Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

En tout cas, mes chers collègues, c’est un débat qui honore le Sénat, quand l’Assemblée nationale, elle, a fait l’impasse sur cette question.

Que l’on soit partisan ou opposant de la gestation pour autrui, il reste un point important à régler : celui de l’état civil des enfants nés à l’étranger grâce à cette pratique.

Le service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes, seul tribunal compétent pour statuer sur la nationalité française, refuse de délivrer des papiers à ces enfants, qui peuvent ainsi se retrouver sans mère officielle et même parfois apatrides – ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler de ces enfants nés en Ukraine que leurs parents ne peuvent ramener en France.

Officiellement, on recense une quinzaine de dossiers problématiques. Le plus connu est celui des époux Mennesson, sur lequel la Cour de cassation rendra son arrêt définitif demain : le parquet général s’est d’ailleurs prononcé en faveur de l’inscription à l’état civil ; je regrette que l’on doive attendre une décision de la plus haute juridiction française pour éventuellement légiférer !

Sans préjuger les conclusions de l’arrêt qui sera rendu demain, je pense qu’il existe un risque de conflit entre la position que nous prendrons sur la légalisation ou non de la gestation pour autrui et le problème de l’inscription à l’état civil de l’enfant né de cette pratique. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Un autre sujet sensible est celui de l’anonymat des donneurs de gamètes.

Le conflit entre vérité biologique et apparence sociale ne date pas d’hier ! Mais, depuis 1972 et la création des CECOS, l’anonymat du donneur a été conçu dans le corpus juridique français comme un principe éthique autant que comme un moyen d’assurer l’acceptabilité sociale et morale de la pratique de l’insémination artificielle avec donneur.

L’anonymat est aujourd’hui contesté par des associations d’enfants issus d’un don de gamètes. Devenus adultes, certains vivent comme une souffrance ce silence sur leur identité et revendiquent le droit d’accéder à leurs origines.

À l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays européens, le texte initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de lever l’anonymat du donneur à la demande de l’enfant et avec le consentement du donneur. L’Assemblée nationale a supprimé ces dispositions du texte.

Sur l’initiative du rapporteur, la commission des affaires sociales a non seulement rétabli le dispositif, mais a aussi choisi d’aller plus loin puisqu’elle rend cette levée de l’anonymat automatique à partir de 2013. Le donneur sera alors informé, au moment du don, que l’enfant éventuellement conçu avec ses gamètes pourra, à sa majorité, demander à avoir accès à des données non identifiantes le concernant, voire à son identité, et qu’il sera fait automatiquement droit à sa demande, sans vérifier que le donneur y consent toujours.

J’ai le sentiment que cela pose plus de problèmes que cela n’en résout. L’anonymat du don est l’un des principes fondateurs de notre droit de la bioéthique et je ne crois pas que l’on doive y déroger.

Je considère, en effet, que la levée de l’anonymat est discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique. Elle alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et elle remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. Elle fragilise la position tant du couple receveur, qui sera plus enclin à garder le secret sur les conditions de conception de son enfant, que du donneur, qui n’est pas un parent et n’a donc pas sa place dans la famille.

Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.

Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’ai de sérieux doutes quant à l’efficacité du « remède » et au bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, ce qui introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Je crois au contraire qu’il pourrait s’en trouver déstabilisé et bien plus en souffrance que du fait de la méconnaissance de son donneur.

Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir accordé un peu plus de temps de parole. J’aurais encore quelques sujets à aborder, mais nous y reviendrons lors de la discussion des articles. Je pense notamment, monsieur le rapporteur, au problème de l’état civil des enfants mort-nés – c’est l’article 79-1 du code civil –, qu’il nous faudra également régler Je suis décidément trop bavard !

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