Les avis de la commission et du Gouvernement ayant été sollicités de façon prématurée, alors que les deux amendements sont en discussion commune, je connais maintenant le point de vue, argumenté, de M. le rapporteur, et celui, extrêmement succinct, de M. le secrétaire d'État…
Le projet de loi organique prévoit donc que la question de constitutionnalité ne puisse être d’office relevée par le juge, l’article 61-1 de la Constitution réservant cette possibilité aux seules parties à l’instance.
Or, selon le rapport de la commission, que j’ai lu avec un grand intérêt, plusieurs des hautes personnalités entendues se sont interrogées sur ce choix. Ainsi, M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, dont personne ne conteste la compétence, surtout sur cette question constitutionnelle et de droit public, s’est étonné devant nous qu’un juge puisse appliquer une loi qu’il sait inconstitutionnelle, alors qu’il peut relever à tout moment l’inconventionnalité d’une loi au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.
De même, le professeur Guillaume Drago a critiqué cette capitis diminutio des pouvoirs du juge, déclarant qu’une telle interdiction du relevé d’office risquait de nuire à l’efficacité de la réforme pour trois raisons : premièrement, elle réduira drastiquement le nombre de questions de constitutionnalité dont le juge aura effectivement à connaître ; deuxièmement, seuls les justiciables ayant les moyens financiers de faire appel à un conseil juridique pourront soulever des questions de constitutionnalité ; troisièmement, les juges pourront difficilement s’approprier un mécanisme qui est soustrait à leur initiative. Ces remarques sont éclairantes, même si elles sont formulées par un éminent professeur de droit selon une logique qui lui est propre.
J’ajouterai, monsieur le rapporteur, que j’ai été quelque peu contrarié par la manière dont vous avez présenté le rôle du juge. Devra-t-il rester passif, les bras ballants, seuls les justiciables pouvant soulever la question de constitutionnalité ? Peut-il être totalement incompétent en cette matière ? Un juge ne se contente pas de regarder passer les trains ! Reconnaissez, monsieur le secrétaire d'État – peut-être mon intervention vous amènera-t-elle à vous montrer un peu plus prolixe ! –, qu’une telle situation ne serait guère cohérente au regard de la grande compétence des juges de notre pays.