Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 13 octobre 2009 à 21h45
Article 61-1 de la constitution — Article 1er

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Nous retrouvons l’aspect rituel de nos débats : la majorité vote avec la majorité, l’opposition avec l’opposition. Or il conviendrait, en l’occurrence, de faire un effort pour sortir de cette routine, car ce projet de loi organique contient une disposition dont je voudrais vous convaincre, mes chers collègues, ainsi que vous, monsieur le secrétaire d'État, de l’inopportunité : avant de transmettre la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, le projet de loi organique prévoit que la juridiction saisie devra s’assurer que la disposition « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ».

Réfléchissons bien à la signification du mot « circonstances ».

S’il s’agit ici des circonstances de droit, alors aucun problème ne se pose. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, la notion de changement des circonstances existe dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et l’interprétation que l’on peut en donner ne soulève pas de difficulté. Un tel changement se produit en cas de modification de l’ordre constitutionnel.

En revanche, s’il est question des circonstances de fait, alors on entre dans l’arbitraire le plus total. J’en appelle, à cet instant, au rapport de la commission, rédigé dans ce style limpide qui caractérise généralement la prose de M. Portelli :

« Deux risques doivent être conjurés : l’instabilité juridique, l’appréciation au fond de la question de constitutionnalité par le juge alors que cette compétence appartient au Conseil constitutionnel.

« Le recours au changement de circonstances ne devrait, en conséquence, intervenir que de manière tout à fait exceptionnelle. En particulier, un changement de circonstances de fait ne semble admissible que plusieurs décennies après l’adoption de la disposition législative litigieuse.

« En dehors du changement de circonstances, la disposition déclarée conforme ne devrait plus pouvoir être contestée quels que soient les moyens invoqués. »

Le recours au changement de circonstances de fait « ne semble admissible », « de manière tout à fait exceptionnelle », « que plusieurs décennies après l’adoption de la disposition législative litigieuse » : entre nous soit dit, monsieur le rapporteur, toutes ces précautions oratoires montrent assez bien que la mesure en cause ne vous séduit pas particulièrement, et qu’elle est même gênante !

Mes chers collègues, je pense donc que nous tirerons M. le rapporteur d’embarras et rendrons service à la République en supprimant, dans le projet de loi organique, une fâcheuse allusion à d’imprécises circonstances…

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