Intervention de Robert Badinter

Réunion du 24 novembre 2004 à 15h00
Compétences du tribunal d'instance de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite mettre en relief un singulier paradoxe qui me paraît marquer la proposition de loi qui nous est soumise.

Nous sommes tous favorables au développement de la justice de proximité. Mais dès la présentation de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, monsieur le garde des sceaux, nous vous avions mis en garde.

Je suis convaincu que vous n'avez pas fait le bon choix. Il existe déjà, en effet, une justice de proximité, fort bien rendue par nos magistrats d'instance, en dépit des difficultés qu'ils rencontrent. Il suffisait de renforcer les effectifs des tribunaux d'instance et de multiplier, c'était chose aisée, les conciliateurs et les médiateurs. Ainsi, la question de la justice de proximité était résolue.

Vous avez préféré une autre voie, monsieur le garde des sceaux, plus favorable à l'effet d'annonce : le recrutement de 3 300 juges de proximité. Pour le justiciable, c'était une levée en masse de juges qui allaient résoudre les petits litiges. En vérité, ce n'était pas ainsi que les choses devaient se dérouler, et nous le savions dès le départ.

En choisissant de créer un nouvel ordre juridictionnel, vous vous êtes inévitablement heurté aux difficultés inhérentes à la création d'un ordre autonome. Il vous fallait d'abord définir des compétences. Ce faisant, vous suscitiez inévitablement des conflits de compétence et vous compliquiez d'autant la démarche de la justice. En outre, vous la rendiez encore moins lisible pour nos concitoyens.

Par ailleurs, en créant un nouvel ordre juridictionnel au lieu de vous borner à renforcer la justice d'instance qui assumait la fonction de proximité, vous vous trouviez confrontés au problème du recrutement des magistrats, de leur formation et de leur affectation. De plus, il vous fallait assurer des greffes, ceux-ci jouant un rôle très important.

Le résultat était prévisible : près de deux ans après le vote de la loi et plus d'un an après sa mise en oeuvre, alors que vous nous aviez triomphalement annoncé le recrutement de 3 300 magistrats, leur effectif se résume à 177. Nous espérons qu'ils seront 300 avant la fin de l'année, mais ce n'est pas sûr. Le Conseil supérieur de la magistrature exerce, à juste titre, son contrôle sur le recrutement.

Pour ce qui est des problèmes de formation, il suffit d'écouter ce qu'en disent les associations et les syndicats de magistrats, tout comme les formateurs de ces juges de proximité.

Certains voient dans ces difficultés une simple crise de croissance d'un nouvel ordre juridictionnel. Pour ma part, je crois qu'il s'agit d'un défaut structurel et que l'on finira par faire disparaître cette justice de proximité en la fusionnant, comme on aurait dû le faire dès le début, avec la justice d'instance.

Mais au point où nous sommes, alors que la justice de proximité connaît une crise de croissance, et alors que nous n'avons pas encore pu, et pour cause, dresser un bilan sérieux de son fonctionnement, reconnaissons qu'il est paradoxal de décider d'accroître ses compétences.

L'ensemble de la magistrature et des avocats s'inquiète. Et c'est le moment que vous choisissez pour accroître les compétences d'un ordre juridictionnel dont le principe même est discuté et dont les résultats ne sont pas acquis - c'est le moins que l'on puisse dire ! -, raison pour laquelle je parlais de paradoxe.

Je ne pourrai, hélas ! suivre toute la discussion, ayant d'autres obligations - Michel Dreyfus-Schmidt abordera les autres aspects de la propositions de loi - mais il est un point sur lequel je souhaite absolument intervenir : l'affectation de juges de proximité dans les juridictions correctionnelles et leur participation éventuelle au prononcé de peines d'emprisonnement.

Vous avez pris le soin de souligner que ce n'était pas le cas à propos de la composition, mais en permettant l'affectation d'un juge de proximité dans une formation collégiale, vous méconnaissez des exigences constitutionnelles.

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