Si c'est ce qui nous sépare, alors nous ne sommes certainement pas du même avis !
Les revenus d'image générés par le sportif au profit de son équipe sont en effet directement liés au travail pour lequel il est salarié. Les droits de retransmission directe des matchs comme les revenus tirés des publicités sur les maillots sont directement liés à la participation physique du sportif au match. Ils sont donc indissociables de la mise en oeuvre de son contrat de travail, puisque c'est le point juridique que je veux soulever. Cela n'a donc rien à voir avec les droits dérivés des artistes du spectacle, qui ont un caractère moral et patrimonial lié au droit de la propriété intellectuelle.
Il n'existe pas non plus de motifs impérieux d'intérêt général pouvant justifier de telles inégalités devant l'imposition des revenus du travail. Non que la promotion des sportifs et l'attractivité des clubs français ne relèvent pas de l'intérêt général, mais elles devraient être poursuivies par d'autres moyens pour améliorer les conditions de travail des clubs. L'exonération fiscale n'est pas le bon outil.
En effet, comment pourrait-on justifier l'intérêt général d'une inégalité qui augmente les revenus des sportifs déjà les plus fortunés, alors qu'elle se double d'une perte considérable de ressources pour la sécurité sociale ? De plus, cela se ferait en faveur de citoyens qui figurent parmi les plus grands consommateurs de prestations d'assurance maladie. Or il n'en a été question à aucun moment.
La rupture d'égalité entraînée par l'article 1er est donc injustifiable.
Celle qu'entraîne l'article 3 n'est pas plus valide dans notre cadre constitutionnel. Pourquoi les clubs sportifs ne paieraient-ils pas la taxe sur les CDD, alors que ce sont des employeurs qui affectionnent particulièrement ces formes de contrat ? Cette taxe a précisément été imaginée, non pour punir le caractère provisoire du CDD, mais pour le compenser, et aussi, j'en conviens, pour dissuader de recourir à ce type de contrat.
Quant à l'argument selon lequel ils n'auraient que marginalement recours aux congés de formation financés par cette taxe, il n'est pas recevable. Depuis quand n'accepte-t-on de payer un prélèvement obligatoire que lorsque l'on a recours à la prestation qu'il finance ? Si nous agissons ainsi, il n'y aura plus de solidarité nationale !
Aucune raison liée à la situation objective des clubs ne justifie donc la rupture d'égalité qui existerait s'ils ne payaient plus cette taxe.
Au-delà de cette approche juridique, la violation de notre principe constitutionnel d'égalité par cette proposition de loi touche aussi aux fondements mêmes de notre esprit public, et dans un domaine particulièrement visible, donc exemplaire. Je veux avancer mon propos à partir des questions que la réflexion sur le texte soulève.
Premièrement, la mesure profitera-t-elle également à tous les sportifs d'équipe ? Non, puisque l'essentiel des revenus issus de l'image des équipes est concentré sur les clubs les plus fortunés, singulièrement de football, notamment pour les droits de retransmission télévisée. Ne seraient donc en situation de défiscaliser que ceux dont une partie substantielle du revenu provient de l'exploitation commerciale de l'image.
Plus grave, les sportifs d'équipe dont les salaires sont nettement moins élevés que ceux des footballeurs, notamment les rugbymen ou les basketteurs, n'ont pas forcément intérêt à voir retreindre la base salariale sur laquelle ils cotisent, en particulier pour le calcul de leur future retraite.
Deuxièmement, nos sportifs professionnels sont-ils les laissés-pour-compte de la solidarité nationale ? Aurions-nous manqué à nos devoirs au point qu'il faille aujourd'hui compenser ce retard ?
Je ne le sais pas, et je préfère croire que les joueurs français qui s'expatrient à l'étranger, et spécialement dans des paradis fiscaux, ne sont pas aussi nombreux qu'on le dit. Quoi qu'il en soit, et même si cette hypothèse était fondée, on ne voit pas ce qui permettrait de se prévaloir de ces turpitudes pour obtenir des modifications législatives. Mais ce que je sais, c'est que les joueurs français les plus payés n'oublient jamais de revenir en France quand il s'agit d'utiliser les services publics, notamment pour se faire soigner. Après tout, ils ont bien raison, c'est leur pays.
Le secteur du sport professionnel est ainsi un important bénéficiaire de la solidarité nationale en matière d'assurance maladie et d'accidents du travail.
En 2000, on comptait, dans ce secteur, un taux de sinistres de 750 pour 1 000, contre 44 pour 1 000 pour l'ensemble de la société. Les sportifs bénéficient notamment à ce titre de montants considérables d'indemnités journalières d'assurance maladie, en lien avec leur niveau élevé de revenus.
Avec la mesure proposée, la sécurité sociale, dont les défenseurs du texte n'ont pas dit un mot, perdrait, selon les estimations, entre 60 millions et 130 millions d'euros de recettes, mais elle conserverait les mêmes risques et les mêmes coûts, qui, eux, passeraient à la charge de tous les autres cotisants de la sécurité sociale ! C'est une logique insoutenable et moralement insupportable à l'heure du creusement du déficit de l'assurance maladie et au regard de ce qui a été dit du haut de cette tribune par plusieurs membres du Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre.
Troisièmement, est-il moral et exemplaire pour notre jeunesse de donner encore plus à ceux qui ont déjà le plus ?
Volontiers adulés et idéalisés par une partie des jeunes, les meilleurs sportifs, notamment les footballeurs, donnent à voir des revenus assez considérables. Ne croyez pas, par amitié, par passion pour le sport et pour le spectacle, que cela soit si facile à admettre.
Le salaire mensuel moyen des footballeurs français a ainsi doublé depuis 1998, passant de 15 000 euros à 30 000 euros, ce qui, pour une moyenne, est déjà assez élevé. On connaît des exemples célèbres. Ainsi notre Zinedine Zidane national touche-t-il en un mois à Madrid ce qu'un smicard met cinquante-cinq ans à gagner. A vingt ans, Djibril Cissé gagnait 80 000 euros par mois à Auxerre. Tant mieux pour eux ! Leurs mérites ne sont pas en cause, même si quelques-uns, ici ou là, trouvent que c'est beaucoup. Ce n'est certes pas beaucoup dans l'absolu, mais c'est beaucoup par rapport aux efforts que l'on demande aux autres.
Quel message le législateur adresserait-il à la société tout entière et aux jeunes s'il dispensait ceux-là mêmes qui gagnent le plus de payer des impôts ?