’effet rétroactif. La déclaration d’inconstitutionnalité conduira donc seulement à une abrogation de la loi, abrogation qui pourra elle-même intervenir de façon différée, afin de permettre au Parlement d’adopter une nouvelle loi.
À titre exceptionnel, le Conseil constitutionnel pourra déterminer « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être mis en cause. » Le seul objet de cette mesure est de permettre au Conseil de donner un effet utile à sa décision pour le justiciable qui est à l’origine de la question et pour ceux qui ont déjà engagé un contentieux. En effet, en elle-même, l’abrogation ne permettrait pas d’écarter l’application de la loi inconstitutionnelle au litige dans lequel la question a été soulevée. Je tiens à vous rassurer : en aucun cas le Conseil constitutionnel ne pourra remettre en cause une décision juridictionnelle définitive.
Monsieur Mézard, vous êtes allé au fond des choses et vous avez posé un certain nombre de questions tout à fait pertinentes. Dans un premier temps, je n’en reprendrai que quelques-unes.
D’abord, les délais de jugement ne seront pas allongés de manière indue. Le juge renverra la question dès qu’il sera en mesure de le faire et l’examen par la juridiction suprême et par le Conseil constitutionnel s’imputera sur l’instruction.
S’agissant des moyens matériels du Conseil constitutionnel, à ce jour, ce dernier n’a pas exprimé de besoins particuliers. Mais le Gouvernement veillera, bien sûr, à ce que le Conseil dispose des moyens nécessaires. Lancer une telle réforme en ne lui permettant pas de mener à bien les nouvelles tâches qui lui incombent n’aurait en effet aucun sens.
Le juge peut-il invoquer d’office l’inconstitutionnalité d’une loi ? La Constitution réserve au justiciable la possibilité de poser la question de constitutionnalité. Sur ce point, l’article 61-1 est très clair : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question ». Or, dans le procès, ce sont les parties qui soutiennent les moyens. Le rôle du juge est d’y répondre.
Le constituant a entendu ouvrir un droit nouveau au justiciable ; c’est à lui de décider s’il veut en faire usage. Cette solution respecte la stratégie contentieuse des parties.
En outre, le pouvoir de relever d’office un moyen est intimement lié au pouvoir d’apprécier le bien-fondé de ce moyen. Or la Constitution n’habilite pas les juridictions de fond à apprécier elles-mêmes la constitutionnalité des dispositions législatives. Il est donc préférable d’exclure la possibilité pour le juge de soulever d’office la question de constitutionnalité.
Monsieur Sueur, je ne répondrai pas dans le détail sur les sept points que vous avez abordés dans votre intéressant développement ; j’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen de vos amendements. Dans un premier temps, je m’en tiendrai donc à quelques remarques.
Je vous remercie tout d’abord d’avoir souligné ce droit nouveau donné à nos concitoyens.
S’agissant des filtres, le constituant a prévu un examen de la demande par le Conseil d’État ou par la Cour de cassation.
Les principes relatifs à la composition des formations de jugement de la Cour de cassation relèvent de la loi. Ils figurent dans la partie législative du code de l’organisation judiciaire.