Je voterai la motion du groupe socialiste présentée par M. Jean-Luc Mélenchon.
Il existe à tout le moins dans la proposition de loi deux chefs d'irrecevabilité incontestables, l'un résultant de son inconstitutionnalité, l'autre de sa non-conformité avec les engagements européens de notre pays. J'en évoquerai un troisième : le défaut de conformité avec les dispositions législatives relatives à l'organisation du service public du sport en France.
L'inconstitutionnalité du texte tient d'abord à son article 1er, qui vise à exonérer de toute cotisation sociale une part de la rémunération versée aux sportifs professionnels par leurs employeurs. Plutôt que de le faire franchement, les auteurs de la proposition de loi empruntent donc une voie détournée pour modifier la qualification juridique d'une partie des sommes versées aux salariés des clubs professionnels.
Le raisonnement sous-jacent est le suivant : les clubs sportifs perçoivent des recettes basées sur l'exploitation d'un spectacle ; leurs salariés contribuent à ce spectacle ; une part des rémunérations qui leur sont versées ne doit donc pas être considérée comme un salaire, mais comme une contrepartie de leur contribution au spectacle.
Quant à cette rémunération, on ne sait pas trop de quoi il s'agit. Le texte ne donne pas de précision sur la qualification des sommes concernées : il n'évoque qu'une sorte de répartition des recettes d'exploitation de l'image collective de l'équipe. La seule précision apportée est qu'il ne s'agit pas de salaire.
Au fond, seule cette précision importe puisque l'objectif principal est de réduire les prélèvements obligatoires supportés par les clubs sportifs professionnels.
L'article 1er me semble contrevenir à quatre principes de valeur constitutionnelle. Les deux premiers sont très largement consacrés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Sur les deux autres, il n'y a pas de jurisprudence, mais ils me paraissent devoir découler naturellement des traditions les plus éminentes de notre droit public.
Cet article contrevient d'abord clairement au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, consacré par l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En instituant une requalification artificielle de rémunérations essentiellement salariales, le texte conduit à exonérer de certains prélèvements obligatoires des rémunérations qui ont toutes les caractéristiques d'un salaire. L'inégalité de traitement qui en résulte n'est pas justifiée par des motifs recevables au regard des objectifs visés par le texte, censé favoriser la compétitivité sportive des clubs.
Or, non seulement ce motif ne justifie pas en lui-même l'inégalité créée, mais il est spécieux. Les économies de charges sociales dont bénéficieront les clubs ne leur permettront pas, compte tenu de leur situation financière très dégradée, d'allouer les moyens supplémentaires nécessaires à l'amélioration d'une compétitivité sportive d'ailleurs loin d'être mécaniquement liée, vous en conviendrez, aux ressources des clubs.
La rupture d'égalité est d'autant plus choquante qu'il s'agit d'exonérer des rémunérations extrêmement élevées et que les pertes de recettes qui en découleront seront couvertes par le contribuable ordinaire.
L'article 1er contrevient également à l'article 40 de la Constitution.
Depuis l'adoption, cet été, de la loi relative à l'assurance maladie, toute perte de recettes des organismes de sécurité sociale doit être compensée par le budget de l'Etat. La proposition de loi des députés crée une charge publique dans des conditions contraires à l'article 40 de la Constitution.
Deux autres chefs d'inconstitutionnalité devraient en outre être retenus contre l'article 1er.
D'une part, dans notre ordre juridique, la loi est l'instrument de l'intérêt général. Une des motivations de cet article que revendiquent les auteurs de la proposition de loi est de remédier aux pratiques de dissimulation de salaires en les légalisant. L'intention est, en quelque sorte, de « blanchir » des pratiques illégales ! Il me semble que, si nous légiférions ainsi, nous commettrions un véritable abus de droit auquel tous nos principes fondamentaux devraient nous conduire à nous opposer.
D'autre part, en disqualifiant artificiellement des rémunérations évidemment salariales, le texte fait offense à la garantie fondamentale qui s'attache au salariat et qui se déduit des principes fondamentaux d'une infinité de lois de notre République. Notamment, les conditions essentielles posées par l'article L. 762-2 du code du travail pour que les rémunérations versées aux artistes échappent à la qualification de salaires ne sont pas réunies en l'espèce.
Inconstitutionnel, l'article 1er est également non conforme aux engagements européens de la France. Ici, le texte n'est pas seul visé : les travaux préparatoires, au cours desquels il a été précisé que les versements dont il s'agit seraient exemptés des obligations relatives à la TVA, le sont aussi.
La réglementation européenne applicable à la TVA ne permet pas cette exemption. Surtout, le mécanisme prévu me semble constituer une de ces aides d'Etat que le droit européen de la concurrence condamne.
Je conclus en relevant que l'article 5 de la proposition de loi, qui permet aux clubs professionnels de devenir membres des fédérations, paraît directement contrevenir aux différentes lois qui organisent l'exercice du sport dans notre pays.
Ayant rappelé que, dans notre tradition juridique, le développement du sport est une mission de service public administratif, dont l'exercice peut être délégué à des personnes morales à but non lucratif, je veux souligner que l'adhésion aux fédérations de sociétés commerciales à but essentiellement lucratif représente une innovation qui s'oppose aux lois en vigueur.
Madame la présidente, mes chers collègues, il serait donc sage que notre Haute Assemblée adopte la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, sauf à ce que sa réputation de sagesse juridique ne souffre sérieusement !