Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à l’été 2007, j’avais déposé une première proposition de loi sur les frais d’exécution de justice. Il s’agissait d’un article unique, qui permettait au juge de laisser l’intégralité des frais de poursuite à la charge du professionnel dans les litiges ayant trait à la consommation.
C’est à partir de ce texte que j’ai bâti, après de nombreuses consultations, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, déposée en octobre 2008. Il aura donc fallu plus de deux ans – 26 mois exactement – pour que ce texte revienne devant notre assemblée en deuxième lecture. Il faut dire que 15 mois se sont écoulés entre la transmission de la petite loi par le Sénat et l’examen du texte par l’Assemblée nationale en séance publique. Je ne doute pas que la durée de cette réflexion soit garante de la qualité de l’examen, mais qu’on ne nous parle plus de train de sénateur !
La principale ambition de ce texte consiste à améliorer les conditions d’exécution des décisions de justice et je rappelle à cet égard que la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’exécution des décisions de justice est un des éléments d’un procès équitable.
Qui en douterait d’ailleurs, et à quoi servirait de pouvoir faire reconnaître son droit par un juge indépendant, rapide et compétent, si sa décision restait lettre morte ?
À ces deux premières préoccupations consistant à éviter des frais de recouvrement au consommateur et à permettre une meilleure exécution des jugements s’est ajoutée une série de mesures, concernant essentiellement la profession d’huissier de justice mais aussi d’autres professions réglementées, notamment en matière de formation.
En première lecture, François Zocchetto, qui a été l’excellent rapporteur de ce texte, l’a enrichi de plusieurs dispositions parmi lesquelles figure la procédure participative, dont nous dirons quelques mots tout à l’heure. L’Assemblée nationale a ensuite examiné ce texte, et procédé à différents ajouts et retranchements qui, à mon sens, sont positifs.
C’est évidemment le cas du rétablissement de l’article 2, concernant les constats d’huissiers. Ces constats existent, ils sont utilisés par les juges comme par les parties, et j’estime qu’il ne servirait à rien de nier leur existence. Établis par un officier ministériel soumis à une déontologie contrôlée par les pouvoirs publics, ces actes ne peuvent être assimilés à de simples renseignements, comme pourrait l’être le même constat établi par un simple particulier. Il me semble que, là aussi, c’est une question de bon sens.
De même, je pense qu’il faut approuver l’extension de la procédure participative au droit de la famille, dans la mesure où l’homologation judiciaire est réaffirmée suivant les règles du titre VI du Livre 1er du code de procédure civile, relatif au divorce.
Au total, je suis heureux que notre rapporteur propose d’aboutir à un vote conforme du Sénat, qui permettra à cette proposition de loi, dont j’ai la faiblesse de croire qu’elle est attendue par la profession, mais aussi par les justiciables, d’être enfin applicable.
J’en arrive maintenant au projet de loi, dont les objectifs sont complémentaires de ceux de la proposition de loi.
S’il traduit un certain nombre des recommandations formulées par la commission présidée par Me Jean-Michel Darrois, ce projet est aussi le résultat de la concertation conduite par la Chancellerie avec les représentants de chacune des professions concernées, et des équilibres définis entre elles.
Je ne vais pas revenir en détail sur l’architecture du texte que vous venez de nous présenter, monsieur le garde des sceaux. Je rappellerai seulement les deux principales dispositions du texte.
Tout d’abord, une série de dispositions tend à développer l’interprofessionnalité en prenant davantage appui sur des structures capitalistiques et en donnant aux professionnels du droit la possibilité de mieux se défendre face à leurs confrères étrangers. Des avocats, des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires pourront ainsi travailler ensemble au sein d’une structure commune.
Même si cette innovation peut paraître encore modeste par rapport à une interprofessionnalité d’exercice, elle ouvre la voie à une coopération sans bousculer les habitudes fortement ancrées dans nos traditions.
La commission des lois a souhaité étendre cette interprofessionnalité aux professions du chiffre – experts comptables et commissaires aux comptes – et aux conseils en propriété industrielle. Professionnels du droit et du chiffre pourront ainsi offrir, dans la même structure, des services complémentaires, en particulier aux entreprises.
L’article 1er prévoit, conformément à l’une des principales recommandations du rapport de la commission présidée par Me Darrois, la possibilité pour un avocat de contresigner un acte sous seing privé.
Cet acte contresigné aurait, entre les parties, une force probante renforcée, qui ne serait cependant pas celle d’un acte authentique, l’acte contresigné demeurant, juridiquement, un acte sous seing privé. L’apposition de ce contreseing attesterait du conseil fourni par le professionnel et dispenserait de toute mention manuscrite exigée par la loi.
J’en viens aux modifications apportées par la commission des lois. La commission a souhaité confirmer le mouvement de modernisation des professions du droit. Elle a adopté vingt-quatre amendements de votre rapporteur, ainsi que deux amendements de notre excellent collègue Patrice Gélard.
S’agissant tout d’abord de la profession d’avocat, la commission a souhaité appliquer aux avocats des barreaux de Nîmes et Alès la même possibilité de multipostulation qu’aux avocats des barreaux de Bordeaux et de Libourne. Cette possibilité de multipostulation paraît constituer une suite logique de la nouvelle définition de la carte judiciaire, qui a réduit les ressorts des tribunaux de grande instance de Nîmes et de Bordeaux.
Dans le cadre des nouvelles dispositions permettant aux avocats d’intervenir en qualité de mandataire d’un sportif, votre commission a jugé pertinent de préciser que l’avocat peut représenter non seulement un sportif, mais aussi un entraîneur ou un club sportif, pour la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement. Elle a parallèlement renforcé les obligations que devait respecter l’avocat dans le cadre de cette activité en les rapprochant de celles qui pèsent sur les agents sportifs.
La commission a également jugé opportun de réformer le régime des spécialisations dont les avocats peuvent faire mention. Elle a ainsi voulu imposer une véritable vérification de la compétence professionnelle de l’avocat dans sa spécialité. L’établissement d’une liste nationale des avocats titulaires d’une mention de spécialisation, qui devra s’accompagner d’un nouvel arrêté fixant la liste des mentions de spécialisations, améliore l’information du client sur les compétences spécifiques du professionnel dans un secteur du droit.
S’agissant de la profession d’huissier de justice, le règlement déontologique départemental a été supprimé. En effet, il n’est pas nécessaire de continuer à établir des règlements départementaux, qui risquent d’être en contradiction avec le règlement national.
À la demande des représentants de la profession, le mode d’élection des délégués à la Chambre nationale des huissiers de justice est élargi. Nous pensons utile de les faire élire par l’ensemble de la profession et non pas seulement par les bureaux des chambres régionales et départementales.
Il a également été procédé à l’adaptation du fonctionnement de la caisse des prêts des huissiers de justice. Cette caisse aurait ainsi la possibilité d’accorder des prêts aux huissiers de justice en activité, particulièrement aux huissiers salariés, pour l’acquisition d’une étude individuelle ou de parts de celle-ci.
La commission a défini une obligation, pour les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, d’établir ou de communiquer au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires une situation financière au terme de chaque exercice, de façon à permettre l’appréciation par le Conseil national de la solvabilité des professionnels. La sécurité de chacun est ainsi renforcée.
La commission est favorable à la mise en place d’un portail électronique national des déclarations de créances. Ce portail permettra de s’informer plus facilement sur l’ensemble des créances pouvant toucher une entreprise en difficulté.
La commission s’est également intéressée aux notaires, en confirmant leurs compétences en matière immobilière. À ce titre, elle a adopté deux mesures : l’une résultant d’un amendement de Patrice Gélard ; l’autre faisant obligation au notaire établissant l’acte portant mutation immobilière d’exercer en France pour que celle-ci puisse être publiée.
Je passe sur les dispositions relatives aux avoués ou aux greffiers des tribunaux de commerce.
J’en viens à la compatibilité entre les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, ou CPI, sujet sur lequel nous aurons l’occasion de débattre tout à l'heure.
Lors de l’examen de la proposition de loi, il avait été envisagé, conformément à l’accord qui était intervenu entre le Conseil national des barreaux et les CPI, que les deux professions fusionnent. L’Assemblée nationale a repoussé cette disposition. Nous avons souhaité poursuivre la réflexion en supprimant l’incompatibilité entre les professions de conseil en propriété industrielle et d’avocat. De la sorte, un CPI titulaire d’une maîtrise de droit, d’un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, qui aurait rempli toutes les conditions requises pour devenir avocat, pourrait exercer les deux professions et serait soumis aux contrôles déontologiques des deux professions.
L’enjeu n’est pas de faire plaisir aux uns ou aux autres, il est de faire en sorte que notre pays soit attractif sur le plan des juridictions traitant de la propriété industrielle. Dans d’autres pays européens, les professions se sont organisées et rapprochées, et présentent par conséquent une plus grande attractivité qu’en France.
Ce point a pu susciter une certaine hostilité de la part de cabinets d’avocats. Il convient de se demander si, dans cette affaire, on n’a pas tendance à privilégier l’intérêt à court terme de certains particuliers, au détriment de l’attractivité de la France en matière de propriété industrielle.
Voilà les quelques réflexions et observations que je voulais présenter à notre assemblée ce soir. Nous aurons, bien sûr, l’occasion d’en débattre de façon plus approfondie à l’occasion de l’examen des articles.