Nous sommes en présence d'un dispositif important, qui tend à introduire dans une formation collégiale un juge dont le recrutement n'est pas le même que celui des autres magistrats présents.
En invoquant, encore une fois, les réflexions de Montaigne, qui était loin d'être un sot, j'estime qu'une telle pratique n'est pas du tout dépréciative.
Le Conseil constitutionnel, dont nous respectons les décisions, a ses responsabilités ; nous, nous prenons les nôtres et il nous appartient de dire ce qui nous paraît souhaitable.
J'ai trouvé, je dois l'avouer, qu'il y avait une espèce de sophisme dans le raisonnement de M. Badinter lorsqu'il nous a expliqué que le tout n'existe pas sans la partie, que la formation collégiale n'existe pas sans l'un de ses membres et donc que l'un de ses membres se confond avec le tribunal tout entier. Au total, ce raisonnement revient à ignorer la réalité : une partie n'est qu'une partie, et une partie minoritaire reste minoritaire.
En l'espèce, ce que le Conseil constitutionnel refuse, c'est que le juge non professionnel prononce une peine privative de liberté. Or, dès lors que l'on est une partie minoritaire, on ne prononce pas une telle peine.
Je suis assez confiant : le Conseil constitutionnel n'épousera pas ce que j'ai cru pouvoir appeler, avec toute la considération que j'ai pour notre éminent collègue, une sorte de sophisme.
Par ailleurs, je rappelle que nous avons déjà institué, en 1995, des magistrats à titre temporaire qui pouvaient assumer les fonctions que nous évoquons. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé qu'une telle pratique n'était pas inconstitutionnelle, à condition qu'elle soit limitée. Nous sommes bien dans la même hypothèse.
Oserai-je rappeler l'exemple du Royaume-Uni ? Ce pays a peut-être quelquefois des leçons à donner en matière de justice. L'excellent Henri II Plantagenêt, qui fut un très grand prince, régnant sur un territoire fort étendu, a créé les magistrate courts. Or, comme quelques-uns d'entre nous ont pu le constater, cette juridiction fonctionne admirablement alors qu'elle comporte nombre de juges qui n'ont pas fait d'études de droit, mais qui, comme l'a fort bien dit Montaigne, ont beaucoup de bon sens. S'il est question de réformer certains aspects de la justice britannique, celui-ci n'est nullement remis en cause parce qu'il donne toute satisfaction.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.