Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier Jean-Pierre Chevènement d’avoir proposé l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux d’un débat sur le volet agricole de la négociation OMC. Le débat qui suivra sur la crise de la filière laitière sera d’ailleurs une parfaite illustration de ce sujet.
Le blocage constaté des négociations de l’OMC et la non-conclusion du cycle de Doha, qui a débuté en 2001 et qui devait se terminer le 1er janvier 2005, nous donnent de nouveau l’occasion de demander l’exclusion du secteur agricole de ces négociations.
Nul ne saurait se satisfaire d’un éventuel échec ou d’un improbable succès des discussions multilatérales menées dans un cadre ultralibéral, dont la crise économique et financière actuelle montre encore les limites.
Depuis la création de l’OMC en 1995, la mise en concurrence de toutes les agricultures du monde n’a fait que le bonheur des spéculateurs et, il faut le souligner, mis en péril, sur le plan alimentaire, près d’un milliard d’individus à l’échelle de la planète.
Il s’agit là d’un enjeu vital, et personne ne peut oublier les « émeutes de la faim » qui ont secoué et fragilisé de nombreux pays en 2007 et 2008. Ces émeutes se poursuivent, dans l’indifférence générale, alors que le milliard d’êtres humains souffrant de malnutrition vient d’être dépassé.
Le modèle concurrentiel et la logique de l’offre prônés par les organisations internationales, qui ne tiennent pas compte des différences climatiques, des cycles de productions, des types d’exploitations ou tout simplement des terres arables disponibles, sont aujourd’hui dans une impasse totale, pour les agricultures des pays développés comme pour celles des pays du Sud. La sécurité et la souveraineté alimentaires doivent devenir le point central des discussions en matière agricole.
En juillet 2008, la réunion de l’OMC à Genève proposait d’entériner une diminution comprise entre 60 %, selon la proposition de Pascal Lamy, et 80 %, selon celle de Peter Mandelson, des droits à paiement unique européens, pour achever coûte que coûte les négociations du cycle de Doha., ce qui aurait entraîné une baisse de 60 % à 70 % des tarifs douaniers aux frontières de l’Union européenne pour le blé dur et le blé tendre, les viandes ovine et porcine, les volailles et les fromages. S’il y avait cumul avec la diminution des aides européennes, les facilités d’exportation accordées aux pays tiers et les baisses des prix à la production entraînées par les importations, rares sont les agriculteurs français et européens qui y auraient survécu.
Si l’on ajoute à cela l’adoption par la Commission européenne en juin de la même année, dans le cadre de la « simplification » de la politique agricole commune, de la suppression de l’obligation de présenter des certificats d’importation et d’exportation pour près de 1 500 produits agricoles ou dérivés, il ne reste plus aucun outil d’application de la préférence communautaire. Ces certificats représentaient le dernier moyen de suivi et de régulation des échanges dans le secteur agricole.
Si la réunion de Genève a échoué, c’est aussi « grâce à » l’intervention du ministre indien du commerce, M. Kamal Nath, qui, précisément au nom de la souveraineté alimentaire de son peuple, a exigé d’inclure un mécanisme spécial de sauvegarde pour éviter que les paysans de son pays ne soient ruinés par les importations. Cette clause de sauvegarde, permettant de relever les tarifs douaniers lorsque trop de produits importés provoquent un effondrement des cours, existe et pourrait être utilisée en France, comme dans le reste de l’Europe, plus fréquemment, y compris en ajoutant un cahier des charges qui préciserait les garanties sociales et sanitaires des travailleurs et producteurs agricoles.
Le dogme de la concurrence libre et non faussée est devenu une certitude et, dans le bilan de la présidence française de l’Union européenne, on a omis de s’étendre sur ces sujets vitaux pour nos agriculteurs et nos concitoyens. Oubliés les discours de 2007 sur la préférence communautaire agricole, les prix rémunérateurs pour les producteurs ! Aujourd’hui, l’horizon est barré par le démantèlement de la PAC et l’alignement, d’ici à 2013, sur les cours mondiaux.
Le monde agricole, dans sa quasi-unanimité, de la FNSEA au MODEF, le Mouvement de défense des exploitants familiaux agricoles, en passant par les Jeunes Agriculteurs ou la Confédération paysanne, réclame que l’OMC sorte de l’agriculture, ou que l’agriculture et l’alimentation sortent du cadre de l’OMC !
Sur le plan de la production, nous le savons, d’autres modèles que celui de l’agro-industrie qui procureraient des revenus décents aux producteurs sont envisageables.
Il en est de même pour la commercialisation des denrées agricoles. La piste d’une refondation de la FAO, à laquelle seraient confiés les échanges agricoles, institués sur des bases bilatérales ou régionales dans un cadre d’un commerce équitable, est une proposition de rupture que nous souhaitons défendre.
Les plus faibles relèvent la tête aujourd’hui, pour sauver ce qui reste d’une production nationale qui fait vivre des millions de familles de petits producteurs, à l’instar d’un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest – Burkina-Faso, Tchad, Mali et Bénin –, qui se sont alliés au sein de « l’initiative sectorielle en faveur du coton » pour tenter de résister aux États-Unis. En Amérique latine, l’Alternative bolivarienne pour les Amériques, ALBA, permet à ses membres, depuis 2001, de « donner selon ses possibilités et recevoir selon ses besoins » : Cuba envoie des médecins bien formés et la Bolivie exporte à des tarifs respectueux de ses producteurs du quinoa et des camélidés.
Nous devons tenir compte de l’émergence de cette thématique de la « survie » dans les enceintes de négociations internationales, car il en va également de la survie de milliers d’exploitations agricoles dans notre pays, où les disparités de revenus ne font que s’accroître et où la concentration s’accélère aux dépens des plus faibles.
Les agriculteurs français et européens attendent que nous revenions à une véritable préférence communautaire, qui s’articulerait autour de deux piliers.
D’une part, il faut instaurer un prix minimum européen qui serait un prix de négociation, et qui ne résulterait pas d’un alignement, à la baisse, sur les cours mondiaux, lequel nous est présenté comme inéluctable.
D’autre part, la constitution de stocks de sécurité, pour renforcer la souveraineté alimentaire de chaque État, est un véritable choix politique. Ces stocks, qui sont aujourd’hui au plus bas, mettraient un terme à la spéculation que subissent tour à tour les producteurs de lait, de porcs, de fruits et légumes, de bananes outre-mer, pour le plus grand bénéfice des actionnaires de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire.
Nous partageons d’ailleurs cet objectif avec beaucoup de paysans et de responsables agricoles d’autres régions du monde. C’est également au nom de ces principes que l’Inde, la Chine et l’Indonésie ont dit « non » aux négociateurs de l’OMC à Genève, contre l’avis des États-Unis, du Brésil et de l’Australie, dont l’avocat n’était autre que Pascal Lamy !
En 2050, il y aura 9 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants à nourrir sur notre planète ; c’est bien pour cela qu’il faut sortir l’agriculture et l’alimentation du cadre multilatéral et ultralibéral de l’OMC. La France, premier pays agricole de l’Union, doit avoir le courage de porter à la fois l’ambition d’une nouvelle PAC, rémunératrice, solidaire et durable, et de jouer un rôle déterminant dans le concert des nations pour que les échanges mondiaux s’établissent sur des bases de coopération alimentaire et de commerce équitable. §