Intervention de Robert Badinter

Réunion du 24 novembre 2004 à 15h00
Compétences du tribunal d'instance de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1975, qui est l'un des piliers de sa jurisprudence : « Considérant, en effet, que le respect de ce principe » - il s'agit du principe d'égalité devant la justice - « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ; ».

Cette décision du Conseil constitutionnel a été rendue à propos du juge unique et de ses pouvoirs. Cependant, ce qui compte, c'est non pas ce qui a engendré la décision, mais le considérant de principe : des citoyens poursuivis pour des mêmes infractions ne peuvent être jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

Or la présente proposition de loi méconnaît cette exigence à deux titres.

D'une part - et cette possibilité est laissée à la discrétion des présidents des tribunaux de grande instance, selon les ressorts - les justiciables seront jugés soit par trois magistrats professionnels, soit par deux magistrats professionnels et un juge de proximité. Ne s'agit-il pas là de juridictions composées selon des règles différentes pour juger des mêmes infractions ? Je ne connais pas, pour ma part, de plus bel exemple !

D'autre part, en raison de la pénurie - qui est réelle, et force est de constater que vous n'attendez pas qu'il y soit remédié pour procéder à un élargissement de compétences - de juges de proximité, on ne pourra pas généraliser cette mesure à l'ensemble des tribunaux correctionnels. Donc, ici encore, les justiciables seront jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

Par ailleurs - et c'est pour moi le point le plus important - je vous rappelle la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 août 2002 à propos des juges de proximité :

«Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution [...] ne s'oppose pas à ce que soient dévolues à la juridiction de proximité des compétences en matière pénale dès lors que ne lui » - le juge de proximité - « est pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ; ».

Or, dès lors que le juge de proximité est partie intégrante de la juridiction correctionnelle, il participe directement et pleinement, comme les deux autres magistrats, à l'exercice de ce pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté. Le tribunal correctionnel est en effet un organe collégial et la décision est rendue au nom du tribunal tout entier. Il s'agit d'une oeuvre collective !

Le juge de proximité assiste à l'audience, participe au délibéré ; il intervient au même titre que les autres magistrats sans qu'on puisse le dissocier au sein de la formation. Il est donc impossible de dire qu'il ne sera pas amené à prononcer, comme les deux autres magistrats, des peines privatives de liberté.

Il y aura même un cas où ce sera lui qui décidera : si les deux magistrats professionnels sont d'un avis opposé sur l'opportunité de prendre une mesure privative de liberté, ce sera le juge non professionnel qui tranchera !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion