Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la crise qui secoue depuis plusieurs semaines nos campagnes est profonde. Elle vient légitimement se manifester jusqu’au cœur de nos villes. Elle résulte essentiellement de la conjonction de deux phénomènes.
Le premier est l’augmentation des quotas laitiers, qui préfigure leur disparition programmée par la Commission européenne. Cette dérégulation de la production laitière résulte essentiellement d’une approche néolibérale des marchés agricoles chère à Mme Fischer Boel.
Chacun sait pourtant que les marchés agricoles sont particulièrement volatils, en raison d’une inélasticité de la demande par rapport au prix : les augmentations de production, dès qu’elles excèdent la demande, font mécaniquement plonger les prix, à moins de disposer de moyens adaptés de transformation et de stockage... qui ont un coût et par conséquent aussi des limites ! Telle est la raison qui avait conduit à instaurer les quotas laitiers en 1983.
La Commission joue avec le feu en ouvrant la voie, pour des raisons idéologiques, à la suppression de ces quotas et en tablant sur la demande mondiale pour absorber les excédents de lait en poudre et de beurre.
C’est un pari aussi hasardeux que détestable sur le fond. Hasardeux, parce que la demande mondiale n’est pas un débouché stable : après l’embellie de 2007, qui a fait illusion, le marché s’est effondré en 2008, mettant en difficulté les transformateurs d’excédents laitiers. Détestable, parce que contraire au principe essentiel de souveraineté alimentaire déjà évoqué dans notre débat sur l’OMC : quand les pays industrialisés, dont l’Europe, cesseront-ils de déverser leurs excédents agricoles sur les pays en développement, avec pour conséquence le blocage structurel, dramatique, du développement de leurs agricultures vivrières ?
Le second phénomène est le problème de la représentation du monde agricole au sein des instances interprofessionnelles, caractérisée par ce qu’il faut appeler « le monopole du syndicat majoritaire », alors qu’il ne fédère que la moitié des producteurs laitiers. Les compromis qu’il négocie avec les firmes agroalimentaires du secteur laitier en termes de répercussion de la crise du marché mondial sur les prix versés aux producteurs ne sont pas supportables pour la grande majorité des petits et moyens producteurs, qui sont aujourd’hui littéralement asphyxiés. Implicitement, ces compromis font le jeu des grands groupes privés ou coopératifs que nous connaissons tous, qui transfèrent la crise engendrée par la gestion des 90 000 tonnes de lait en poudre et des 120 000 tonnes de beurre sur le monde agricole, et qui traduisent sur le terrain les velléités inavouables de la Commission européenne : engager une nouvelle étape dans la restructuration du secteur laitier, en quelque sorte « refaire du Mansholt » et liquider les petites et moyennes exploitations laitières jugées « improductives ».
Vous l’aurez compris, cette crise pose fondamentalement la question du modèle agricole laitier européen. Quel type d’exploitation laitière veut-on promouvoir ? Des « usines à lait » avec des vaches à potentiel maximisé, gavées d’ensilage de maïs et de tourteau de soja importé, produisant de manière intensive pour le stockage et l’exportation ? Ou bien des exploitations agricoles avec des vaches plus rustiques, par conséquent moins « traitées », permettant de valoriser les herbages, produisant pour un marché intérieur et valorisant dès que possible leurs produits sur des circuits courts ?
Une nouvelle fois, nous mesurons combien les dimensions économique, sociale et environnementale, loin de s’opposer se conjuguent. Encore convient-il de rompre avec les fantasmes néolibéraux selon lesquels il faut réintroduire à tout prix du marché dans l’agriculture et continuer d’affaiblir les outils de régulation...
C’est pourquoi les Verts demandent le rétablissement des quotas laitiers : malgré leurs inconvénients – le principe des quantums nous semblait plus intéressant –, les quotas avaient permis de gérer dans la durée l’évolution du secteur laitier, de prévenir les crises de surproduction.
Ma collègue et amie Bernadette Bourzai, sénatrice de la Corrèze, se joint à moi pour mettre également en exergue une autre dimension des quotas : les quotas régionaux apparaissent comme le seul moyen de répartir harmonieusement la production laitière sur le territoire et d’éviter que les régions de plaine et surtout portuaires à bas coûts de production ne viennent concurrencer abusivement les régions de montagne ou dites défavorisées, dont la seule ressource agricole est l’herbe. Cette herbe doit être valorisée par nos élevages, y compris laitiers : c’est un enjeu environnemental qui, à l’heure du Grenelle de l’environnement, n’aura échappé à personne. Mais c’est également un enjeu sociétal en termes d’aménagement du territoire : nous devons tout faire pour éviter le déménagement programmé de la production laitière, engagé par l’augmentation et la suppression des quotas laitiers !
Monsieur le ministre, chers collègues, je vous invite à considérer cette crise laitière comme une opportunité de remettre à plat la politique agricole, d’en stopper les dérives néolibérales et de promouvoir un modèle agricole européen en phase avec les attentes de nos concitoyens, qui se sont récemment exprimés clairement dans ce sens : un modèle plus respectueux de l’environnement et pourvoyeur d’emplois car moins intensif, moins dépendant d’importations et plus territorialisé, un modèle implicitement plus solidaire des pays du Sud car tourné vers une demande intérieure de produits de qualité.