Mais il y a plus.
Il faut aussi, c’est mon deuxième point, évoquer les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée et le terrorisme, laissés intacts. Nous n’y touchons pas. À cet égard, certains n’hésitent pas à écrire que la conformité à la Constitution de ces régimes a été réaffirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Or c’est faux, totalement faux ! En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas examiné la question au fond.
La persistance du Gouvernement à ignorer totalement la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme frise la pathologie, avec le résultat que ces régimes ne sont pas traités. La France conserve donc toutes ses chances d’être condamnée à Strasbourg également sur ce fondement !
Mais, surtout, et c’est le troisième et dernier point, le projet de loi confie au procureur de la République, autorité de poursuite, les pouvoirs d’ordonner des placements en garde à vue, de prolonger la mesure, d’en contrôler le bon déroulement et de sauvegarder mais aussi de limiter les droits de la personne gardée à vue.
Le texte aboutit ainsi à une confusion des rôles, alors que plusieurs arrêts, tels que l’arrêt Medvedyev, avaient indiqué que la personne arrêtée ou détenue devait être présentée devant une personne présentant les garanties requises en termes d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties. Cela exclut notamment que cette personne puisse agir, par la suite, contre le requérant.
Pourtant, même si nous n’évoquons pas aujourd’hui son indépendance, le procureur de la République est l’autorité qui exercera les poursuites dans la suite de la procédure, du moins telle qu’elle existe aujourd’hui et telle qu’elle avait été présentée par votre prédécesseur, monsieur le ministre.
Dans l’arrêt du 15 décembre 2010, la Cour de cassation reprend à son compte cette interprétation. Selon elle, le ministère public n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, dans la mesure où il ne présente ni les garanties d’indépendance requises ni les garanties d’impartialité, puisqu’il est partie prenante.
Le récent arrêt Moulin c. France de la Cour européenne des droits de l’homme est encore beaucoup plus clair. En effet, la Cour affirme par cet arrêt que le procureur ne remplit pas les garanties d’indépendance nécessaires à l’exercice des fonctions judiciaires, c’est-à-dire des fonctions de contrôle de la liberté individuelle de la personne placée en garde à vue. Il s’agit de décisions judiciaires, pas de décisions de sécurité !
Le placement en garde à vue est une décision de sécurité, qui peut ressortir au procureur de la République. Tout le reste correspond à du judiciaire, et relève du contrôle des libertés publiques et des libertés individuelles.
Il est donc aujourd’hui essentiel de repenser totalement l’architecture du ministère public. En effet, dans l’arrêt Medvedyev du 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l’homme avait nuancé sa position, mais elle l’a affirmée de manière plus claire dans l’arrêt Moulin c. France. La Cour affirme en effet que l’indépendance compte au même titre que l’impartialité. Parmi les garanties d’indépendance, la notion d’autonomie du magistrat est soulignée.
La Cour rappelle en outre que les garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment que les magistrats puissent agir par la suite, comme le requérant, dans la procédure pénale. C’est pourtant, à l’évidence, le cas du procureur de la République.
Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme considère que le procureur de la République, membre du ministère public, ne présente pas, au regard de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, les garanties d’indépendance exigées par la jurisprudence pour pouvoir être qualifié de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Vous remarquerez l’emploi du terme « magistrat ».
Je soutiens que tout ce qui concerne le contrôle des libertés individuelles relève des fonctions judiciaires, et non de fonctions policières ou de sécurité, qui ne peuvent donc pas être exercées par le procureur de la République.
Ainsi, le pouvoir actuellement reconnu au parquet d’autoriser la prolongation de la garde à vue, confirmé par le projet de loi, est contraire aux positions prises par la Cour de Strasbourg, cela me semble parfaitement lumineux.
Compte tenu du rôle confié au parquet, il est indispensable de procéder à une modification tant des règles de nomination que du régime disciplinaire de ses membres, ainsi qu’à un renforcement des compétences du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme implique en effet une révision constitutionnelle de la composition et des compétences du CSM, telles qu’elles sont définies à l’article 65 de la Constitution. Cette mesure a d’ailleurs été adoptée par les deux assemblées à la suite d’une réforme engagée en 1998 par M. Jacques Chirac après la publication du rapport confié à une commission présidée par M. Pierre Truche.
Pour des raisons politiques sur lesquelles je ne reviendrai pas, ce projet de loi constitutionnelle, adopté par les deux chambres, n’a pas été soumis au Congrès, sans le vote duquel il ne pouvait pas avoir de valeur juridique.
Il faut, à mon sens, reprendre les principes de cette réforme inaboutie, qui prévoyait l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet ainsi que la compétence du CSM pour statuer en tant que conseil de discipline. Un consensus serait aujourd’hui possible sur ce sujet, j’en suis persuadé.
Toutefois, puisque vous êtes restés sourds, pendant quatre ans, à tout ce que nous vous avons dit, à toutes les mises en garde s’agissant du couperet qui tomberait, sachez que, le 1er juillet, place de la Concorde, la guillotine sera là !