Intervention de Nicole Bonnefoy

Réunion du 8 décembre 2010 à 21h45
Modernisation des professions judiciaires et juridiques exécution des décisions de justice — Suite de la discussion adoption d'un projet de loi et adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons aujourd’hui sont très importants, car ils touchent à l’organisation des procédures juridiques et concernent, de ce fait, la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ces questions.

Il est vrai que le droit ne peut plus être pratiqué comme il y a vingt ou trente ans. Notre société ne cesse d’évoluer, tout comme les pratiques juridiques. Notre système, comme tout système, est imparfait, et il est tout à fait souhaitable que nous le modernisions.

Pour autant, ces évolutions doivent, avant tout, poursuivre un objectif prioritaire : celui d’atteindre une justice efficace et égalitaire, garante de la paix sociale et de l’égal accès au droit pour tous. Ces valeurs sont le fondement de notre République et il est de notre devoir de les défendre et de les préserver.

Je pensais que ce projet de loi allait dans ce sens, qu’il pouvait améliorer notre système, en termes tant d’accès au droit que de sécurité juridique. Or, malgré certaines avancées, il apparaît bien timide et il n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. En effet, je reste très sceptique sur les réelles conséquences de cette réforme pour le justiciable et je m’interroge sur les réelles motivations qui ont poussé le Gouvernement à déposer ce projet de loi.

Madame Alliot-Marie, alors garde des sceaux, avait présenté ce projet de loi comme devant répondre à trois priorités : il s’agissait de renforcer la sécurité juridique, de simplifier les procédures et de moderniser l’exercice des professions du droit.

Or il semble bien que la réforme qui nous est aujourd’hui soumise se consacre quasi exclusivement à moderniser ces professions réglementées, au détriment de la satisfaction des besoins des justiciables. Nous pouvons légitimement nous interroger sur les raisons de ce choix.

Beaucoup ont dénoncé une réforme purement corporatiste. Je n’entrerai pas dans cette polémique qui consiste à montrer du doigt telle ou telle profession. Mais force est de constater que, dans l’élaboration de ce texte, ainsi que dans les débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale et en commission, l’intérêt du justiciable n’a pas toujours été la principale source de motivation du législateur.

Ce projet de loi concrétise certaines recommandations du rapport Darrois qui devaient contribuer à « renforcer les professions du droit et les inciter à travailler ensemble, pour mieux répondre aux besoins des usagers et relever les défis de la concurrence internationale dans le domaine du droit ». J’ai bien peur que seul ce dernier objectif ait des chances d’être atteint. En effet, la réforme de la formation des professionnels du droit n’a pas été abordée et les besoins des usagers ne seront certainement pas plus satisfaits après l’adoption de ce texte.

Que va-t-il réellement apporter pour la majorité des Français, et notamment les plus modestes ? Très peu de chose ! Renforcera-il réellement la sécurité juridique des justiciables, comme on nous le présente ? Rien n’est moins sûr.

Pour illustrer mon propos, j’envisagerai bien évidemment la mesure phare de ce texte : la création de l’acte contresigné par avocat.

Préconisé par le rapport Darrois, cet acte poursuit l’objectif de renforcer la sécurité juridique des accords entre particuliers. Cette proposition part notamment du constat que de plus en plus d’actes sous seing privé sont conclus par des particuliers sans que les parties aient reçu le conseil de professionnels du droit. La prolifération des modèles de contrats, notamment sur internet, participe à ce phénomène et fragilise les parties n’étant pas en mesure de juger, en toute connaissance de cause, de la portée de leur engagement.

Le contreseing de l’avocat était censé y apporter une réponse. Les critiques ont été nombreuses sur cet aspect de la réforme, notamment de la part des autres professions du droit comme les huissiers et les notaires, qui voyaient, dans ce nouvel acte, un moyen pour les avocats d’étendre leur champ d’activité sans réellement renforcer la sécurité des justiciables.

Le risque n’est-il pas de laisser s’installer une confusion pour les justiciables en leur donnant l’illusion d’une sécurité identique à celle d’un acte authentique ? En effet, ce contreseing fera « pleine foi » de l’écriture et de la signature des parties, mais ne sera pas assorti de la même sécurité que l’acte authentique. On expose ainsi certains justiciables à des risques qu’ils ne peuvent mesurer, puisqu’ils penseront être titulaires d’un acte authentique alors qu’il s’agira d’un simple acte sous seing privé.

De plus, cela sous-entendrait que, jusqu’à maintenant, les avocats ne remplissaient pas leur devoir de conseil éclairé auprès des particuliers. Ce n’est bien évidemment pas le cas ! L’acte sous seing privé a déjà une valeur et la responsabilité de l’avocat est d’ores et déjà bien établie par la jurisprudence. La preuve du conseil de l’avocat n’a donc pas besoin d’être donnée par une cosignature.

Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la réelle amélioration que cet acte apportera aux justiciables. Comme beaucoup l’ont souligné, la création de cet acte est avant tout une réponse à la demande des grands cabinets d’avocats cherchant un marché supplémentaire.

La tension semble néanmoins être retombée avec la nouvelle rédaction de l’article 4 du projet de loi, qui permet de maintenir la nécessité d’un acte authentique pour la publicité foncière.

Mais une fois de plus, dans tous ces débats, quid du justiciable ? La seule certitude que nous puissions avoir porte sur les conséquences de la création de cet acte en termes financiers. Il est évident que l’acte contresigné par avocat, dont le montant ne peut être fixé par la loi, entraînera un surcoût pour l’usager. En effet, les assurances risquent d’exiger une augmentation des primes pour les avocats qui dresseront de tels actes et, dans la pratique, les parties seront incitées à se faire représenter par leur propre avocat lors de la rédaction de l’acte contresigné.

Ce sont, une fois encore, les plus modestes qui en subiront les conséquences. À ce sujet, il aurait fallu prévoir, dès maintenant, la prise en charge de l’acte d’avocat par l’aide juridictionnelle. Il y va de l’égalité de tous devant le droit.

Je regrette profondément que ce débat ait été renvoyé à plus tard à l'Assemblée nationale. Si nous voulons moderniser notre droit, il faut qu’il soit accessible à tous : l’aide juridictionnelle est l’un des outils qui le permet. Elle devrait donc être au cœur de toute réforme de notre système judiciaire.

Par ailleurs, le rapport Guinchard avait suggéré de permettre aux mairies de conclure les PACS afin de soulager les greffiers des tribunaux d’instance. La présente réforme, qui se fixe pour objectif de moderniser notre système, aurait pu être l’occasion d’accéder aux requêtes de nombreuses associations qui réclament ce droit de longue date. Or le Gouvernement ne semble pas enclin à s’y résoudre.

Ainsi, partant de la suggestion de ce rapport, il propose seulement que le transfert de cette compétence se fasse au profit des notaires, pour les seuls PACS faisant l’objet d’une convention par acte authentique. Même si cette mesure simplifie certaines formalités entourant la conclusion d’un PACS, elle ne répond pas à la demande principale des associations et d’une majorité des Français, de pouvoir conclure cet engagement en mairie. Il est donc regrettable que nous n’ayons pas, une fois de plus, saisi l’occasion d’avancer concrètement en faveur des personnes pacsées.

Je suis donc très sceptique également quant aux prétendues avancées apportées par cette réforme pour les justiciables. Comme beaucoup, j’ai bien peur que, s’inspirant très clairement du système anglo-saxon, cette réforme n’opère un glissement progressif vers une privatisation du système.

En effet, la création de l’acte d’avocat permettra, tout d’abord, aux grands cabinets spécialisés en droit des affaires de marquer la valeur des actes dont l’élaboration leur est confiée, s’alignant ainsi sur le mode de fonctionnement des cabinets anglo-saxons.

Ensuite, on peut craindre que, du fait de la concurrence entre acte authentique et acte d’avocat, les actes très rémunérateurs ne soient accaparés par ces grands cabinets qui pourront fixer librement leur prix en fonction de la concurrence, laissant aux autres professionnels du droit la prise en charge d’actes peu rémunérateurs, précipitant ainsi la fermeture des petites structures.

De plus, en ouvrant la voie au développement de l’interprofessionnalité capitalistique entre les professions du droit, l’article 21 de cette réforme facilitera l’émergence de grands cabinets d’envergure, capables de s’inscrire dans la concurrence mondiale.

Enfin, en introduisant la multipostulation, vous ouvrez la voix à sa généralisation, ce qui risque de faire disparaître les avocats installés dans les barreaux de plus faible importance, qui subsistent bien souvent grâce aux rétributions de leurs actes de postulation.

Toutes ces mesures montrent bien que nous allons nous diriger vers un système de plus en plus centralisé, calqué sur le modèle anglo-saxon, qui fera les beaux jours des grands cabinets d’avocats parisiens, au détriment, très certainement, des autres professionnels du droit, y compris des avocats des petits barreaux, mais surtout – je l’ai rappelé tout au long de mon propos – des justiciables.

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