Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 3 mars 2011 à 14h30
Garde à vue — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est le dos au mur que le Gouvernement nous présente aujourd'hui sa réforme. En effet, le Conseil constitutionnel a fixé au 1er juillet prochain la date limite pour mettre en œuvre une nouvelle législation en matière de garde à vue. Vous avez donc une épée de Damoclès sur votre tête, monsieur le ministre ! Bien entendu, c’est non pas votre personne que je mets en cause, car vous venez d’arriver au ministère, mais le Gouvernement, qui, depuis 2007, alors qu’il aurait dû agir, n’a rien fait.

Pourtant, les avertissements n’ont pas manqué, ici même, au Sénat, où plusieurs débats ont eu lieu. Le président de la commission des lois a mis en garde à plusieurs reprises le Gouvernement, le menaçant d’agir s’il ne faisait rien, car il était temps. Il n’a pas été entendu.

Tous ces signaux, tous ces appels se sont heurtés à l’attitude fermée et hautaine de votre prédécesseur, monsieur le ministre, qui nous a renvoyés à nos chères études, au motif que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne concernaient pas la France, mais visaient des pays plus ou moins barbares comme la Turquie ! Voilà ce que nous avons entendu en commission des lois. Mais je suppose que votre prédécesseur ne faisait que suivre en cela les avis de son ministère…

Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous finassez, notamment sur le rôle du parquet. Nous y reviendrons. Nous analyserons très exactement la jurisprudence européenne : elle ne dit pas ce que vous prétendez qu’elle dit, j’en suis absolument persuadé.

Je ne rappellerai pas toutes les décisions qui se sont succédé depuis l’arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008. En commission, il nous a été signifié que nous n’étions pas concernés par ces décisions ! Il faut attendre l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme pour apprendre que le procureur de la République ne constitue pas une autorité judiciaire indépendante - on ne parle pas de magistrat, le terme n’est pas employé ; il ne nous regarde pas ! –, seule autorité à même de décider la prolongation d’une garde à vue.

Ce n’est pas dans le sens de ce que le Gouvernement propose, ce n’est pas dans le sens de ce que la commission des lois propose, les dispositions qui nous sont soumises sont donc inconstitutionnelles, et je vais le démontrer.

La réforme intervient dans un contexte particulièrement incohérent.

En effet, il est totalement incohérent de proposer dans l’urgence une réforme de la garde à vue sans envisager le reste de la procédure pénale. C’est que la chaîne pénale est un tout. On ne peut pas modifier le seul régime de la garde à vue – il est différent de l’ancien, je le reconnais, monsieur le rapporteur – sachant que le reste de la procédure pénale sera à terme, je suppose, différente, elle aussi, de ce qu’elle est aujourd'hui.

On a parlé de deux cents pages. Que sont-elles devenues ? Nous n’en savons rien ! Peu importe ! Tout cela s’envole au vent de l’Histoire.

Vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, comme les mesures nécessaires n’ont pas été prévues, vous êtes aujourd’hui dans l’impossibilité d’appliquer la réforme. Et vous commencez donc maintenant les négociations afin de déterminer comment les locaux de garde à vue seront équipés ou comment les avocats seront rémunérés…

Non, monsieur le ministre, tout cela n’est ni sérieux ni à la hauteur de la question traitée !

Trois mots peuvent qualifier l’actuel état de la législation française relative à la garde à vue : confusion, complexité, dérives.

Cette législation n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être dans un État de droit. Elle est en retrait par rapport à celle de nombreux États voisins. Je n’invente rien en disant cela. En effet, l’étude de législation comparée du 31 décembre 2009 l’a largement démontré. Lorsque nous sommes allés en Allemagne ou en Italie, monsieur le rapporteur, nous avons fait le même constat.

Cette situation a valu à la France d’être condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. La Grande-Bretagne considère que ce n’est pas trop grave ; nous pensons autrement. En tant qu’Européen convaincu, monsieur le ministre, vous considérez certainement – comme d’autres – qu’il est très grave d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.

La législation a également été censurée, en partie, par le Conseil constitutionnel. Enfin, elle a été critiquée par la Cour de cassation, qui a fini par comprendre qu’elle devait s’inscrire dans le droit fil de l’Histoire. Mieux vaut tard que jamais !

S’agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – alors que la France a attendu près de vingt-cinq ans, après avoir signé la Convention en 1950, pour la ratifier en 1974 –, la France n’a accepté les recours individuels qu’en 1981, grâce à M. Robert Badinter, que je remercie.

Ces faits s’expliquent essentiellement par l’absence de réglementation sur la garde à vue avant 1958 ainsi que par la faiblesse des garanties, qui devaient ensuite être introduites dans le code de procédure pénale.

À mon sens, le projet de loi que nous examinons est un texte a minima qui encourt plusieurs critiques quant à sa cohérence avec les décisions tant du Conseil constitutionnel que de la Cour européenne des droits de l’homme, sur trois points notamment.

Le premier est l’audition libre. Initialement prévue – nous en avions beaucoup discuté dans cette enceinte -, elle a été abandonnée par l’Assemblée nationale, mais elle est réapparue dans l’article 11 bis du présent projet de loi. Aucun droit n’est accordé à la personne auditionnée par le policier enquêteur, même si la durée maximale de présence dans les locaux de police n’est pas fixée.

Nous arrivons par conséquent à un régime sans droits, contraire aux exigences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation.

Il existe un important risque de dérive vers un régime de substitution de la garde à vue, mais sans droits pour les personnes concernées !

Afin que l’audition réponde aux exigences minimales de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, nous proposerons un certain nombre d’amendements visant à encadrer cette audition et à la rendre conforme aux exigences précédemment visées.

Comme mon ami Alain Anziani le disait tout à l’heure, ces amendements ont malheureusement été rejetés par la commission des lois. J’espère qu’ils seront adoptés aujourd’hui. En effet, il y a certainement là un motif de censure. Vous me répondrez que, si le Conseil constitutionnel ne censurait qu’un article au mois de juin, cela ne serait pas si grave, et nous nous passerions de l’audition libre !

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