Intervention de Yvon Collin

Réunion du 24 novembre 2004 à 22h00
Sport professionnel — Motion préjudicielle

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Cette motion préjudicielle vise à reporter le débat sur la proposition de loi jusqu'à la réalisation de deux conditions, qui sont étroitement liées aux objectifs que prétend atteindre le texte.

L'un de ces objectifs est de compenser le handicap de compétitivité financière de nos clubs par rapport à leurs concurrents européens. Le moyen proposé consiste à instaurer un régime fiscal dérogatoire, ce qui équivaut à octroyer une subvention publique financée par le budget de l'Etat et, in fine, par les contribuables.

Un des enseignements forts des travaux que j'ai conduits sur le football et son économie durant dix-huit mois est que, dans ce secteur désormais pleinement globalisé à l'échelon européen, une série d'éléments empêchent une concurrence régulière et respectueuse des principes juridiques européens.

Les atteintes au droit de la concurrence sont polymorphes.

Le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel en a pleinement conscience puisqu'il réclame la mise en place d'un « dispositif permettant d'assurer une concurrence loyale au niveau européen ».

Le président de la Ligue de football professionnel le sait puisqu'il dénonce régulièrement des faits de concurrence déloyale. Dans un entretien où il évoque la loi « Salva Calcio 2 », qui permet aux clubs italiens d'étaler leurs 510 millions d'euros de dettes fiscales, il déclare ainsi : « Je veux bien être pendu si ce n'est pas une aide d'Etat », et il évoque sa détermination à lutter « pour un football propre et contre le doping financier ».

Les aides d'Etat qui distordent la concurrence représentent une des entorses au droit européen de la concurrence. De très forts soupçons existent à ce sujet et la Commission européenne est déjà saisie de certains dossiers.

Si le gouvernement français voulait bien s'en donner la peine, d'autres affaires seraient adressées à la Commission, mais encore faudrait-il que nous ne donnions pas l'exemple contraire. C'est pourtant ce que nous parvenons à faire avec la proposition de loi que nous examinons puisque l'adopter consisterait purement et simplement à accorder une de ces aides d'Etat contre lesquelles s'élèvent avec raison les responsables des clubs et de la Ligue.

D'autres atteintes au droit européen de la concurrence existent et méritent d'être dénoncées, car elles viennent dangereusement déséquilibrer le fonctionnement économique du football et, par conséquent, la situation financière de nos clubs.

Je pense en particulier à certains systèmes de répartition des recettes liées à la commercialisation des compétitions, systèmes qui me semblent se traduire, dans les pays où ils prévalent, par des abus de position dominante et qui sont de nature à éliminer toute concurrence équilibrée. Ainsi, 82 % des Anglais considèrent qu'une répartition plus équitable des droits télévisuels s'impose pour préserver une concurrence effective et, plus globalement, l'intérêt du championnat anglais. L'UEFA elle-même s'inquiète des effets pervers de la Ligue des champions en termes de concurrence.

Tous ces points, et d'autres, ont été précisément évoqués dans le rapport que la délégation du Sénat pour la planification a consacré à l'économie du football professionnel.

Le gouvernement français n'a rien entrepris pour que les autorités européennes de la concurrence soient conduites à régler ces problèmes. Cependant, outre qu'on doit toujours attendre un sursaut et espérer que notre pays prenne enfin les initiatives qui s'imposent, plusieurs enquêtes sont en cours dans les services de la Commission.

La résolution des problèmes graves de concurrence existant dans le football est de nature à modifier complètement les termes du débat sue le texte qui nous est proposé. C'est la première raison pour laquelle je demande au Sénat de voter cette motion préjudicielle.

Il existe une seconde justification à ce vote. Les députés auteurs de la proposition de loi font état, dans leur exposé des motifs, de l'existence de pratiques abusives de dissimulation de salaires. Ainsi, il est écrit à la page 2 de cet exposé des motifs : « L'exploitation de l'image des sportifs professionnels s'effectue aujourd'hui dans des conditions très imparfaites et parfois abusives. Certains y voient un mécanisme permettant aux clubs de soustraire une fraction de leurs rémunérations aux charges sociales.»

En lisant ce passage, j'ai pris connaissance d'une irrégularité que mes travaux sur le football ne m'avaient pas apprise, même si, cet été, des échos de presse ont laissé entendre que le fisc britannique enquêtait sur des rémunérations liées au droit à l'image versées à partir de paradis fiscaux.

Je m'en suis ouvert au Premier ministre dans une question au Gouvernement où je lui demandais si les allégations des députés étaient exactes et ce qui était alors entrepris pour lutter contre ces pratiques. Nulle réponse ne m'a été apportée. En revanche, plusieurs lettres émanant de hauts responsables de notre football professionnel, que je tiens à la disposition de M. le Président du Sénat, ont jeté l'anathème sur votre serviteur, appelant à manifester contre lui. C'est vous dire le climat qui préside à nos débats.

Soyons très clairs : rien ne me permet de faire miens les propos des deux députés auteurs de la proposition de loi. Aussi ne les ai-je pas repris à mon compte. Cependant, s'ils devaient être exacts, il faut alors convenir qu'il serait peu admissible de faire profiter les fautifs de la subvention publique prévue par votre proposition de loi.

Une des conditions constantes posées à l'octroi d'une subvention publique est que les bénéficiaires soient en règle avec leurs obligations fiscales et sociales.

C'est pourquoi je demande que ce débat soit reporté jusqu'à ce qu'un rapport au Parlement apporte tout éclaircissement sur la confusion créée par l'exposé des motifs de la proposition de loi qui est soumise à l'examen de la Haute Assemblée.

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