Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 21 décembre 2006 à 15h00
Ratification de l'ordonnance relative à l'organisation de certaines professions de santé — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Je l'espère bien !

Le problème, c'est que, étant donné la manière dont ce Gouvernement a choisi de poser la question de la santé mentale, nous ne pouvons pas lui faire confiance. Incontestablement, sur cette question, les arbitrages interministériels actuels ne se font pas en faveur de la santé publique. En la matière, il est tout fait significatif que l'avis de la Haute autorité de santé ait été, jusqu'à présent, peu pris en compte ou non sollicité, par exemple, sur la constitution d'un fichier national des hospitalisations d'office.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire dès maintenant quelques remarques et de vous poser quelques questions concernant le champ de l'habilitation demandée, puisque nous ne pourrons plus en débattre...

Je pense que, sur ce point, nous pourrons être d'accord : le coeur de la réforme de la loi du 27 juin 1990 doit être la substitution de la notion de soins à celle d'hospitalisation sans consentement. L'hospitalisation doit ainsi devenir une modalité des soins.

En effet, l'enfermement n'est plus aujourd'hui la seule solution thérapeutique. En la matière, la doctrine psychiatrique a largement évolué par rapport aux premiers aliénistes, qui pensaient que seule la mise à l'écart du milieu social et l'instauration d'un régime d'existence ordonné avaient des vertus thérapeutiques décisives.

Aujourd'hui, l'objectif des médecins est de « favoriser la guérison, la réadaptation et la réinsertion sociale » des personnes malades grâce au développement du milieu ouvert et des soins ambulatoires, qui permettent de traiter des personnes souffrant de troubles mentaux tout en les maintenant dans la cité.

Parce que l'objectif doit être de procurer au malade le soin le plus approprié à sa guérison, il est nécessaire de créer une période d'observation pendant laquelle le médecin peut étayer un diagnostic, engager une démarche thérapeutique, évaluer les réactions de son patient après le début du traitement ou une mesure de contention, avant de l'orienter vers la forme de prise en charge la plus pertinente. Mais cette période de soixante-douze heures ne doit pas être conçue, contrairement à ce que pense M. le ministre de l'intérieur, comme un temps durant lequel le malade est simplement mis à l'écart de la société afin de s'assurer qu'il ne commet aucune infraction ou aucun acte dangereux. J'y insiste, ces soixante-douze heures ne doivent pas être une période de rétention, mais une période d'observation et d'orientation.

En ce qui concerne le rôle du maire et les procédures de prescription de soins sans consentement, nos divergences sont plus profondes. Nous ne sommes pas favorables à ce que les pouvoirs des maires en matière de déclenchement des hospitalisations d'office, qui sont aujourd'hui temporaires et justifiées par la seule urgence, deviennent systématiques.

Quant au certificat médical, nous ne pouvons pas accepter qu'il ne soit plus obligatoirement circonstancié et que disparaissent les précisions sur son auteur. S'agissant des cas faisant l'objet d'un simple avis médical, l'ordre des médecins lui-même n'y est pas favorable, d'autant que ce qui relèvera désormais de l'urgence n'est aucunement spécifié. Bien évidemment, le critère de la « notoriété publique » n'est plus pertinent. Par contre, je ne comprends pas pourquoi la définition actuelle de l'urgence faisant référence à un « danger imminent pour la sûreté des personnes » devrait disparaître.

Nous n'acceptons pas non plus la création d'un fichier national qui garderait, pendant cinq années, la trace des mesures de soins sans consentement ainsi que des hospitalisations d'office. Je crois sincèrement que cette mesure est dangereuse pour les libertés publiques. En effet, pourront s'y retrouver fichées des personnes qui, en raison d'un accident de la vie, ont eu recours à des soins psychiatriques sans qu'à un quelconque moment elles aient vraiment constitué un danger pour la société.

Notre société a son lot de dérives sociales, familiales ou professionnelles. Vous le savez comme moi, monsieur le ministre, selon les chiffres de l'OMS, environ 30 % des Français connaissent ou ont connu des troubles psychiques, 37 % d'entre eux ont déjà pris des médicaments psychotropes, et les troubles psychiques sont la deuxième cause des arrêts de travail.

Reconnaissez-le, ficher toutes ces personnes ne contribuera certainement pas à dédramatiser ce genre de maladie et à dédiaboliser les malades. D'ailleurs, on peut s'étonner de la création d'un tel fichier quand on lit le rapport remis récemment à M. le ministre de l'intérieur sur les dysfonctionnements des fichiers de police et de gendarmerie.

Il est également prévu par ce texte que l'ordonnance règle la situation des détenus souffrant de troubles psychiatriques. C'est un sujet que nous n'avions pas abordé jusqu'à maintenant et qui mériterait aussi un véritable débat parlementaire.

Le droit à la santé fait partie des droits fondamentaux de la personne, qui, pour l'heure, ne sont pas assez respectés dans les prisons françaises. La réalité de nos prisons, c'est que le nombre de personnes incarcérées souffrant de graves troubles psychiatriques a considérablement augmenté et atteint aujourd'hui un niveau préoccupant. À cet égard, mon collègue Robert Badinter rappelle à juste raison qu'un détenu demeure un citoyen.

Pourtant, comme le reconnaît le manifeste des états généraux de la condition pénitentiaire, « la mise en place d'établissements pénitentiaires spécialisés divise la communauté des psychiatres » et « la question de la présence en prison de personnes souffrant de graves troubles psychiatriques nécessite qu'une réflexion approfondie sur les causes de cette situation et les moyens d'y remédier soit menée » ; il en fait ainsi un objectif de la prochaine législature.

Monsieur le ministre, êtes-vous sûr que ce problème puisse être réglé par une ordonnance publiée dans les deux mois ?

Je crois sincèrement qu'il aurait fallu une vraie loi, une grande loi et que nous ayons le temps d'en débattre. Je peux vous assurer que, sur un grand nombre de points, nous aurions trouvé un consensus. En l'occurrence, vous nous obligez à refuser une habilitation par ordonnance tout en organisant un faux débat au Parlement, faux puisque ce débat ne servira qu'à éclairer le Gouvernement en vue de la rédaction de l'ordonnance. Le Parlement est sans doute là pour éclairer, mais aussi pour légiférer ! Nous aurions donc pu valablement légiférer sur un véritable texte réformant la loi de 1990.

L'ordonnance n'est pas la bonne solution pour traiter de tels problèmes. Il faudrait que vous déposiez un projet de loi et que vous organisiez un vrai débat devant le Parlement. Puisque vous ne voulez pas le faire, vous l'aurez compris, le groupe socialiste du Sénat votera contre ce texte et, surtout, contre cette habilitation de pur confort pour le Gouvernement.

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