Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 8 décembre 2010 à 14h30
Fonction de représentation par le sénat des collectivités territoriales — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la finalité de cette proposition de loi est très claire, son intitulé la traduit d’ailleurs explicitement : « renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République » pour les textes « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales au sens du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution », c’est-à-dire ceux qui sont soumis en premier lieu au Sénat.

Il s’agit donc d’appliquer à ces textes la procédure prévue pour « les lois organiques relatives au Sénat [qui] doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées », ainsi que pour les propositions ou projets de loi de révision de la Constitution. Concrètement, il s’agit d’attribuer au Sénat un droit de veto pour les textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, examinés en premier lieu par le Sénat.

Pourquoi le groupe du RDSE et son président proposent-ils une telle disposition ? La réponse est simple : parce que la majorité sénatoriale n’a pas joué son rôle et a gravement failli à sa mission ! Nous ne serions peut-être pas en train de débattre de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, si, lors de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, vous aviez pleinement rempli la fonction de grands défenseurs des collectivités territoriales et des élus locaux que vous revendiquez et qui est d’ailleurs inscrite dans la Constitution !

Au lieu de cela, que s’est-il passé ? Vous avez renié les travaux de la mission commune d’information Belot-Krattinger qui proposait, après une large concertation, une réforme plus consensuelle des collectivités territoriales.

Lors de la discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, cédant à la volonté élyséenne – du moins, je le suppose… – et gouvernementale – j’en suis certain ! –, vous êtes, après moult tergiversations et marchandages, et sans craindre de vous contredire, revenus sur des dispositions qui avaient été adoptées à la quasi-unanimité dans cet hémicycle.

Ainsi, après avoir dans un premier temps voté contre la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, vous avez fini par l’accepter, au détriment de la cohérence et de la solidarité des territoires. Vous l’avez fait contre l’avis de toutes les associations d’élus des régions, des départements et des communes, hormis l’association, totalement marginale à mon avis, créée au dernier moment par notre ex-collègue devenu ministre chargé des collectivités territoriales !

Le report de l’application de cette disposition n’y change absolument rien. Peut-être vous souvenez-vous de l’intervention du président du groupe UMP, M. Gérard Longuet, toujours très bon orateur, comme on a encore pu le voir hier soir : il faut la relire, car c’est un véritable monument ! Après avoir reconnu que l’Assemblée nationale était revenue sur tout, il avait néanmoins annoncé que son groupe voterait le texte, tout en proclamant sa volonté de reprendre le sujet dans les plus brefs délais ! Telle avait été la substance des propos de M. Longuet, se livrant à un exercice que je ne qualifierai pas, par respect pour le président du groupe UMP !

De la même manière, il est frappant de voir la majorité sénatoriale approuver la réduction du nombre des élus locaux, entérinant ainsi la défiance de l’exécutif à l’égard de ces élus, qui seraient trop nombreux et mauvais gestionnaires… Une telle attitude est paradoxale, de la part de la chambre qui émane des suffrages des élus locaux !

La réduction du nombre des élus locaux par la création du conseiller territorial, élu hybride à deux têtes dont on ne sait pas encore – le Conseil constitutionnel le dira – s’il exerce un mandat ou deux, n’a pas pour objectif, contrairement à ce qui a été soutenu, de faire des économies, mais bien plutôt de diminuer l’effectif des élus départementaux et régionaux, majoritairement de gauche aujourd’hui – mais ce ne sera peut-être plus le cas demain ! En tout cas, la fusion des élections régionales et cantonales privera les citoyens d’un débat démocratique. La réduction du nombre d’élus locaux portera un coup à la parité et restreindra l’expression du pluralisme politique.

À cet égard, je suggère à notre estimé président de la commission des lois d’élaborer une proposition de loi électorale simple, pour déterminer si le conseiller territorial disposera d’une voix ou de deux dans le collège des élus sénatoriaux à partir de 2014. Qu’il exerce un mandat ou deux, la question se posera de toute façon !

Voilà donc, chers collègues de la majorité, ce que vous avez voulu pour les collectivités territoriales ! Nous comprenons donc parfaitement que, dans ce contexte, nos collègues du RDSE, toujours très attentifs aux pouvoirs du Parlement, et notamment du Sénat, aient déposé cette proposition de loi constitutionnelle. Sa discussion permet de souligner la formidable occasion manquée de faire un pas supplémentaire vers une démocratie décentralisée.

Cette proposition de loi ne manque pas d’ambition, puisqu’elle vise à résoudre un problème politique susceptible de survenir entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement.

Toutefois, renforcer les pouvoirs du Sénat, afin qu’il puisse mieux jouer son rôle à l’égard des collectivités territoriales, est-ce la solution pour rééquilibrer les institutions et pallier l’absence de volonté politique et de cohérence au sein de la majorité sénatoriale d’aujourd’hui ? Je ne le pense pas ! Il serait en effet vain de donner le dernier mot au Sénat si, par ailleurs, sa majorité finit toujours par céder aux desiderata du Gouvernement ou du Président de la République.

Le Sénat n’est pas soumis aux mêmes contraintes institutionnelles que l’Assemblée nationale : il ne peut être dissous et, nonobstant le fait que l’Assemblée nationale ait le dernier mot, il dispose d’une plus grande marge de discussion que celle-ci. Il lui revient de convaincre, de faire vivre la navette parlementaire : c’est à mon sens l’unique moyen de renforcer sa légitimité et de faire valoir sa spécificité de défenseur des collectivités territoriales, due à son mode d’élection.

D’ailleurs, lorsque le Sénat refuse de voter un texte conforme – il aurait pu le faire pour le projet de loi de réforme des collectivités territoriales – et qu’une commission mixte paritaire est convoquée par le Gouvernement, le Sénat a eu le dernier mot dans bien des cas, car il défendait des positions sages, relativement consensuelles, auxquelles se sont ralliés sénateurs et députés de gauche membres de la CMP. Il en a été ainsi, notamment, lors de la discussion de la loi pénitentiaire ou de la loi relative à la rétention de sûreté. Cela a le mérite de ne pas bouleverser les équilibres institutionnels.

Pour notre part, nous considérons que le Sénat est membre à part entière du Parlement. Élu au suffrage universel indirect, il représente lui aussi le peuple souverain et fait montre d’une universalité d’intérêts. Il légifère sur tous les sujets ; les sénateurs sont les élus de la nation, ils sont comptables de l’intérêt général et aucunement des seuls intérêts des collectivités territoriales : la fonction du Sénat est bien plus large que cela.

Vouloir « particulariser » la procédure législative concernant les textes relatifs aux collectivités territoriales présenterait, à notre avis, l’inconvénient de perturber gravement le fonctionnement de nos institutions, en particulier le bicamérisme auquel nous sommes très attachés et qui consacre la prééminence de la chambre élue au suffrage universel direct.

L’existence même d’une seconde chambre dans notre système institutionnel ne fait plus débat. Il en va de même de la nature des compétences de cette dernière, qui doit conserver sa capacité législative générale. Nous ne voudrions donc pas que le Sénat voie ses compétences limitées, un jour, au seul domaine des collectivités territoriales, comme l’ont suggéré certains, et perde ainsi sa qualité de législateur de plein exercice, au même titre que l’Assemblée nationale.

Nous comprenons la démarche de nos collègues du groupe du RDSE, mais nous ne partageons pas, sur le fond, les objectifs de cette proposition de loi. Nous souhaitons cependant souligner dans quel contexte elle a été déposée. Nous sommes favorables à l’ouverture d’un débat institutionnel allant dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs, notamment en élargissant la base électorale du Sénat, mais il n’est pas question pour nous, en l’état, de confier un droit de veto supplémentaire au Sénat.

Cependant, nous sommes évidemment opposés à ce que la commission des lois demande le renvoi à la commission d’une proposition de loi dont elle ne sait que faire. Bien qu’étant hostiles, sur le fond, à cette proposition de loi constitutionnelle, nous voterons donc contre la motion déposée par la commission des lois, afin que le débat puisse se poursuivre !

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