Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du 24 novembre 2004 à 22h00
Sport professionnel — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert, rapporteur de la commission des affaires culturelles :

présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'environnement dans lequel évoluent aujourd'hui les clubs professionnels français a profondément évolué en dix ans.

D'une part, les sportifs professionnels bénéficient d'un véritable marché unique, extrêmement fluide au niveau européen, depuis l'arrêt Bosman de décembre 1995. La durée des carrières y est exceptionnellement courte et la barrière linguistique n'existe pas, ce qui leur permet de passer facilement d'un club à l'autre.

D'autre part, l'explosion des droits de retransmission télévisée des rencontres sportives a modifié de façon pérenne la structure des revenus des clubs. A titre d'exemple, ces droits représentent aujourd'hui 52 % des sources de financement des clubs de football professionnel de Ligue 1.

Force est de constater que le niveau des charges fiscales et sociales en France a mis, dans ce contexte spécifique, les clubs sportifs professionnels français dans une situation de concurrence déloyale par rapport à leurs homologues européens.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En effet, le coût d'un joueur qui est de 100 en Grande-Bretagne est de 172 en France ; les salaires des joueurs professionnels de football sont trois fois plus élevés en Italie qu'en France.

Les conséquences, nous les connaissons : c'est la fuite de nos meilleurs talents vers les clubs des pays qui ont les conditions financières d'emploi les plus favorables.

Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, que, la semaine dernière, l'équipe de France de football recevait au Stade de France l'équipe de Pologne. Sur les onze joueurs de départ « alignés », comme disent les spécialistes, par le sélectionneur national Raymond Domenech, sept évoluent dans des clubs étrangers.

Aujourd'hui, 280 joueurs professionnels de football évoluent à l'étranger, et aucune discipline n'est épargnée. Les cas du basketteur français Tony Parker - qui, à 22 ans, vient de renouveler son contrat avec le club texan des San Antonio Spurs pour un montant de 8, 6 millions d'euros - de la gardienne de l'équipe de France de handball, Valérie Nicolas, qui joue désormais au Danemark, ou encore du capitaine de l'équipe de France de handball, Jackson Ricardson, qui joue lui aussi à l'étranger, sont des exemples parmi d'autres.

Dans ces conditions, les clubs français ont du mal à rivaliser avec leurs homologues européens dans les compétitions. Faut-il rappeler qu'aucun club de football français n'avait participé à la phase finale de la Ligue des champions depuis 1993, avant la finale malheureusement perdue par Monaco à la fin de la saison dernière, et qu'aucun club de basket n'était présent dans les demi-finales de la compétition européenne au cours des sept dernières éditions ?

Rétablir la compétitivité des clubs et moderniser le droit applicable au sport professionnel, c'est le sens des dispositions du texte que nous examinons aujourd'hui.

Issues de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale et votée le 14 octobre dernier, ces dispositions s'inscrivent dans le droit-fil des conclusions des états généraux du sport et dans le prolongement du rapport de M. Jean-Pierre Denis.

Le premier article, le plus attendu tant par les clubs que par les joueurs, concerne la reconnaissance d'une rémunération du droit à l'image dans les sports collectifs.

Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle la rémunération du droit à l'image existe - nous avons tous à l'esprit l'image de sportifs vantant tel ou tel produit commercial - mais il s'agit d'un droit à l'image à titre individuel.

Concrètement, cela consiste pour le club à négocier avec le sportif une rémunération contractuelle sous-évaluée par rapport à ce qu'il peut revendiquer, compensée par un versement correspondant au droit à l'image, et directement pris en charge par le sponsor ou par une société extérieure.

Cette part de rémunération, soustraite aux charges sociales patronales et salariales, ne donnera par conséquent pas droit au versement des prestations sociales pour le joueur et, de la même façon, ne sera pas comptabilisée pour le versement des droits sociaux lorsque le joueur décidera de quitter le club qui l'emploie.

En plus de ne bénéficier qu'à certains sportifs les plus médiatiques, un tel montage fragilise la situation du joueur.

C'est pour remédier à ces inconvénients que le dispositif que nous examinons prévoit de reconnaître aux sportifs professionnels un droit collectif, lorsqu'ils se trouvent dans une situation comparable à celle des artistes interprètes, c'est-à-dire qu'ils se « donnent à voir », non seulement à l'occasion de la rencontre à laquelle ils participent, mais aussi grâce à l'exploitation commerciale de leur prestation.

Une première partie de leur rémunération, en dessous d'un seuil conventionnel fixé, serait donc constituée d'un salaire, assujetti aux cotisations du régime général de sécurité sociale.

L'autre partie de la rémunération, qui ne pourra, en tout état de cause, dépasser 30 % de la rémunération totale, serait versée sous forme de redevances. Je vous rappelle que ces redevances, versées en application du contrat qui lie le professionnel à son employeur, ne seraient pas prises en compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale du régime général, mais seraient soumises à la contribution sociale généralisée, la CSG, et à la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS.

Les joueurs du club, dans leur ensemble, profiteront du dispositif à partir d'une rémunération deux fois supérieure au plafond de la sécurité sociale ; s'ils le souhaitent, ce plancher pourra être augmenté par la négociation collective, discipline par discipline.

Un des grands mérites de ce dispositif est d'avoir pris en compte les trois principales préoccupations du monde sportif : ne pas créer de niches fiscales, assurer la transparence des rémunérations et, enfin, recevoir l'adhésion des joueurs.

En premier lieu, ce dispositif ne crée pas de niches fiscales. Il aligne la situation des sportifs professionnels sur celle d'une catégorie existante : les artistes interprètes. Sur le plan fiscal, la partie forfaitaire sera imposée au titre des bénéfices non commerciaux.

En second lieu, l'ensemble de la somme versée au sportif bénéficiant du dispositif apparaîtra sur sa feuille de salaire : une part salaire et une part forfaitaire. Les différentes instances de contrôle pourront ainsi veiller à la transparence des rémunérations et assurer un suivi de leur évolution.

Enfin, les syndicats des joueurs ont été associés à l'élaboration du texte. Leur adhésion a été acquise grâce à la garantie que l'intégralité du versement des droits sociaux a été maintenue. En effet, un plancher de rémunération, négociable, a été fixé au-dessous duquel la part de rémunération garde obligatoirement la nature d'un salaire. L'assiette sur laquelle sont prélevées les cotisations sociales ouvrant droit aux prestations - maladie, vieillesse, accidents du travail - est donc préservée.

Néanmoins, l'audition des représentants du monde sportif a fait apparaître que le texte pouvait donner lieu à une ambiguïté. Les entraîneurs des équipes sportives, toutes disciplines confondues, estimaient pouvoir profiter de ce dispositif, alors que les différentes instances représentatives considéraient qu'ils ne pouvaient pas en bénéficier.

Je pense, monsieur le ministre, que la situation mérite d'être éclaircie et c'est pourquoi je présenterai un amendement tendant à clarifier la rédaction du texte afin de savoir s'il faut ou non restreindre l'application du dispositif aux seuls joueurs employés par les clubs.

Par ailleurs, mes collègues en commission - je pense en particulier à M. Murat - se sont inquiétés de la situation du sportif dont l'image continuerait à être exploitée, notamment lors de retransmissions télévisées en différé, mais qui, ayant quitté le club ne bénéficierait plus du dispositif. Ce cas de figure a-t-il été envisagé ?

J'en viens maintenant à l'article 2, dont l'objet est de sécuriser les conditions de travail des sportifs sélectionnés en équipe de France.

Dans le secteur professionnel, les sportifs appelés en sélection et mis à la disposition de l'équipe de France pour participer aux compétitions internationales sont, par ailleurs, salariés des clubs avec lesquels ils participent aux compétitions nationales, leur contrat de travail n'étant pas, dans la pratique actuelle, suspendu pendant la période de sélection.

Cela pose deux sortes de difficultés.

D'une part, en vertu de l'article L. 125-3 du code du travail, leur situation risque d'être requalifiée en prêt de main d'oeuvre illicite.

D'autre part, la caisse nationale d'assurance maladie a considéré que, pendant la période de mise à disposition, le joueur n'était plus subordonné à son club employeur et qu'il n'était donc plus protégé par la législation sur les accidents du travail.

Pour remédier à cette situation, l'article 2 précise que ce joueur est, d'une part, dans une situation dérogatoire ne tombant pas sous le coup de l'interdiction du prêt de main d'oeuvre à but lucratif ; d'autre part, qu'il conserve sa qualité de salarié de l'association ou de la société sportive pendant cette période.

Une autre disposition, en apparence technique, a suscité bien des inquiétudes au sein du monde sportif : la suppression, à l'article 3, du versement de 1 % sur les contrats de travail à durée déterminée.

Cette taxe, instituée par la loi du 12 juillet 1990 pour financer le congé individuel de formation, visait à faire reculer la proportion d'emplois précaires, en incitant financièrement les employeurs à les transformer en emplois stables.

Or cette motivation n'existe pas dans le sport professionnel.

Sous l'impulsion des joueurs qui se considéraient emprisonnés par des contrats à durée indéterminée, les clubs ont généralisé, en 1973, le recours au « contrat à temps ».

Par conséquent, les contrats à durée déterminée représentent aujourd'hui la norme du sport professionnel qui fait partie des secteurs d'activité visés par le code du travail et pour lesquels la dérogation au droit commun du recours au contrat à durée indéterminée est admise.

Ainsi, un club qui n'aurait pas conclu un contrat à durée déterminée avec un joueur professionnel, conformément aux conditions prévues par la charte du football, ne pourrait faire homologuer ce contrat par la ligue.

Il est justifié que les clubs professionnels puissent bénéficier de l'exonération du prélèvement du « 1 % CDD » comme le prévoit le texte du présent article.

Bien sûr, cette taxe, censée financer les dispositifs de formation professionnelle des sportifs en vue de leur reconversion, doit être remplacée.

J'entends déjà, ici et là, les inquiétudes de celles et ceux pour qui la suppression de la taxe met en péril les dispositifs de reconversion professionnelle des joueurs alors même que moins de la moitié des clubs s'acquittent de cette taxe et que les dispositifs de reconversion financés par son produit sont quasiment inexistants. Sa disparition doit précisément être l'occasion de remettre à plat les structures de formation.

Deux disciplines, le football et le rugby, ont su mettre en place, par la négociation collective, des structures qui suivent, conseillent, voire accompagnent les joueurs dans la perspective de leur reconversion professionnelle.

Il s'agit pour le football d'Eurosport Reconversion, qui est financé par les cotisations des joueurs, les abondements de la fédération et de la ligue professionnelle, ainsi que par le reversement d'une partie des droits de retransmission télévisée des matchs. Cette structure existe depuis dix ans maintenant et présente des résultats satisfaisants. Le rugby a pris ce modèle pour créer l'Agence XV.

A l'instar de ces deux disciplines, les sportifs ont tout à gagner à négocier avec leurs représentants la mise en place de structures qui leur permettront de bénéficier de formations adaptées et s'occuperont efficacement de leurs carrières.

Je terminerai par deux dispositions plus techniques : la levée de l'interdiction absolue de la multipropriété des sociétés sportives et la participation des sociétés sportives au fonctionnement des fédérations, qui font respectivement l'objet des articles 4 et 5.

La première revient sur un principe consistant à considérer la détention de parts par un même actionnaire dans deux sociétés sportives de la même discipline comme une menace à l'équité sportive.

L'interdiction absolue qui en a découlé n'est plus aujourd'hui adaptée à la structure financière des clubs et à la règle européenne de la concurrence consacrant le principe de libre circulation des capitaux.

Aussi, sans mettre en péril l'équité sportive, une multipropriété limitée est aujourd'hui acceptable.

Il est donc proposé d'autoriser un actionnaire unique à détenir des titres de plusieurs sociétés sportives relevant d'une même discipline, mais en lui interdisant d'en avoir le contrôle économique. Ce garde-fou doit empêcher toute possibilité d'exercer des manoeuvres pour influencer le comportement d'une équipe lors d'une compétition.

A l'article 5, les sociétés sportives, c'est-à-dire les clubs, sont réintégrées au sein des structures des fédérations sportives.

Evincées par la loi du 6 juillet 2000 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives au prétexte que leur caractère lucratif était en contradiction avec la nature associative des fédérations, elles n'ont en réalité jamais cessé de participer à la vie fédérale.

L'interpénétration n'est, en tout état de cause, que la traduction de la solidarité qui lie le sport amateur au sport professionnel et doit être encouragée comme telle.

En réintégrant formellement les sociétés, cet article ne fait que préciser la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques ou sportives telle que modifiée par la loi du 1er août 2003. Cette dernière permet à des organismes à but lucratif dont l'objet est la pratique d'une ou plusieurs disciplines de prendre part aux instances de direction des fédérations sportives dans les conditions fixées par les statuts.

Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur le point suivant. Si les dispositions que je viens de vous présenter vont dans le sens de la modernisation du droit applicable au sport professionnel, elles ne résolvent pas, bien entendu, l'ensemble des difficultés que rencontrent nos clubs et nos sportifs.

La délicate question de la reconversion professionnelle des sportifs de haut niveau a été abordée, mais elle mérite une réflexion plus approfondie. La fin de carrière est une des grandes préoccupations des joueurs professionnels d'autant qu'ils doivent gérer les séquelles physiques résultant de la dureté des entraînements et du rythme des compétitions.

L'idée de proposer aux sportifs un produit d'épargne adapté qui leur permettrait de réserver une partie de leur rémunération contractuelle dans la perspective de leur fin de carrière est une piste, mais il y en a d'autres.

Les clubs ont une responsabilité évidente en la matière. Les centres de formation devraient permettre aux jeunes de suivre des formations diplômantes valorisées sur le marché du travail quand ils ne seront plus en mesure de participer aux compétitions.

Dans le cadre de la décentralisation, les régions, investies d'une compétence générale en matière de formation, doivent être sensibilisées à ce sujet. Certaines ont déjà mis en place - parfois, depuis 1993, je pense à une région en particulier - des dispositifs de formation destinés aux sportifs.

Bref, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte est une étape, nécessaire, mais pas encore totalement suffisante. Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles vous propose d'adopter cette proposition de loi.

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