Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, que le Sénat entame cet après-midi, nous place loin des divisions politiques classiques qui opposent, sur de nombreux sujets, une droite conservatrice et une gauche moderniste. Il ne s’agit pas, ici, de raisonner par réflexe idéologique ou tradition partisane. Le débat qui nous anime est d’une tout autre nature : il s’agit de nous interroger sur la conception que nous nous faisons de l’homme et, en premier lieu, du fragile embryon humain.
Le texte qui nous est soumis appelle d’abord une réflexion générale. Depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain. Cette conception le conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité. Les uns, destinés à voir le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Dans les deux cas, pourtant, il s’agit bien, à la base, d’un même embryon humain.
Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux. Est-il acceptable, dans une démocratie digne de ce nom, que l’humanité d’un être dépende d’un regard subjectif autorisé par le bon vouloir du législateur ? Au nom de quel principe un être humain, fût-il législateur, peut-il décider de nier l’humanité et les droits élémentaires de toute une catégorie d’êtres, sous prétexte que ce sont des embryons et ne répondent pas, ou plus, à un projet parental ?
La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas, au contraire, à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le «projet » que d’autres ont formé pour lui ?
Je ne peux, à cet égard, m’empêcher d’évoquer un rapprochement qui me vient à l’esprit. Il s’agit de la chosification, dans nos anciennes colonies, jusqu’en 1848, d’une autre catégorie d’êtres humains, du fait du «projet social » que d’autres avaient conçu pour eux et malgré eux.