Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous couvert de l'assurance d'une plus juste rémunération des sportifs professionnels et d'une meilleure prise en compte des différents éléments de leurs activités, cette proposition de loi vise en fait à améliorer la rentabilité financière des clubs professionnels français, en particulier de football, dans un contexte économique de libre concurrence accrue au niveau européen.
Certes, le sport professionnel s'inscrit dans un contexte international, européen et mondial. Il devenait nécessaire que les évolutions actuelles, liées à l'économie de l'image et de la publicité, soient mieux prises en compte dans la rémunération des joueurs eux-mêmes. Mais, si tel était votre véritable objectif, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi ne pas réserver ces nouvelles mesures aux seules sociétés sportives, en excluant du champ d'application de cette proposition de loi les associations qui structurent le sport professionnel dans de nombreuses disciplines ?
Par ailleurs, aveuglés par la volonté de réduire ce que vous appelez les charges sociales, vous faites abstraction de la réalité qui fait coexister, dans le sport professionnel, parfois même au sein d'une même discipline, des disparités toujours plus grandes en terme de revenus et de situations.
Vous le savez, dans ce secteur, il n'y a pas que des vedettes à la reconversion facilitée par de confortables revenus. Il existe aussi des smicards, des précaires, des chômeurs et des laissés-pour-compte.
Or, dans votre réforme, vous ne prenez en considération que ceux que tout le monde s'arrache. Vous oubliez le joueur qui n'est pas sûr de jouer, qui reste sur le banc, qui a peur de perdre son emploi en fin de saison et dont la reconversion est incertaine. Je crois donc qu'il y a lieu de poursuivre la réflexion sur le sport professionnel, et ce rapidement.
Par ailleurs, la pratique sportive n'est pas seulement une activité économique. Elle s'inscrit plus globalement dans l'ensemble des activités de l'éducation physique et sportive, dont les finalités ne peuvent se réduire à la valorisation marchande de ces pratiques.
En renforçant dans quelques disciplines les conditions du développement d'une industrie du sport fondée sur la marchandisation du « spectacle » sportif, vous allez dans les faits déstabiliser ce secteur et séparer ce qui doit être uni, en créant un véritable fossé entre le sport amateur et le sport professionnel, entre le sport de haut niveau et le sport de masse, entre les disciplines très médiatisées et celles qui le sont moins, voire pas du tout.
En favorisant ainsi certaines disciplines, vous allez réduire les financements possibles pour le plus grand nombre des autres activités sportives, y compris de haut niveau. De plus, vous ouvrez les portes des fédérations aux sociétés sportives à but lucratif, bien sûr, mais aussi à toutes celles qui concourent à la pratique sportive : pourquoi pas, dès lors, aux équipementiers, aux organisateurs de spectacles, voire aux grands sponsors ?
Vous allez ainsi entraîner l'ensemble de ces pratiques sur le terrain de la concurrence et de la rentabilité financière, en faisant entrer le pouvoir marchand au sein des fédérations.
Enfin, en autorisant la multipropriété de sociétés sportives, même de façon réglementée, vous favorisez la mise en place de véritables « industries du sport ». Vous introduisez ainsi un élément contraire aux principes mêmes et aux règles du sport de compétition, sans parler de la mise à mal de son éthique.
Faut-il rappeler ici que les pratiques sportives participent au développement individuel et social de l'individu, à sa santé et à son bien-être, à sa culture et à son éducation ? Le sport est en effet un élément important de notre culture, comme l'a dit le président de la commission des affaires culturelles. Il intègre des comportements, des rites, des représentations, des normes et des valeurs qui sont avant tout d'ordre éthique, esthétique, pédagogique, politique et, finalement, de partage et de solidarité.
En tant que sénateurs représentant les collectivités locales, nous savons tous que le sport représente dans nos communes le plus grand volet de l'engagement bénévole. La création et la gestion des clubs sportifs sont des chantiers permanents dans lesquels l'éducation et l'action sociale sont toujours présentes.
On contribue à bâtir une communauté humaine lorsque l'on apprend ensemble, solidairement, dans la proximité de nos territoires, à construire des équipements, à organiser des rencontres, à négocier l'utilisation d'installations communes, à gérer des besoins, des attentes, des « possibles », des victoires et des défaites.
Certes, depuis de nombreux mois, les grands clubs professionnels, essentiellement de football, réclament des mesures financières pour ne plus être, comme ils disent, « handicapés » par rapport aux autres formations européennes. Mais, au lieu d'ajustements pour une plus juste rémunération des joueurs, souci que nous pourrions partager, c'est de tout autre chose qu'il s'agit.
Votre objectif est, là comme ailleurs, de mettre à mal le code du travail, d'alléger les charges et de déstabiliser les recettes des budgets sociaux. La logique de cette loi est en parfaite cohérence avec l'ensemble des réformes de votre Gouvernement.
Vous nous dites que vous souhaitez rendre plus compétitifs nos clubs. Mais le seront-ils sportivement ?
La réforme joue sur la baisse des charges sociales, salariales et fiscales. Même s'il est vrai que le débat sur la cotation en bourse des clubs a été mis de côté, la proposition de loi participe de cette logique. Par ailleurs, l'application « du droit à l'image collective » sera complexe, et vous renvoyez à des négociations aléatoires.
Finalement, les débats en cours sur l'internationalisation et la mondialisation de l'économie peuvent être transposés dans le secteur des sports professionnalisés. On y retrouve, d'une part, les tenants d'un système fondé sur des valeurs universelles et, d'autre part, ceux qui s'en remettent au marché en guise de politique sportive.
Dans ce débat, nous avons choisi depuis longtemps notre camp : celui d'un autre monde possible, dégagé des pressions des grands groupes financiers multinationaux. En renforçant la place et le rôle des industriels du sport, vous avez choisi le vôtre. Vous ne serez donc pas étonnés que le groupe communiste républicain et citoyen ne vous soutienne pas et vote contre cette proposition de loi.