La proposition de loi que nous sommes conduits à examiner a été adoptée à l'Assemblée nationale dans des conditions anormales de très grande urgence, compte tenu de son histoire.
Je passerai sur plusieurs épisodes pour dire qu'après un rapport de M. Jean-Pierre Denis, vous avez installé un groupe de travail réunissant les milieux professionnels et les administrations concernées pour étudier les moyens d'améliorer la compétitivité du sport professionnel français.
Logiquement, les travaux de ce groupe auraient dû être suivis de l'élaboration d'un projet de loi, comme vous l'aviez annoncé. Mais la logique n'a pas prévalu et, sans qu'on sache précisément ce qu'il est advenu dans le groupe de travail que j'ai mentionné, celui-ci s'est autodétruit. Une proposition de loi est apparue fort opportunément.
Cela a permis d'éviter de mettre en évidence les différentes oppositions suscitées par l'article 1er. Les propositions de loi ont l'avantage considérable, mais aussi l'insigne faiblesse, de ne pas passer au crible de l'examen du Conseil d'Etat.
« Il fallait aller vite », estime un des auteurs de la proposition de loi et on comprend les motifs de cette précipitation. Mais j'ai été stupéfait de lire dans le même entretien que tout cela avait été fait dans l'harmonie entre votre ministère, le ministère des finances et le Conseil d'Etat.
Je m'interroge d'autant plus qu'il y a quelques années un « article Drut », de même nature, avait, dit-on, suscité la réserve du Conseil d'Etat, qui l'avait alors jugé contraire à l'égalité devant la loi et les charges publiques.
Je voudrais dire ici les raisons de fond pour lesquelles je m'oppose à cet article qui représente le coeur politique de cette proposition de loi.
A l'heure où le Gouvernement demande à chaque Français d'augmenter sa contribution au financement de l'assurance maladie et alors que le régime des intermittents du spectacle subit une réforme draconienne, le Gouvernement signe un chèque de plusieurs dizaines de millions d'euros, tiré sur les contribuables, au bénéfice des dirigeants de clubs sportifs à objet commercial.
Je m'empresse de dire que cet article d'initiative parlementaire me semble passible de l'article 40 de notre Constitution puisqu'il crée une charge publique.
Votre présentation est un leurre. Le panorama du football est caractérisé par une forte segmentation des pays et des clubs au regard des moyens financiers disponibles. Pour les pays, l'Angleterre est en tête avec 1, 7 milliard d'euros de chiffre d'affaires, la France fermant la marche avec environ 650 millions d'euros. S'agissant des clubs, les vingt premiers clubs professionnels européens, sur un total de 250 clubs pour les cinq grands pays de football, accaparent la moitié du chiffre d'affaires du football en Europe. Le premier club français est dix-neuvième au classement.
La mesure que vous soutenez est une goutte d'eau dans cet océan, une goutte d'eau amère, mais une goutte d'eau.
Dans mon intervention lors de la discussion générale, j'ai indiqué les problèmes prioritaires qu'il convient de résoudre. Il faut s'attacher à assainir les finances du football européen parce que les pertes sont insoutenables, tout en préservant l'intérêt sportif des compétitions. Il faut réduire les inégalités, comme c'est fait aux Etats-Unis ; je l'ai dit, mais vous n'êtes pas d'accord. C'est beaucoup plus important que de courir vers le moins-disant fiscal en Europe.
En choisissant cette dernière option, la proposition de loi passe à côté de l'essentiel, met en oeuvre une mesure injuste et inefficace, et traduit un renoncement à emprunter la voie d'une harmonisation fiscale maîtrisée.
Je considère que la question des prélèvements obligatoires supportés par le football est une question légitime. Mais il est intolérable de la traiter comme vous le faites.
Il est justifié de s'intéresser au problème de la singularité française en matière de prélèvements obligatoires. Ce problème est celui de la compétitivité fiscale de « l'espace économique France », mais aussi celui des phénomènes de concurrence fiscale et de l'harmonisation des prélèvements obligatoires en Europe.
La forte mobilité de la main-d'oeuvre et les niveaux exceptionnels de rémunération atteints dans ce secteur sont des particularités dont il faut tenir compte.
Le « coin fiscalo-social » est particulièrement élevé en France. Par rapport à la moyenne des concurrents, les prélèvements obligatoires que suppose le versement d'un revenu de 1, 8 million d'euros sont, en France, plus de deux fois plus lourds. Ce sont les charges sociales qui expliquent l'essentiel de cet écart. Elles sont douze fois plus élevées en France. Pour un salaire net de 1, 8 million d'euros, l'écart de taux de cotisations employeurs entre la France et la moyenne européenne s'élève à plus de 30, 1 points. Comme je l'ai dit dans mon rapport, ces données militent a priori pour une réduction des prélèvements.
Cependant, tout n'est pas aussi simple.
Je passe sur le fait que, dans les comparaisons internationales, les prélèvements obligatoires sont considérés comme une charge pure, sans contrepartie, alors qu'ils sont créateurs de droits pour les salariés et, à ce titre, doivent donc être considérés, au moins pour partie, comme un élément de rémunération du salarié.
L'essentiel est que s'aligner sur le bas de la fourchette des prélèvements en Europe, c'est implicitement adopter des systèmes étrangers, qui sont profondément inéquitables. Le taux effectif de cotisation est de 31, 5 % pour un salarié en Espagne, mais il n'est que de 0, 3 % pour un salarié touchant 1, 8 million d'euros. On peut faire la même remarque s'agissant du Royaume-Uni.
Le système français, même s'il comporte des prélèvements sans doute excessifs, est, au regard de l'équité verticale, plus satisfaisant que les systèmes étrangers.
Plutôt que de militer pour un alignement de la France sur ces pays, il faut lancer un débat sur l'harmonisation en sensibilisant les opinions publiques étrangères sur les transferts de charges que supposent les systèmes « anti-redistributifs » appliqués dans leurs pays. D'ailleurs, le rapport de la Délégation préconise ce processus d'harmonisation. La proposition de loi qui est en discussion illustre, ô combien ! les problèmes que l'on rencontre lorsqu'on lui tourne le dos. Le texte tend en effet à réduire la charge « fiscalo-sociale » sur des salaires extrêmement élevés et à reporter celle-ci sur le contribuable ordinaire. Ce chemin n'est pas le bon.
De plus, la mesure envisagée sera inefficace. Sur la base de projections, le gain brut, pour les clubs français de ligue 1, peut être estimé à un montant de l'ordre de 40 millions d'euros. Ce transfert des administrations publiques vers les clubs représentera une charge importante pour les finances publiques. Le supplément de ressources variera, pour chaque club, en fonction du niveau relatif des salaires versés. On estime qu'il oscillera entre 1 million d'euros et 5 millions d'euros. Ces données doivent être mises en regard des 151 millions d'euros de pertes des clubs de ligue 1, du coût d'un transfert moyen - qui est de l'ordre de 6 millions d'euros - et du budget des plus gros clubs. Les clubs, qui perdent de l'argent, souhaitent utiliser ces sommes pour augmenter leurs dépenses : c'est rigoureusement inconcevable ! Le Gouvernement souhaite-t-il dilapider l'argent des contribuables ?