Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis de onze articles du projet de loi adopté par les députés le 15 février dernier.

La compétence de la commission des lois se justifie par la nature de certaines questions bioéthiques qui intéressent directement le droit de la famille, le droit de la responsabilité civile ou certains principes fondateurs inscrits dans notre code civil, comme le principe de l’anonymat du don ou celui de non-patrimonialité du corps humain.

Les lois fondatrices du 29 juillet 1994 ont posé le socle de la législation bioéthique. Conscient du caractère novateur de celle-ci et de la nécessité qu’elle soit appréciée à l’épreuve des faits et des évolutions scientifiques, le législateur avait posé le principe d’une révision périodique de cette législation tous les cinq ans. La première révision intervint en 2004, sans qu’elle s’accompagnât de remises en cause majeures des équilibres établis en 1994. Tel est aussi le cas du présent projet, qui constitue donc la deuxième occasion de révision.

En effet, ce projet de loi est d’une ampleur limitée : les principes édictés en 1994 sont solides et pertinents, et il n’y a pas de raison de les remettre en cause. Le seul principe nouveau est celui de l’abandon du principe de la révision. Sans doute peut-on y voir le signe de la maturité de cette législation, qui rentre dans le champ du droit commun et sera soumise à la vigilance continue du législateur. La mesure est judicieuse, à la condition que le débat soit organisé et se poursuive, comme l’a proposé la commission des affaires sociales.

Si cette législation doit s’adapter aux progrès scientifiques ou médicaux, il est souhaitable que les principes sur lesquels elle repose ne soient pas remis en cause, à moins que des bouleversements scientifiques ou des évolutions sociales ne le requièrent.

À cet égard, la commission des lois a constaté qu’aucune des dispositions dont elle s’est saisie n’est imposée par une avancée scientifique ou médicale déterminante. Au contraire, qu’il s’agisse de l’anonymat des donneurs de gamètes ou du transfert post mortem d’embryon, les questions qui se posent aujourd’hui sont les mêmes que celles auxquelles le législateur a répondu en 1994 et en 2004 en réaffirmant sa position de principe.

Les souhaits de modification de la législation, qui reposent souvent sur une souffrance que nul ne peut nier, sont légitimes. Toutefois, ils ne sauraient justifier à eux seuls une remise en cause de principes essentiels si cela a pour effet de porter atteinte à des intérêts tout aussi légitimes que ceux qu’ils défendent.

À l’issue de ses travaux, la commission des lois a adopté six amendements, qui ont tous été intégrés par la commission des affaires sociales au texte soumis à notre examen.

Avant de vous présenter brièvement le sens des conclusions de la commission des lois sur les onze articles dont elle s’est saisie, je souhaite remercier la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, M. Alain Milon, de la qualité du débat et des travaux qu’ils ont menés sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

Le premier point concerne la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave.

Madame la secrétaire d’État, la commission des lois partage l’objectif du Gouvernement de simplifier cette procédure, pour garantir une diffusion plus efficace de l’information médicale à caractère génétique.

Cependant, elle a été attentive à ce que les intérêts de chacun soient préservés, qu’il s’agisse de la personne diagnostiquée ou de ses apparentés. À cet égard, il lui a semblé plus judicieux de renvoyer sans exception au droit commun de la responsabilité civile et de la représentation légale.

Le deuxième point porte sur l’extension du cercle des donneurs vivants.

L’Assemblée nationale propose d’étendre un peu plus le cercle des donneurs vivants d’organe à toute personne avec laquelle le receveur possède un lien affectif étroit, stable et avéré.

Dans son principe, cette extension ne pose pas de problème. Cependant, on peut craindre qu’elle ne soit détournée par certains pour permettre des trafics. Il est effectivement plus facile de simuler un lien affectif stable qu’un lien familial établi par un acte d’état civil. Au cours de son audition, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, chargé de vérifier le consentement du donneur d’organe et le respect des conditions légales, a confirmé à votre serviteur la nécessité d’appuyer cette extension sur des éléments objectifs, notamment une durée minimale fixe. Tel est le sens du délai de deux ans prévu dans les dispositions de l’article 5.

Le troisième point a trait à la suppression de toute condition liée à la stabilité du couple souhaitant recourir à une assistance médicale à la procréation.

En droit français, l’assistance médicale à la procréation est conçue en miroir de la procréation naturelle : elle vise à permettre à un couple de pallier l’infertilité qui l’empêche de procréer naturellement.

Elle n’a pas pour objet de rendre possible des procréations impossibles. Pour cette raison, elle répond à des conditions médicales strictes.

À ces conditions médicales s’ajoutent des conditions sociales qui rendent compte de l’intérêt, d’une part, de l’enfant à naître dans un couple parental stable et uni et, d’autre part, de la société, qui consacre certaines formes de parentalité. Le couple doit ainsi répondre au critère d’une certaine stabilité en étant, soit marié, soit en mesure d’apporter les preuves d’une vie commune d’au moins deux ans.

Initialement, le projet de loi prévoyait d’étendre cette condition de stabilité aux partenaires hétérosexuels ayant conclu un pacte civil de solidarité, un PACS. L’Assemblée nationale est allée plus loin puisqu’elle a supprimé cette exigence de stabilité au motif que la durée d’une assistance médicale à la procréation et les épreuves que cette dernière impliquait manifestaient suffisamment l’engagement du couple demandeur.

La commission des lois n’a pas jugé cette suppression opportune : la condition juridique de stabilité offre aux équipes médicales un fondement juridique pour refuser l’assistance médicale à la procréation à un couple qui ne présenterait pas les qualités de stabilité requises, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Faire disparaître cette exigence de stabilité, c’est concrètement supprimer toute possibilité de contrôle sur la réalité du couple qui demande à recourir à l’assistance médicale à la procréation. Symboliquement, cela revient à réduire encore un peu les dispositions qui renvoient, implicitement, à l’intérêt de l’enfant à naître. La commission des lois a, en conséquence, déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, visant à revenir à la rédaction du Gouvernement, en substituant toutefois à l’exigence d’une durée de vie commune de deux ans les conditions fixées pour le concubinage.

Le quatrième point concerne la levée de l’interdiction du transfert post mortem d’embryons.

Le droit en vigueur interdit à la fois le transfert posthume d’embryons et l’insémination à titre posthume. Pour que l’assistance médicale à la procréation puisse avoir lieu, les deux membres du couple doivent être vivants. Le décès de l’un d’eux interrompt irrémédiablement le processus. L’Assemblée nationale a proposé de lever cette interdiction, dans des conditions très encadrées.

La question du transfert post mortem d’embryons s’est déjà posée en 1994 et en 2004. Chaque fois, le législateur a écarté cette solution. La question revient devant nous alors qu’elle ne concerne, mes chers collègues, qu’à peine un cas par an.

Aussi légitime et respectable que soit la détresse des femmes confrontées à une situation si dramatique, celle-ci ne peut, à elle seule, guider le législateur lorsque cela aurait pour conséquence une remise en cause majeure de principes et de garanties essentiels.

La commission des lois a jugé nécessaire que l’intérêt de l’enfant prime : l’assistance médicale à la procréation ne peut être conçue que dans l’intérêt de ce dernier, qui est de naître dans une famille constituée de deux parents qui pourront l’élever. L’intérêt d’un enfant ne peut être de naître orphelin. Le projet parental qui fonde le recours à l’assistance médicale à la procréation est celui d’un couple parental : il disparaît avec ce couple, lorsque celui-ci se sépare ou lorsqu’un des deux partenaires décède.

En outre, il faut souligner la complexité et l’incertitude du régime dérogatoire mis en place, notamment en matière de succession et d’établissement de la filiation.

Enfin, la commission des lois a considéré qu’autoriser le transfert post mortem d’embryons conduisait à ouvrir la voie de l’insémination posthume ainsi que celle de procréations envisagées dans un contexte de mort prévisible ou imminente. Ni l’une ni l’autre de ces voies ne sont, selon nous, souhaitables.

Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que le transfert post mortem d’embryons ne concerne qu’un nombre extrêmement faible de cas – à peine un par an, je le répète –, la commission des lois a déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, et qui a supprimé le dispositif proposé par l’Assemblée nationale.

Le cinquième point a trait à l’encadrement des neurosciences et de l’imagerie cérébrale.

L’essor des neurosciences et le développement des techniques d’imagerie cérébrale, qui ne font aujourd’hui l’objet d’aucun encadrement juridique, suscitent de nouvelles interrogations éthiques.

Les députés ont souhaité apporter un certain nombre de garanties juridiques à l’utilisation de ces technologies. Ils se sont, pour ce faire, inspirés de l’encadrement juridique prévu pour l’examen des caractéristiques génétiques des individus, car le souci sous-jacent est identique dans les deux cas de figure : la crainte que l’on puisse considérer que les gènes ou les configurations neuronales du cerveau, siège de la pensée, constituent la vérité de la personne et que l’on utilise ces savoirs pour prédire les comportements ou les représentations relevant du for intérieur de chacun.

Le dispositif proposé présente donc le mérite d’apporter un cadre juridique à une pratique dont on ne mesure pas encore suffisamment les vertus et les risques. Il appartiendra donc au législateur d’être vigilant sur les évolutions futures de la discipline et des usages qui en seront faits, afin d’apporter toutes les garanties requises.

Le sixième point concerne la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes.

L’Assemblée nationale a supprimé la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes, que le texte prévoyait initialement d’autoriser.

La commission des lois partage l’analyse des députés sur ce point : la levée de l’anonymat est susceptible de perturber l’équilibre que le législateur a tenté d’instaurer, dans le respect des principes bioéthiques généraux, entre l’intérêt de tous ceux qui prennent part à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et l’intérêt des enfants nés de cette technique médicale.

Autoriser, par la levée de l’anonymat, le donneur à prendre une place dans l’histoire personnelle et familiale de l’enfant, fût-ce avec son consentement, fait surgir au cœur de la filiation un primat biologique qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien.

La commission des affaires sociales a adopté un amendement de son rapporteur, visant à rétablir la levée partielle de l’anonymat. Ce dispositif peut apparaître plus cohérent puisqu’il prévoit que la levée de l’anonymat ne jouera que pour l’avenir et que les futurs donneurs donneront en toute connaissance de cause, sans pouvoir s’opposer à la transmission de leur identité aux enfants nés de leur don qui souhaiteront la connaître. Cependant, les mêmes objections peuvent être opposées à ce dispositif. La commission des lois vous proposera donc de ne pas adopter ces articles.

Enfin, plus que toute autre, la législation bioéthique appelle un examen prudent et responsable. Elle porte autant d’espoirs que de risques, de certitudes que d’incertitudes. Il revient au législateur d’arbitrer entre des exigences parfois contraires : répondre à une souffrance avérée, garantir la protection de la personne humaine, privilégier le respect de principes directeurs, pour mieux préserver les équilibres fondamentaux de nos sociétés. Les questions débattues nous imposent de choisir en conscience afin de concilier au mieux les intérêts de chacun, au bénéfice de tous.

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