Madame la présidente, en cette heure matinale et avec votre accord, cette intervention sur l’article 5 vaudra également défense des amendements n° 13 et 14.
Comme ce fut le cas lors de l’élaboration du projet INES, en 2004, on avance aujourd’hui l’argument de la lutte contre l’insécurité, voire contre le terrorisme, pour justifier la création d’une carte nationale d’identité électronique.
En 2005 déjà, M. Lecerf, dans son rapport d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, affirmait : « Les liens entre la fraude documentaire et le crime organisé ou le terrorisme sont particulièrement étroits. » Il précisait également que la fraude aux titres d’identité représentait « une nécessité pour la criminalité ».
C’est juste. Cela ne peut pourtant pas suffire à justifier les mesures que vous vous apprêtez à prendre. Car si votre objectif était réellement la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé, il vous faudrait également vous attaquer, et réellement, aux paradis fiscaux qui hébergent leurs comptes et au secret bancaire qui les protège des enquêtes internationales et leur permettent de poursuivre tranquillement leurs activités criminelles.
D’ailleurs, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de cet argument sécuritaire. En matière de criminalité, l’usurpation d’identité la plus répandue à l’heure actuelle demeure le vol d’identité bancaire, que ce soit de manière immatérielle ou matérielle, avec le recours aux célèbres YesCards, copies de cartes bancaires qui permettent à leurs détenteurs de retirer des espèces ou de payer des achats, y compris sans connaître le code confidentiel.
Pour Alain Bauer, qui est tout de même l’un des conseillers de M. Sarkozy en matière de sécurité, la fraude à l’identité reste quantitativement marginale en matière criminelle. À l’occasion de son audition par la CNIL en 2005, Alain Bauer déclarait : « En fait, les effets principaux de la fraude à l’identité portent avant tout sur le permis de conduire et sur les passeports pour le franchissement des frontières. En revanche, celle-ci existe quantitativement très peu dans les affaires de terrorisme et de crimes organisés ».
Dans ce contexte, vous comprendrez que nous ne puissions pas accepter que l’on crée un fichier aussi intrusif, aussi peu conforme aux principes fondamentaux qui sont les nôtres, pour des situations qui, d’après les experts, demeurent marginales.
Par ailleurs, en instituant un tel fichier, nous prendrions le risque que notre pays n’encoure une sanction prononcée par la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci ayant rendu au mois de décembre 2008 un arrêt Marper c/ Royaume-Uni dans lequel elle considère que la création de fichiers contenant des données biométriques, pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite juridique en cours, constitue une violation manifeste des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et contrevient à la convention sur la protection des données du Conseil de l’Europe, STE n° 108, de 1981.
La Cour européenne des droits de l’homme estime ainsi en conclusion que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées [...] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Compte tenu de tous ces éléments, nous proposons la suppression de cet article.