Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 24 novembre 2004 à 15h00
Compétences du tribunal d'instance de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance — Question préalable

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Nous estimons - et nous tenterons de vous convaincre, monsieur le garde des sceaux - qu'il n'y a pas lieu de discuter d'un tel texte, qui est d'ailleurs contesté par l'ensemble des magistrats et qui va à l'encontre des principes de notre justice.

J'avancerai plusieurs arguments pour étayer mon propos.

Tout d'abord, je souligne qu'il existait déjà une justice de proximité, incarnée par les juges d'instance. Nul besoin, dans ces conditions, de créer un nouvel ordre de juridiction, prétendument pour rapprocher les citoyens de leurs juges et faciliter, s'agissant des petits litiges, l'accès à la justice. Il n'est donc pas nécessaire d'étendre aujourd'hui les compétences des juges de proximité qui, de surcroît, n'ont pas fait leurs preuves, ou plutôt qui ont fait preuve de leur inefficacité.

Depuis leur mise en place il y a tout juste un an, comme l'a rappelé notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, les juges de proximité n'ont effectué qu'un très petit nombre de vacations et ne déchargent pas les juges d'instance de leur travail.

Tout indique, dans les faits, que la création de cette nouvelle justice de proximité est un échec. Nous ne disposons d'ailleurs d'aucun bilan officiel sur leur activité. Il est notamment impossible de dire en quoi la justice se trouverait rapprochée du citoyen et dans quelles conditions de qualité. Ce seul argument suffirait à rejeter toute velléité d'extension des compétences des juges de proximité.

En outre, vous aviez annoncé, monsieur le garde des sceaux, que, au titre de l'année 2004, les effectifs des juges de proximité seraient portés à six cents. Or il s'avère que le nombre de juges en fonction à la fin de l'exercice 2004 n'excédera pas la moitié. Eu égard aux objectifs prévus - 3 300 juges de proximité sur cinq ans, je le rappelle -, le développement de cette juridiction ne semble donc pas être assuré.

En tout état de cause, l'extension du dispositif existant est envisagée alors que nous ne disposons d'aucun élément de visibilité sur le fonctionnement des juridictions de proximité.

Cet échec est d'autant plus regrettable que la priorité n'était pas de désengorger la juridiction d'instance, contrairement à ce qui était affiché lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.

L'argument avancé par le Gouvernement était alors qu'il fallait offrir une réponse judiciaire aux nombreuses affaires qui échappaient à l'institution judiciaire en raison du coût occasionné par le procès, des démarches trop complexes à effectuer ou des délais de jugement trop importants.

Les faits contredisent cet argument. Outre le fait que la justice d'instance est facile à saisir, le traitement des affaires dans les tribunaux d'instance est de l'ordre de cinq mois en moyenne : c'est l'un des délais de jugement les plus rapides.

Par ailleurs, M. Fauchon le souligne lui-même dans son rapport, la procédure applicable devant le tribunal d'instance est simple : les débats sont oraux et les parties peuvent se présenter seules à l'audience.

Dès lors, pourquoi s'acharner à désorganiser une juridiction qui fonctionne sinon bien, du moins mieux que les autres ?

Nicole Borvo a évoqué ce problème tout à l'heure : les tribunaux d'instance voient effectivement leur fonctionnement perturbé depuis la mise en place des juges de proximité. Pourquoi ne pas faire en sorte d'augmenter les moyens accordés à la juridiction d'instance, juridiction de proximité par excellence ? Un nouvel ordre de juridiction dit « de proximité » serait, de ce fait, inutile.

Contrairement à ce qu'affirme notre rapporteur, à savoir que la réforme instituant une juridiction de proximité « a permis de répondre au souci ancien, constamment réaffirmé depuis la disparition des juges de paix, de rapprocher la justice des citoyens », les arguments soutenus par le Gouvernement et la majorité selon lesquels une plus grande proximité entre la justice et les citoyens et un désengorgement des tribunaux d'instance seraient nécessaires ne tiennent pas.

Lorsqu'on examine le décret du 23 juin 2003 relatif à la juridiction de proximité, force est de constater que le nombre de sièges des juridictions de proximité coïncide avec celui des sièges des tribunaux d'instance. D'ailleurs, le greffe de la juridiction de proximité est celui du tribunal d'instance dont elle dépend. Si le tribunal est déchargé, le greffe, lui, ne l'est pas.

Dans sa configuration actuelle, la nouvelle juridiction rejoindrait l'idée de proximité par le fait qu'elle concerne effectivement des petits litiges, tant en matière civile qu'en matière pénale. Il convient cependant de nuancer cette notion, 1 500 euros représentant une somme importante pour les personnes à faibles revenus. Par ailleurs, ce n'est pas parce que la somme en jeu est modeste que l'affaire est simple à juger. Ce n'est pas la valeur qui fait la complexité de l'affaire, loin de là.

Le projet d'extension du taux de compétence de cette juridiction de proximité s'affranchit, en revanche, de cette dimension.

En matière civile, la somme de 4 000 euros ne peut en aucune manière être considérée par la majorité de nos concitoyens comme étant modique, sans compter que les justiciables n'auront toujours pas la possibilité de faire appel de la décision rendue.

Le fait d'étendre la saisine de cette juridiction dite « de proximité » aux plaideurs professionnels en modifie évidemment la nature. Non, monsieur le rapporteur, la philosophie initiale de la réforme n'est pas conservée. Cette proposition de loi tend à opérer un bouleversement considérable pour ce qui concerne la protection des droits des citoyens.

Un nombre croissant de particuliers, souvent présents en personne lors des procès, se trouveront privés de l'équilibre qu'apporte l'accès à un juge professionnel face à des plaideurs institutionnels représentés par un avocat. Il ne s'agit donc plus de répondre aux besoins de justice de personnes rencontrant a priori des difficultés pour accéder à cette institution.

Enfin, l'extension des compétences du juge de proximité fera entrer dans son contentieux un plus grand nombre d'affaires relevant du droit de la consommation, affaires qui sont de plus en plus complexes.

Or le problème est que les juges qui ont été recrutés l'ont été soit parmi des professionnels ou d'anciens professionnels sans formation dans ce domaine, soit, au contraire, parmi des professionnels particulièrement proches des créanciers institutionnels ; je pense à des responsables de contentieux ou encore à des huissiers de justice. Pour les uns, la formation qui est actuellement dispensée sera pour le moins insuffisante pour leur inculquer les connaissances requises ; pour les autres, il est évidemment à craindre que leur impartialité ne soit pas objective pour traiter ce genre de contentieux.

En matière pénale, l'intérêt d'une participation de juges non professionnels aux audiences du tribunal correctionnel serait que ceux-ci aient une légitimité citoyenne. Or les juges de proximité sont recrutés quasiment exclusivement parmi d'anciens magistrats, avocats, juristes d'entreprises, ou bien encore parmi d'anciens policiers ou gendarmes.

Contrairement à ce que soutient la Chancellerie, la présence des juges de proximité au sein des formations correctionnelles ne répond pas tout à fait à la logique d'une participation des citoyens à la justice. Au contraire, la multiplication de leurs interventions, dans un ressort géographique plus étendu qu'actuellement, accroîtra les risques de conflits d'intérêts et d'atteinte à l'impartialité.

Par ailleurs, j'estime que le fait de permettre à des juges non professionnels de participer à des audiences correctionnelles contrevient à l'article 66 de la Constitution de 1958, selon lequel l'autorité judiciaire est garante du respect de la liberté individuelle.

En effet, bien que les juges non professionnels soient soumis au statut de la magistrature, ils ne sont pas membres du corps judiciaire. Cela nous pose un problème. La frontière est d'ailleurs étroite entre la validation de mesures de composition pénale et le prononcé des peines privatives de liberté. Jusqu'où irez-vous dans l'extension des compétences de ces juges en matière pénale ?

Vous le voyez, les conditions sont loin d'être réunies pour envisager d'étendre les compétences de ces juges, dont la création et la légitimité sont déjà particulièrement contestables.

De plus, pendant ce temps, le Gouvernement ne crée pas de postes de magistrats supplémentaires et désavoue encore davantage le travail des conciliateurs de justice. Ces derniers doivent d'ailleurs se demander à quoi ils peuvent bien servir.

Alors que le Gouvernement vantait les mérites de la médiation et de la conciliation lors de la présentation du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, et qu'il insistait sur le rôle des conciliateurs pour apaiser les conflits, un nouvel ordre de juridiction a été créé. Pis, il est aujourd'hui envisagé d'en étendre considérablement les compétences.

L'incohérence est même poussée plus loin : outre que le juge de proximité doit favoriser la conciliation avant de rendre un jugement, il peut, après avoir tenté une conciliation et faute d'accord entre les parties, leur enjoindre de rencontrer un conciliateur. L'inverse n'aurait-il pas été plus logique ?

Enfin, je souhaite insister sur le fait que la contribution des conciliateurs à la justice de proximité est loin d'être négligeable.

En juillet 2002, si l'intention du Gouvernement était réellement de donner une vraie place à la justice de proximité, il aurait pu s'appuyer sur les conciliateurs de justice, qui, en plus de vingt ans, ont fait leurs preuves.

Rappelons également que tout juge est conciliateur et que les moyens accordés aux services de conciliation du tribunal d'instance ne sont pas inférieurs à ceux qui sont accordés à la juridiction de proximité.

Cela nous renforce dans cette conviction : outre le fait que cette nouvelle juridiction de proximité présente les problèmes de fonctionnement que les divers intervenants ont décrits, problèmes qui portent évidement atteinte à la protection des droits des citoyens en matière de justice, elle est inutile.

Il est donc inadmissible que, après si peu de temps, et sans le recul nécessaire, le Gouvernement propose, par l'intermédiaire de parlementaires, ...

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