Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, en lieu et place de M. le rapporteur général de la commission des finances, retenu dans son département, il m'incombe de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire qui s'est tenue hier en fin d'après-midi sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2006.
Je profite de cette occasion pour saluer les efforts accomplis par Philippe Marini. En effet, à peine sorti de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, notre collègue a entrepris d'étudier, avec toute la compétence et la volonté d'aller au fond des choses que nous lui connaissons, le contenu d'un texte dont la diversité n'a d'égal que le caractère foisonnant.
Votre rapporteur général et la commission des finances ont dû s'efforcer d'analyser un nombre particulièrement important de mesures nouvelles en quelques jours, voire en quelques heures.
Permettez-moi de citer quelques chiffres qui résument très bien les conditions peu confortables dans lesquelles nous avons examiné ce texte.
Au départ, le projet de loi comportait quarante-cinq articles ; l'Assemblée nationale a ajouté soixante-quatre articles additionnels ; dans une saine émulation, la Haute Assemblée en a introduit soixante-dix supplémentaires. De sorte que chacune des deux assemblées a créé, par voie d'amendement, un peu plus d'articles que le projet de loi initial n'en comportait.
La commission mixte paritaire devait statuer sur les quelque cent un articles restant en discussion.
En dépit du nombre des points sur lesquels il lui fallait s'accorder, et compte tenu de l'excellent climat régnant entre les deux assemblées, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sans difficulté.
Sur le fond, la commission mixte paritaire a consacré les apports du Sénat, sauf en de rares exceptions. À l'occasion de l'examen de tel ou tel article, elle a également procédé à des échanges de vue de portée générale qui justifient que je prolonge mon propos par quelques considérations de méthode.
Je souhaite d'abord évoquer les conclusions de la commission mixte paritaire.
Le volet législatif d'un projet de loi de finances rectificative est toujours, peu ou prou, un « inventaire à la Prévert ». Néanmoins, à côté de mesures d'ajustement de tel ou tel aspect de notre législation financière, l'on trouve toujours des articles porteurs de réformes plus structurantes.
Avant d'évoquer un peu plus en détail quelques sujets d'envergure, je voudrais passer en revue un certain nombre de points techniques sur lesquels la commission mixte paritaire a bien voulu suivre le Sénat.
Il s'agit, notamment, de la poursuite de la réforme du régime des acomptes d'impôt sur les sociétés, pour lequel a été mis en place, conformément au voeu du Sénat, un seuil de déclenchement des pénalités différencié selon la taille des entreprises.
Ainsi, la pénalité sera appliquée si le différentiel constaté entre l'impôt dû et l'impôt estimé est supérieur à 20 % et à 2 millions ou 8 millions d'euros, selon que les entreprises réalisent un chiffre d'affaires compris entre 500 millions et 1 milliard d'euros ou supérieur à ce seuil de 1 milliard d'euros.
Je note en passant que, si le principe de cette réforme a bien été accepté par votre commission comme un moyen de faire mieux correspondre le paiement de l'impôt et la situation financière des entreprises, la méthode utilisée par le Gouvernement, consistant à intervenir en utilisant trois véhicules législatifs, n'est pas pleinement satisfaisante.
Nous avons également pu faire partager notre point de vue sur l'assouplissement des conditions applicables à la réduction d'impôt sur le montant des intérêts des emprunts contractés pour acquérir une PME dans le cadre d'une opération de reprise, mais aussi sur la suppression de l'exonération de TVA applicable aux opérations immobilières effectuées par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, sur l'instauration d'une réduction d'impôt sur le revenu pour l'acquisition de résidences hôtelières à vocation sociale, sur le relèvement de 25 % des plafonds de ressources conditionnant l'accès aux chèques-vacances ou celui de la limite d'exonération des chèques-restaurant et, surtout, sur l'exonération de taxe sur les salaires en faveur des établissements d'enseignement supérieur.
Cette dernière mesure est excellente et accroît la marge de manoeuvre d'acteurs essentiels de la modernisation de notre économie. Elle nous rappelle qu'il est urgent de réformer la taxe sur les salaires.
Nous avons également fait prévaloir l'idée selon laquelle la Société de valorisation foncière et immobilière, la SOVAFIM, pouvait étendre ses compétences à la valorisation des biens immobiliers de l'ensemble des opérateurs de l'État. Cette mesure s'inscrit dans la perspective de la modernisation de l'État. Elle est apparue à la commission mixte paritaire comme témoignant de la volonté de mettre en concurrence les structures publiques, et, en l'occurrence, France Domaine.
Nous avons enfin obtenu la prolongation d'un an du mandat du comité des finances locales.
Les dispositions introduites par votre commission des finances relatives aux bases de la taxe professionnelle ont été maintenues, qu'il s'agisse des mesures destinées à neutraliser l'impact des nouvelles normes comptables IFRS, notamment les règles d'amortissement et les dépenses de grand entretien, ou du rapport que le Gouvernement doit établir sur la façon de prendre en compte le travail temporaire dans la valeur ajoutée au regard du plafonnement de la taxe professionnelle.
Il y a là une vraie question, qui en rappelle à certains égards une autre ; je veux parler des « moules » pour certaines opérations de sous-traitance, question dont votre commission des finances a bien conscience qu'elle concerne plus particulièrement certains secteurs, mais que l'on ne pourra pas esquiver indéfiniment.
Le travail intérimaire est certainement un élément de la valeur ajoutée et il n'est pas imaginable, monsieur le ministre délégué, qu'on laisse s'accréditer l'idée qu'il pourrait être intéressant de faire appel à de la main-d'oeuvre intérimaire plutôt qu'à des salariés pour optimiser le montant de la valeur ajoutée et, donc, de la taxe professionnelle dont l'entreprise est redevable.
Enfin, je voudrais indiquer, à propos de la taxe professionnelle, que nous avons fait valider un mécanisme de compensation temporaire des pertes de recettes de taxe professionnelle que pourraient subir certains départements, lorsque la perte de bases correspond à plus de 2 % du produit des impôts du département. C'est un système dégressif : 60 % de compensation la première année, 40 % la deuxième et 20 % la troisième.
La commission mixte paritaire s'en est tenue aux rédactions de l'Assemblée nationale sur un petit nombre de points, parmi lesquels il faut noter le régime du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion et la modification du barème de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat.
Sur ce dernier point, il a paru plus simple, compte tenu de la nécessité de rester à l'intérieur d'une enveloppe de 25 à 30 millions d'euros de moins-values de recettes fiscales, de conserver le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, qui avait le mérite de la simplicité. Il n'eût pas été très raisonnable de chercher à faire bouger les curseurs, alors que l'on n'était pas en mesure d'expertiser l'incidence des changements envisagés sur les différents types de commerces concernés.
En revanche, l'Assemblée nationale a eu la « satisfaction » de voir la commission mixte paritaire revenir sur un certain nombre d'initiatives prises au Sénat et qui mériteraient, à l'évidence, d'être « peaufinées ». Je mentionnerai, à ce sujet, la suppression de la modification du crédit d'impôt pour l'acquisition de chaudières à condensation, le refus d'instaurer une taxe au profit de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, au titre de l'élimination des déchets électriques et électroniques, la suppression de l'élargissement du champ de la participation aux agents généraux mandataires des compagnies d'assurance.
Quant aux rédactions élaborées par la commission mixte paritaire, elles résultent le plus souvent d'amendements d'ordre rédactionnel, sauf en ce qui concerne l'article 27 quater B, relatif à la transformation en crédit d'impôt de la réduction pour l'emploi d'un salarié à domicile, qui a été circonscrite à la garde d'enfant à domicile, au soutien scolaire et aux cours à domicile, mesure qui constitue, avec la taxe « ADAR », le seul point sur lequel le Gouvernement avait souhaité, mais sans être suivi par nos collègues députés, que les assemblées reviennent sur les décisions de la commission mixte paritaire.
Après cette énumération de points techniques très divers, je voudrais évoquer les mesures que j'ai qualifiées de structurantes et que la commission mixte paritaire a acceptées, reprenant des initiatives importantes de la Haute Assemblée.
Quatre domaines me semblent particulièrement emblématiques des apports du Sénat à cette loi de finances rectificative : le recentrage du dispositif créant un régime fiscal particulier pour les bassins d'emploi à redynamiser, la modernisation de notre droit financier, l'ajustement du droit de francisation et l'accompagnement fiscal de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.
S'agissant des bassins d'emploi à redynamiser, votre commission des finances avait, sur proposition du rapporteur général et en liaison étroite avec le Gouvernement, recentré et allégé le dispositif, qui ne concerne plus que les départements des Ardennes et de l'Ariège. Je dois dire que la commission, au départ plutôt sceptique sur ce qui lui apparaissait comme un nouveau régime préférentiel de nature à obscurcir un système de zonage déjà particulièrement compliqué, s'est finalement laissé convaincre par le plaidoyer de notre collègue Maurice Blin, qui restera dans la mémoire de ceux de nos collègues qui ont eu la chance d'y assister comme un grand moment d'éloquence. D'ailleurs, Maurice Blin a repris son propos en séance publique, dans la nuit du 19 au 20 décembre.
En ce qui concerne la modernisation de notre droit financier, la commission mixte paritaire a suivi les préconisations du Sénat, moyennant, le cas échéant, des aménagements ponctuels. C'est ainsi que, outre des mesures extrêmement techniques portant sur le droit bancaire des obligations, elle a parachevé deux réformes qu'elle avait largement promues, portant sur les organismes de placement collectif immobilier, les OPCI, et les sociétés d'investissement immobilier cotées, les SIIC. Il s'agissait, dans ce dernier cas, d'éviter les effets d'aubaine fiscale, notamment en limitant la création de sociétés détenues très majoritairement par le même actionnaire ainsi que le cumul d'exonérations fiscales par les investisseurs étrangers.
L'ajustement de la réforme du droit de francisation, introduite par la loi de finances rectificative pour 2005, a constitué un autre point d'accord important de cette commission mixte paritaire. Une large majorité s'est en effet dégagée pour considérer que la réforme introduite l'année dernière exonérait sans motifs les bateaux de moins de sept mètres « surmotorisés » et n'allégeait pas suffisamment la charge pesant sur les « vieilles coques ». Le compromis trouvé au Sénat, qui est apparu satisfaisant, moyennant une meilleure prise en compte de la vétusté, concerne les 4 500 bateaux de moins de 7 mètres équipés de moteurs supérieurs à 240 chevaux réels, soit 22 chevaux fiscaux, qui participeront ainsi à l'effort de protection de l'environnement et au financement du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres pour 2 millions d'euros complémentaires.
Enfin, et cela me servira de transition vers les considérations de méthode, la commission mixte paritaire a adhéré pleinement aux diverses mesures d'accompagnement fiscal de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, introduites au Sénat sur l'initiative de notre collègue Alain Lambert.
Au-delà de l'intérêt technique de ces ajustements, qui tirent les conséquences fiscales des nouveaux instruments civils ainsi introduits, en particulier les donations-partages intergénérationnelles ou intervenant au sein des familles recomposées ainsi que les libéralités graduelles et résiduelles, il y avait un enjeu de principe souligné, à juste titre, par notre collègue Alain Lambert : votre commission des finances ne pourra réussir à contenir la prolifération des mesures fiscales en dehors des lois de finances que si elle fait diligence pour que le droit fiscal s'adapte dans les meilleurs délais aux innovations introduites dans telle ou telle partie de notre législation.
Cette rapidité de réaction est la condition du maintien de la loi de finances comme lieu de la cohérence financière. C'est bien ce qui s'est accompli : nous avons répondu présent au rendez-vous de la loi de finances, il convient de le souligner pour nous en féliciter.
J'en viens maintenant aux questions de méthode.
Le présent collectif, et c'est la loi du genre, est examiné sous le signe de l'urgence. À peine sortis de l'examen de la loi de finances pour l'année à venir, il nous faut, dans la foulée, aborder de nouveaux problèmes voire, parfois, les mêmes, ce qui ne simplifie pas la compréhension de l'exercice, sans toujours disposer, loin s'en faut, pour certains sujets importants, des informations nécessaires, des études d'impact et des expertises.
Traditionnellement, les lois de finances rectificatives, offrent l'occasion au pouvoir exécutif de « faire passer » un certain nombre de mesures fiscales en attente. Les formules employées pour qualifier les lois de finances rectificatives, « voitures-balais », « vide-greniers » - ou plutôt « vide-tiroirs » -, formules qui, on le voit, mettent l'accent sur le caractère hétérogène, sinon « fourre-tout », de ces lois, ne sont malheureusement pas dépourvues de fondement. On pourrait même évoquer, en filant la métaphore, des « décharges non contrôlées » !
Votre commission des finances estime que ce mode de fonctionnement est difficile à éviter, surtout si l'on veut empêcher la prolifération de mesures fiscales dans des textes sectoriels discutés en cours d'année, dont l'examen n'accorde pas toujours assez de place aux considérations financières transversales. Veillons toutefois à contenir l'exercice dans les limites du raisonnable.
Pour mieux répartir ce nécessaire travail d'ajustement des réformes, il faudrait sans doute que le Gouvernement recoure plus souvent aux véhicules commodes que sont les lois portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, bien que je sache qu'il y répugne, sans doute par peur des débordements auxquels ces textes peuvent donner lieu. Votre commission des finances trouve cependant que cette technique est préférable, en tout cas, à celle de la prolifération des mesures fiscales dans les textes spécifiques.
D'une façon générale, votre commission des finances persiste à regretter la floraison d'initiatives fiscales en tous genres, alors que le temps manque pour évaluer l'impact des mesures souvent extrêmement techniques que le pouvoir exécutif lui propose, parfois directement, parfois aussi par l'intermédiaire de collègues parlementaires compréhensifs.
Votre commission, mes chers collègues, a dû prendre en considération la décision du Conseil constitutionnel et rendre moins libérale la procédure applicable en matière d'examen de la recevabilité financière. La décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre dernier, relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, souligne l'inadéquation de la procédure d'examen, au Sénat, de la recevabilité des amendements parlementaires au regard de l'article 40 de la Constitution.
Votre commission des finances a pris bonne note du contenu du treizième considérant, dans lequel le Conseil constitutionnel relève qu'un contrôle de recevabilité effectif et systématique, au moment du dépôt des amendements, n'a pas encore été instauré dans notre assemblée.
À ce stade, mes chers collègues, votre commission des finances a estimé qu'une première étape de clarification était possible avec la communication, au début de chaque séance, d'une liste d'amendements considérés par elle comme irrecevables au sens de l'article 40, soit pour défaut de gage, soit parce qu'ils créent une charge publique supplémentaire.
Nul doute que la réflexion devra se poursuivre sur la meilleure façon de rendre effectif le contrôle de la recevabilité financière des amendements, qui est effectivement l'un des principaux acquis du parlementarisme rationalisé instauré par la Ve République.
Je ne voudrais pas conclure sans faire part à la Haute Assemblée de l'émotion que j'éprouve en abordant l'examen des conclusions de cette commission mixte paritaire. Il s'agit, en effet, du point final de la dernière loi de finances de la législature qui est, au surplus, la première loi de finances rectificative examinée en mode LOLF.
Au moment où le rideau va tomber sur cette législature, les expressions qui me viennent à l'esprit sont toutes empreintes d'une certaine nostalgie, car l'examen de ces conclusions est l'ultime moment d'une séquence qui s'achève puisque, au stade où nous en sommes, il s'agit bien ce soir de la dernière séance budgétaire de la législature. C'est la « dernière séance », en quelque sorte.