Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet :

Comme le soulignait à l’époque Victor Schœlcher à propos de l’abolition de l’esclavage, « la République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu’il suffise, – pour se glorifier d’être un peuple libre –, de passer sous silence toute une classe d’hommes tenue hors du droit commun de l’humanité. Elle a pris au sérieux son principe… Par là, elle témoigne assez hautement qu’elle n’exclut personne de son éternelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »

Ces phrases auraient-elles perdu de leur actualité ? On pourrait être conduit à le penser !

Prenons, par exemple, le cas du « bébé médicament », qui n’est plus voulu pour lui-même, mais pour sa compatibilité génétique avec un frère ou une sœur malade déjà né. Imaginez les réactions psychologiques d’un enfant à qui l’on annoncerait que son patrimoine génétique ne doit rien au hasard, mais tient au fait que son cordon ombilical était recherché pour soigner son frère !

L’interrogation demeure aujourd’hui ! L’être humain ne peut être voulu que pour lui-même, et non d’abord parce qu’il répondait hier à un « projet social » et qu’il répond aujourd’hui à un « projet parental » ou à un « projet » de guérison d’un frère ou d’une sœur !

Venons-en maintenant au cœur du projet de loi.

Deux dispositions, modifiées par la commission des affaires sociales du Sénat, ont particulièrement retenu mon attention. Il s’agit, d’une part, de l’extension de la proposition du diagnostic prénatal et, d’autre part, de l’autorisation de la recherche sur les embryons.

La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté l’amendement sur le dépistage prénatal voté par l’Assemblée nationale, qui dispose que les médecins proposent le dépistage prénatal aux femmes enceintes « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Supprimer cette dernière limite revient à soutenir que les médecins sont tenus de proposer ce dépistage prénatal à toutes les femmes enceintes, de façon systématique.

Juridiquement, cela instaure un eugénisme d’État ! En effet, on inscrit dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif. Il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses-couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée !

L’obligation, pour les médecins, d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë, après quinze ans de pratique pour la trisomie et, aujourd’hui, en raison de la mise au point permanente de nouveaux tests ainsi que de la volonté de prévenir tout risque.

La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie donc aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21 ! Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ! Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes !

Imaginez que le dépistage prénatal existe depuis longtemps et que l’on ait ainsi pratiqué au cours des siècles passés cette sélection de l’enfant sans maladie. De grands génies comme Mozart, atteint du syndrome de la Tourette, Beethoven, atteint de la maladie de Paget, ou encore Lincoln et Mendelssohn, victimes du syndrome de Marfan, et bien d’autres auraient été éliminés avant même de voir le jour ! Aujourd’hui, à chaque jour qui passe, c’est Mozart qu’on assassine, non pas musicalement mais physiquement !

Imagine-t-on parvenir à ce « meilleur des mondes » que dépeint si bien Aldous Huxley sans nous amputer d’une grande part de notre humanité, du génie de certains et de l’apport considérable d’autres ? Et tout cela au nom de l’efficacité économique, du refus de la faiblesse ou, pis, du confort ?

Je ne peux pas ne pas vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».

S’agissant de la recherche sur les embryons, la commission a voté le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation. Ce choix signe une rupture radicale avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons « surnuméraires », car les chercheurs justifient leur utilisation à des fins de recherche en arguant de l’inutilité de ces embryons dans les congélateurs des CECOS dès lors qu’ils ne répondent plus à aucun «projet parental ». N’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés me paraît constituer la solution la plus sage. J’ai déposé des amendements en ce sens.

Le législateur ne se donne-t-il pas un pouvoir illimité sur l’être vivant ? Le philosophe Jürgen Habermas, dans son ouvrage L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral, metsolennellement en garde l’Occident contre une telledérive : « Doit-on laisser les sociétés réguler notredestin génétique ? »

Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à réfléchir en conscience aux enjeux éthiques que recèle un tel projet.

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