Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais faire état, à titre liminaire, de quatre réflexions.

Premièrement, la loi que nous allons voter, à la différence des lois de bioéthique précédentes, n’intègre pas l’horizon d’une révision indexée sur les progrès scientifiques à venir. Elle se place sur le plan des principes et il me semble intéressant de le noter car, s’il est effectivement souhaitable d’adapter la loi à l’état des connaissances scientifiques, l’éthique ne saurait y être subordonnée ni en devenir une variable d’ajustement.

Deuxièmement, l’éthique est-elle au service de la science ou la science au service de l’éthique ? Poser ainsi la question, ce n’est pas opposer l’une à l’autre, mais tenter de hiérarchiser et clarifier les finalités et les moyens. Selon moi, la fin ne saurait justifier les moyens.

De ce point de vue, je regrette que ce débat n’ait pas préalablement bénéficié, comme à l’Assemblée nationale, de la constitution d’une commission ad hoc. Nous aurions pu ainsi clairement marquer l’équilibre à respecter entre les exigences éthiques et les considérations scientifiques. Je souhaite cependant rendre hommage aux deux rapporteurs, car ces deux préoccupations ont guidé leurs réflexions et leurs travaux.

Troisièmement, un texte si particulier peut s’envisager sous deux perspectives : il s’agit soit de poser des principes stricts en prévoyant des dérogations, soit d’autoriser des pratiques en les assortissant de mesures d’encadrement. J’opte résolument pour la première solution : mieux vaut poser des principes se référant à l’éthique, quitte à les assouplir, plutôt que de prévoir des autorisations dont l’encadrement sera très vite difficile à maîtriser.

Quatrièmement, face à ce texte difficile, je conditionnerai mes votes au respect de deux principes. D’une part, la science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. D’autre part, il convient de veiller au respect des droits de l’enfant, le droit à l’enfant ne devant jamais leur porter atteinte. Ne laissons pas planer le spectre du Docteur Folamour sur nos débats !

Gardons toujours à l’esprit une vision équilibrée de la famille, à la fois réalité biologique, si importante aux yeux de l’enfant, et lieu d’éducation pour sa construction sociale, point de vue privilégié par les parents.

Les questions majeures qui se posent aujourd’hui sont sensiblement les mêmes que celles qui furent posées en 2004. J’en vois quatre, qui transcendent le texte et inspirent les mesures que nous allons examiner. Elles concernent la prédiction, le don d’organe, l’anonymat du don de gamètes et la procréation médicale assistée.

S’agissant d’abord de la prédiction, j’observe que la science a désormais le formidable pouvoir de détecter les caractéristiques du fœtus et ses pathologies, au premier rang desquelles la trisomie 21. Ce terrible service rendu aux parents leur révèle une différence, une maladie. Vise-t-il à trouver les voies de la guérison ou bien à faire peser sur eux le regard d’une société qui aspire au risque zéro et refuse le handicap ? Si la frontière entre ces deux options semble théoriquement balisée, prenons garde, dans la pratique, à ne pas développer un eugénisme, sous couvert de compassion et d’information.

Pour ce qui est du don d’organe, il ne saurait être assimilé au don de gamètes. Il n’en partage ni la nature ni la destination ! L’organe a un intérêt médical, celui de guérir et de réparer, alors que le gamète est utilisé pour la procréation. Donner la vie à un nouvel être humain, ce n’est pas la même chose que de transplanter un organe ! Sauver une vie, ce n’est pas en créer une nouvelle ! Les gamètes ne sont donc pas de simples « matériaux » biologiques.

À ce titre, je voudrais souligner combien les termes employés lors des débats m’ont parfois mis mal à l’aise : le gamète, l’ovocyte, l’embryon lui-même sont souvent désignés comme du « matériel » biologique. J’en veux pour preuve le terme terrible de « bébé-médicament », ainsi que les notions de sélection, de stocks, de rendement, d’offre et de demande. Gardons-nous de dériver pas vers l’eugénisme, le risque zéro et l’enfant parfait !

La troisième question majeure est celle de l’anonymat et de l’accès aux origines. J’avoue avoir longtemps hésité sur le point de savoir si l’on devait ou non lever l’anonymat. Dès lors que l’on considère le don de gamètes comme un acte qui n’est pas anodin, il semble impossible de refuser à l’enfant l’accès à son histoire, ainsi que vient de le dire excellemment Mme Des Esgaulx. Ce don a en effet des conséquences majeures, à savoir la naissance d’êtres humains, qui, tôt ou tard, se poseront la question de leurs origines.

La famille et la relation entre les parents et l’enfant ne se cantonnent pas à un lien social et culturel. Le lien est également biologique : c’est une loi naturelle qu’il serait dangereux d’ignorer, au risque de causer des dégâts psychologiques importants parmi les membres de la famille.

Accéder à ses origines devrait être un droit légitime. Je suis bien entendu tout à fait conscient des problèmes que cela crée lorsqu’un même donneur engendre de nombreuses vies.

La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, rédigée sous l’égide des Nations unies, ainsi que, en 1997, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, textes qui reconnaissent à l’enfant, notamment celui qui est né sous X, ce droit de connaître ses origines. Dans ces conditions, je ne vois pas comment l’on pourrait refuser de l’accorder aux enfants nés de dons de gamètes. L’adulte, le donneur, le médecin, sont certes les responsables de la vie ainsi donnée, mais le point de vue de l’enfant – celui qui souhaite savoir d’où il vient, celui qui a soif de repères – ne peut pas être ignoré !

Enfin, s’agissant de la procréation médicale assistée, je rappelle que l’enfant n’est en aucun cas un droit, mais bien un sujet de droit. C’est particulièrement vrai dans le cas de la procréation post mortem, où la motivation principale ne me semble pas être l’enfant ! Faire un enfant pour faire son deuil et ainsi créer un orphelin est, à mes yeux, un acte qui ne privilégie pas l’intérêt de l’enfant ! Quelle est alors la place de celui-ci ?

Des contradictions flagrantes émaillent d’ailleurs le débat sur l’enfant post mortem : comment peut-on prôner l’implantation post mortem au nom du lien biologique tout en affirmant que l’enfant ne se détermine que par le lien éducatif ? Comment peut-on désigner la paternité comme un lien social et justifier l’implantation post mortem, qui ampute de facto l’enfant d’un père ?

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